La moitié des nouveaux cas de VIH sont attribuables à des «bombes ambulatoires», soit tous ces gens
qui sont dans la toute première phase, très asymptomatique, de lʼinfection.
Lʼexpression, lancée par le
Dr Michel Roger, microbiolo-
giste et infectiologue à lʼhôpital
Notre-Dame de Montréal, a fait
bondir hier bon nombre des co-
signataires de son étude, parmi
lesquels le Dr Réjean Thomas.
Ils sont 15 chercheurs québé-
cois à avoir travaillé, au cours
des huit dernières années, sur
la dynamique de transmission
du virus, et ce, auprès de 1500
patients. Sur le fond, sur les
données brutes publiées dans la
Revue des maladies infectieuses
de ce mois-ci, les chercheurs
sʼentendent, évidemment. Sur
les conclusions à en tirer, cʼest
une autre paire de manches.
Dʼemblée, bon nombre de spé-
cialistes présents aux Journées
québécoises Québec-VIH ont
sourcillé quand lʼexpression
«bombe ambulatoire» a été lan-
cée au moment de la présenta-
tion de lʼétude en conférence de
presse.
Ils ont tiqué encore davantage
quand le Dr Roger a plaidé pour
que la population soit sensibili-
sée au fait que la première année
de lʼinfection – asymptomatique
ou semblable à une banale in-
fection virale – est la plus conta-
gieuse. Le Dr Roger nʼa pas da-
vantage fait lʼunanimité quand il
a lancé le débat sur la pertinence
de traiter ces gens au tout début
de lʼinfection. «On met un peu
la charrue devant les boeufs!» a
lancé le Dr Réjean Thomas, co-
signataire de lʼétude. «À la cli-
nique LʼActuel, on reçoit entre
30 et 50 appels par jour de per-
sonnes à risque qui demandent à
passer des tests de dépistage, et
on ne peut pas les recevoir parce
quʼon est débordés. Chez nous,
ça prend deux ou trois mois pour
obtenir un rendez-vous.» Le Dr
Thomas doute aussi que lʼon
puisse, «à 1500 $ par mois» offrir
des traitements à la ronde à des
fi ns de santé publique. De plus,
«30 % des gens qui ont le VIH
à Montréal ne le savent pas!»
Jean-Pierre Bélisle, porte-pa-
role du Conseil canadien de sur-
veillance et dʼaccès aux traite-
ments, a aussi relevé que même
une personne très alerte, qui
ferait le lien entre son compor-
tement à risque quelques semai-
nes plus tôt et son petit virus en
apparence banal, nʼobtiendrait
pas de réponse sur-le-champ.
«Les tests sur le marché ne per-
mettent pas de dépister la séro-
positivité au moment où le pa-
tient est le plus contagieux.
Même si jʼavais de la fi èvre et
des ganglions et que je faisais
un test de dépistage quelques
semaines après le début de lʼin-
fection, ce test serait négatif.»
Le Dr Roger sait tout cela, et il
est parfaitement conscient du
fait que, avant de faire de gran-
des campagnes de prévention,
un débat doit être mené et des
réponses doivent être trouvées.
Pour le patient lui-même, il
existe à son avis deux avantages
théoriques à se faire traiter dans
la phase initiale de lʼinfection :
la protection du système immu-
nitaire et la diminution du risque
de transmettre le VIH.
Les désavantages du traitement
très précoce? La toxicité des
traitements et le risque dʼaug-
menter la résistance aux mé-
dicaments si les patients ne les
prennent pas assidûment. Pas
évident de contourner ce problè-
me puisque déjà, selon lʼétude
québécoise, les personnes dans
la phase initiale de lʼinfection
ne transmettent pas que le virus,
mais en prime un virus pharma-
corésistant dans 15 % des cas.
Comme lʼa souligné le Dr Tho-
mas hier, «depuis deux ans, on
enregistre une augmentation
de 20 % des cas de VIH dans
la communauté gaie dʼici».
Soixante mille personnes vivent
aujourdʼhui avec le VIH au Ca-
nada, et 15 000 au Québec.