Photo: Centre-ville de Beyrouth avant la guerre
Alors que les marines occidentales ont évacué plus de 40 000 ressortissants, nous avons recueilli les témoignages de plusieurs gais et lesbiennes à Beyrouth, mais aussi à Montréal et Paris. Malgré les offensives et lʼinertie de la diplomatie, la vie gaie continue tant bien que mal.
Évacuations à haut risque
Jeudi 27 juillet, les autorités américaines, canadiennes, françaises et britanniques estimaient avoir quasiment bouclé les opérations de rapatriement de leurs ressortissants du Liban, alors quʼune armada dʼune cinquantaine de navires de guerre et marchands poursuivait encore, depuis lʼouverture de «corridors humanitaires» voulus par Paris, leurs rotations entre Beyrouth et Larnaca (Chypre) puis Mersin (Turquie). Au final, environ 12 000 américains, 8 700 canadiens, 6 100 français et 4 500 britanniques ont été évacués par mer. Après le départ de deux navires loués, lʼun de Beyrouth, lʼautre de Tyr avec 49 canadiens à bord, le gouvernement, bien que soucieux dʼaider la centaine de ressortissants qui se trouveraient encore au Sud-Liban, théâtre de violents affrontements entre lʼarmée israélienne et le Hezbollah, sʼest refusé à envoyer 3 navires de guerre sur zone. Cʼétait par contre lʼobjectif de la mission française Calliste, qui a mobilisé les frégates Jean de Vienne et Jean Bart, venant en protection du transport de chalands de débarquement Sirocco et du flambant neuf porte-hélicoptères dʼassaut Mistral, dont cʼétait la première OPEX et qui, tous deux, possèdent plusieurs blocs opératoires.
Une évacuation qui nʼa pas été sans incidents, un hélicoptère Couguar de lʼunité dʼalerte des chasseurs alpins ayant été pris pour cible par un bâtiment US. Cʼest justement ce genre de «cas non-conforme» que craint Pascal Ausseur, le commandant du Jean Bart: «En 1986, la frégate USS Stark, par manque de vigilance, nʼa pas réagi à un tir de deux missiles irakiens qui ont fait une trentaine de morts. [Puis] le croiseur USS Vincennes qui, se croyant attaqué, a tiré sur un Airbus iranien au décollage de Bandar Abbas, [faisant] 380 morts civils», rappelle-t-il. Pour parer aux pertes collatérales, les transmissions internes des bâti-
Société
Guerre au Liban
Les gais libanais abandonnés
Par: Patrick Rogel, IB News
ments de guerre (satellite, radio, téléphone, texte, image et vidéo) sont doublées de transferts de données tactiques externes entre bâtiments via des liaisons cryptées.
Les gais libanais isolés
On ne peut pas en dire autant des télécoms civils. Nous avons réussi à joindre le 24 juillet à Beyrouth Chantal Bartamian, coordonnatrice de lʼantenne lyonnaise de lʼassociation internationale des libanais gais Helem («rêve» en arabe), qui nous avouait être encore «coincée» dans la capitale dévastée et «incapable dʼavoir un contact permanent» depuis la destruction 2 jours plus tôt par les F-16 israéliens de relais de télévision et de téléphone mobile. Reporters sans frontières a protesté contre ces attaques visant «des installations de médias [qui] ne peuvent en aucun cas être considérées comme des cibles militaires» et qui ont fait par ailleurs un mort et plusieurs blessés. Certains Libanais nʼont, à lʼheure actuelle, plus accès à la chaîne publique Télé Liban, ni aux privées LBCI et Future TV, ni aux radios. Carla Sfeir, une Franco-Libanaise, gérante dʼune boutique dʼoptique gai-friendly à Montpellier, faisait partie des 1,6 million de touristes attendus cet été au Pays du Cèdre et qui ne sont plus que mirage pour une économie durement éprouvée.
Rencontrée la veille de son départ, elle nʼa jamais atterri à lʼaéro-
port international de Beyrouth, situé dans la banlieue sud contrôlée
par le Hezbollah et bombardée dès lʼaube du 13 juillet. Comme elle,
dʼautres ont vu leur vol détourné vers Chypre ou remis à plus tard.
Cʼest le cas de Ghassan, responsable libanais de Helem à Paris, qui
comptait se rendre à Beyrouth en août en compagnie dʼune cinquan-
taine de gais et de lesbiennes…
Appels aux dons
Rémy, coordinateur de Helem Montréal nous confi rme que, pour
lʼinstant, lʼassociation, à travers ses antennes, «travaille sur le plan
humanitaire libanais plutôt que sur la cause LGBT. Nous voulons être
présents sur la scène arabe comme un groupe qui fait plus quʼêtre gai».
Comme à Paris, les activités qui encadrent la Pride québécoise du 30
juillet servent à la récolte de fonds, déjà de lʼordre de 75% des dépen-
ses: «Nous enverrons donc une large partie des profi ts de nos activités
au Liban et nous porterons des messages de paix à travers tous nos
discours», rajoute t-il.
Helem, supporté essentiellement par ces dons et lʼambassade des
Pays-Bas au Liban, a transformé ses locaux de ce beau quartier du
vieux Beyrouth en accueil pour réfugiés. Cette urgence tranche avec
le cadre du lieu, la Zico House, un centre culturel dédié aux expos
dʼartistes contemporains et fi nancé par lʼUNESCO. Cʼest de là que
Georges Azzi, président de lʼassociation, estime que «la situation des
réfugiés gais est la même que celle des réfugiés hétéros». Ghassan
de Paris sʼinquiète: «Je crains que si lʼéconomie va très mal, on aura
tendance à rechercher des boucs émissaires», les gais et les lesbiennes
de préférence. Plus fataliste, Firas, un jeune gai évacué par le Mistral
a «le sentiment de jouer le jeu dʼIsraël en partant, car la donne main-
tenant, cʼest quʼune fois que les étrangers seront partis, cʼest là quʼils
vont faire le vrai nettoyage et bombarder partout».
Pays de paradoxes
Certes, avec Israël, le Liban a été le seul pays du Moyen-Orient à
avoir autorisé ce printemps la diffusion dans les salles du ʻSecret de
Brokeback Mountainʼ. À Beyrouth, le fi lm, certes amputé de 4 mn, est
resté un mois à lʼaffi che. La généralisation de la télé par satellite puis
dʼInternet permet aux gais beyrouthins de rester branchés et, comme
se remémore Munir, un journaliste cité par le quotidien français Li-
bération, «de voir des homos dans des feuilletons télé, des fi lms, les
entendre parler de leur sexualité dans des talk-shows». Dans un pays
assez tolérant en matière de sexe (en tout cas, comparé à ses voisins
arabes), la vie gaie libanaise subit une loi répressive et le machisme
méditerranéen (surtout dans les villes moyennes comme Tripoli ou les
villages), bien que des études aient montré que 35% de la popula-
tion aurait eu au moins une expérience homosexuelle, un pourcentage
énorme comparé à la moyenne mondiale de 5%! À Beyrouth, la scène
gaie compte 4 boîtes gai-friendly: lʼUV, le BO 18, lʼAcid et le X-OM,
ces deux dernières ayant subi des descentes de la «police des moeurs»
à lʼautomne dernier.
Il existe également 4 ou 5 bars et cafés (le plus populaire étant le Wa-
limat Wardeh, tandis que le Wolf, établissement bear, refuse fréquem-
ment les folles), des saunas, des lieux de drague et, chaque été, des
soirées privées sur une plage proche de Jbeil, à 30 km au nord. Parallè-
lement, la Journée mondiale contre lʼhomophobie a pu se tenir en mai
sous protection policière à lʼintérieur du Monroe, un grand hôtel de la
capitale. Mais les manifestations de rue ne sont pas encore à lʼordre du
jour. Si des militants gais couverts de rainbow-fl ags avaient osé défi ler
il y a 3 ans contre la guerre en Irak aux côtés de partis de gauche et
nationalistes (dont le Hezbollah), un conseiller municipal beyrouthin
a demandé récemment, au gouvernement, comme à Jérusalem, de les
interdire…