Par Les Affaires
La discrimination à l’égard des LGBTI (les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes) ne cesse de reculer un peu partout sur la planète, à l’image de la Cour suprême de l’Inde qui vient de dépénaliser l’homosexualité. Parfait. Mais sur le terrain, qu’est-ce que ça donne concrètement ? Les avancées sont-elles tout aussi significatives ? Et qu’en est-il dans le cas particulier du quotidien au travail ?
En Australie, les résultats pour 2018 de l’Australian Workplace Equality Index (Awei) viennent tout juste d’être dévoilés. Ils montrent que :
– 10% des LGBTI vivant en région subissent des blagues salaces et des commentaires déplacés au travail sur une base régulière ; ce qui est le double des LGBTI vivant en ville.
– 12% des LGBTI vivant en région ont subi de l’intimidation au travail durant l’année écoulée ; ce qui est, là encore, le double des LGBTI vivant en ville.
– 13% des LGBTI sont «fortement» ou «très fortement» stressés avant de passer un entretien d’embauche du simple fait qu’ils craignent que leur orientation sexuelle soit prise en compte dans la décision finale des recruteurs.
– 22% des LGBTI vivant en région dépensent quotidiennement une énergie folle à tenter de cacher leur orientation sexuelle à leurs collègues; en ville, cette proportion est de 18%.
Ahurissant, n’est-ce pas ? Et pourtant, tel est bel et bien le quotidien des LGBTI en Australie et, j’imagine, dans nombre de pays occidentaux, dont le Canada.
Cevat Giray Aksoy est professeur d’économie à la London School of Economics, en Grande-Bretagne. Avec Christopher Carpenter, professeur d’économie à l’Université Vanderbilt à Nashville (États-Unis), Jeff Frank, professeur d’économie à l’Université de Londres (Grande-Bretagne), et Matt Huffman, professeur de sociologie à l’Université de Californie à Irvine (États-Unis), il a regardé dans une étude si l’orientation sexuelle des LGBTI leur portait vraiment préjudice sur le plan professionnel.
Pour s’en faire une idée, Cevat Giray Aksoy et son équipe ont tout simplement considéré la vaste banque de données de l’UK Integrated Household Surveys, en croisant les informations en lien avec l’orientation sexuelle et le cursus professionnel de plus de 645.000 Britanniques, entre 2009 et 2014. Résultats ? Tenez-vous bien :
– Un curieux plafond de verre pour les gays. En général, les gays ont davantage de chances que les hétérosexuels d’être manager, et donc, d’occuper des postes à responsabilités. Cela étant, lorsqu’ils atteignent une telle position, c’est la plupart du temps pour occuper des postes subalternes : curieusement, les gays ont moins de chances que les hétérosexuels d’atteindre des sommets hiérarchiques, comme des postes de vice-président ou de président. «Ils sont de toute évidence en butte à un plafond de verre dès lors qu’il s’agit des niveaux hiérarchiques supérieurs», notent les chercheurs dans leur étude, en soulignant que, du coup, «nombre de gays sont surdiplômés pour les postes qu’ils occupent».
– Un plafond de verre similaire pour les lesbiennes. Idem pour les lesbiennes, mais dans une moindre mesure. Elles ont un tout petit peu plus de chances que les hétérosexuels de devenir manager, mais pourvu qu’il s’agisse de postes subalternes ; le plafond de verre survient pour elles aussi dès qu’il est question de grimper dans la haute-direction.
– Un véritable barrage pour les BTI. Quant aux bisexuels, transgenres et intersexes, le plafond de verre se situe encore plus bas : il leur est quasiment impossible d’atteindre des postes de manager, et a fortiori, les niveaux hiérarchiques supérieurs.
Comment expliquer tout cela ? La réponse se trouve, je pense, dans une autre étude, intitulée School-Age bullying, workplace bullying and job satisfaction : Experiences of LGB people in Britain et signée par Nick Drydakis, professeur d’économie à l’Université Anglia Ruskin à Cambridge (Grande-Bretagne). L’idée de celle-ci était on ne peut plus simple : regarder si l’intimidation subie par les LGBTI à l’école perdurait dans le temps, notamment au travail.
Or, l’analyse de quelque 400 cas montre sans l’ombre d’un doute que les LGBTI qui ont connu les sarcasmes et autres types d’intimidation à l’école continuent de les subir dans leur quotidien au travail. Autrement dit, les LGBTI sont discriminés tout au long de leur vie : les écoliers qui les embêtent ne changent guère de mentalité en grandissant, et leur font subir leurs idées obtuses une fois devenus collègues.
On le voit bien, le problème est culturel. Purement culturel. Il suffirait de faire évoluer la mentalité de certains pour que les choses changent.
D’ailleurs, un détail de cette dernière étude a attiré mon attention : il suffit qu’il y ait un groupe d’employés chargé de mettre en place des mesures visant à une meilleure intégration des LGBTI au sein de l’entreprise pour que, d’un coup d’un seul, le quotidien de ceux-ci s’en trouve nettement amélioré. Oui, vous avez bien lu : du jour au lendemain, les employés LGBTI se sentent mieux acceptés, et par suite, plus à l’aise dans leur quotidien au travail, ce qui booste littéralement leur satisfaction au travail, voire leur carrière. Le plafond de verre se met alors à se fissurer, et de nouveaux sommets professionnels s’ouvrent à eux. Ni plus ni moins.
Que retenir de tout ça ? Ceci, à mon avis :
> Qui entend fracasser le plafond de verre des LGBTI se doit de créer un groupe d’employés chargé d’œuvrer en ce sens. Il lui faut tout simplement recourir à l’intelligence collective pour identifier et mettre en place des idées à même d’aider les LGBTI à se sentir mieux dans leur quotidien au travail ; et indirectement, de faire évoluer les mentalités de certains. Car ces idées-là favoriseront la prise de conscience collective des freins qui existent pour la carrière des LGBTI, et par suite, de la sous-utilisation de leurs talents propres, au détriment, au fond, de la performance globale de l’entreprise.
En passant, le penseur français Théodore Monod aimait à dire : «Nous désirons tous ouvrir le cercle de la pensée pour arrêter sa ronde stérile».