Par: Roger-Luc Chayer
Je ne me décidais pas à t’écrire, même si le temps passe, c’est pas vrai
que la douleur s’efface, je ne sais pas d’où vient cette croyance. Je me
suis quand même décidé à t’écrire par que Pia, ta maman de Marseille, me
disait il y a quelques jours que tu étais parti depuis 10 ans, comme si je
m’étais refusé à compter les années pour ne plus penser à mettre quelque
chose de définitif à ton départ.
Et puis il y a eu Jean-Luc Romero qui a écrit dans ces pages une lettre à
Hubert, son conjoint décédé lui aussi de la même maladie que toi, allez,
il faut prononcer le mot: SIDA. Tu es parti juste avant que les médecins
n’obtiennent le droit de traiter la maladie avec la trithérapie, juste avant de
pouvoir profiter un peu plus de la vie grâce à de nouveaux médicaments.
Quelques mois de plus et tu serais peut-être encore là avec nous. 10 ans
déjà.
Tu savais toi que nous allions beaucoup souffrir de ce décès. Tu étais
si jeune et particulièrement beau je dois l’admettre… Tu t’es caché pour
mourir, comme les oiseaux! Tu ne voulais tellemet pas faire de peine, tu
étais si gêné de parler de cette maladie. Il y avait de quoi. À cette époque,
longtemps avant les revendications pour des traitements plus humains des
personnes atteintes, la société considérait cette maladie comme la peste.
Tu n’étais pas un pestiféré Pascal, tu
étais un simple garçon, très gentil,
qui ne voulait que le bien de tous
et qui n’avait pas à se cacher pour
mourir. C’était toutefois ton droit et
même si 10 ans plus tard je n’ai pas
encore digéré ta mort, je respecte
ton choix de ne pas m’en parler,
de ne rien me dire alors que j’étais
persuadé que tu allais venir me re-
joindre au Québec pour continuer là
où nous en étions dans nos coeurs.
Non seulement tu seras parti rapidement, je n’aurai pas eu le temps de tout
te dire, de te dire à quel point tu comptais à mes yeux. Pia et moi parlons
souvent de toi, au passé, elle a une philosophie qui l’aide drôlement plus
que moi. Nous en parlons souvent parce que nous ne savons pas comment
aider les plus jeunes à comprendre que le SIDA, ce n’est pas seulement
une théorie, une maladie qui se traite avec des médicaments, c’est aussi et
surtout un drame qui touche des jeunes, des gens qui ne vivront pas leur
plein potentiel et qui s’éteindront en cachetteabsolument rien… 10 ans déjà…