Gais à Cuba

La vie gaie à Cuba a font lʼobjet de très nombreuses
rumeurs, allant de la pire répression à lʼouverture digne des
grandes villes nord-américaines. Il existe toutefois une réalité
qui, parfois, peut être observée par les voyageurs, qui ont
toujours le sentiment de prendre une chance avec la loi en se
laissant aller à flirter un beau cubain.
Le texte qui vous est présenté aujourdʼhui vient replacer dans
son contexte tout la question de la liberté sexuelle à Cuba.
Il sʼagit dʼune première publication au Québec et dʼune
exclusivité dans un média gai. Le texte, de toute évidence, est
très partisan! Il ne sʼagit pas ici de faire le procès de ses auteurs,
qui voulaient sʼexprimer sur la sortie dʼun film américain qui
détruisait, dʼaprès eux, la réalité sexuelle de leur pays. Non,
ce nʼest pas dans le propos que nous souhaitons attirer votre
attention mais bien sur le geste lui-même, sa publication.
Si un groupe de cubains décide de sʼexprimer apparemment
en toute liberté et quʼil va jusquʼà parler très ouvertement
de la question homosexuelle en en faisant pratiquement la
promotion, il doit être écouté. Jusquʼà ce jour, nous pensions
tous que cette analyse de la vie gaie ne pouvait exister au pays
de Fidel, nous étions peut-être dans lʼerreur.
[ LES AUTEURS : Leonardo Hechavarria, citoyen cubain, est traducteur
et interprète. Cʼest un partisan fervent de la Révolution et milite pour la
reconnaissance des lesbiennes et des gays dans son pays. Marcel Hatch
est typographe et un vétéran de la lutte pour les droits des homosexuels
au Canada. Ils organisent chaque année à Cuba la Tournée dʼEducation de
Nouveau Parti Démocratique [du Canada], sponsorisée par le Mouvement
de la Paix Cubain (voir www.ndpsocialists.ca). Vous pouvez contacter
Hechavarria et Hatch à lʼadresse suivante : cubatour@ndpsocialists.ca ]
«Avant la Nuit» nʼest pas un film bâclé. Au contraire, cʼest du ci-
néma finement ciselé, avec de bons acteurs de niveau international tels
que Javier Bardem, Olivier Martinez, Andrea Di Stefano, Johnny Depp
et Sean Penn.
Cette production US, dirigée par Julian Schnabel et tournée au Mexique,
a reçu de nombreux prix grâce à la qualité de ses images et une charge
émotionnelle à vous briser le coeur. Qualifié «dʼhistoire vraie», ce film
est rempli aussi de demi-vérités et de sornettes anti-castristes présentés
comme de lʼart et de la poésie, le tout enrobé de sexe. Et, fidèle à un cer-
tain genre, lʼhomosexuel meure avant le générique de fin.
Ce film est une version épurée de la vie du poète et écrivain Cubain Rei-
naldo Arenas. On nous montre son enfance pauvre, ses talents de poète et
ses premiers penchants pour ceux du même sexe.
Nous suivons son évolution sociale et hormonale, son voyage comme
auteur, ses frustrations face à lʼhomophobie dʼune époque, ses désillu-
sions sur Cuba, son emprisonnement.
Nous assistons à lʼauto-exil dʼArenas, à sa vie à New-York où il attrape
le SIDA, vit dans une misère noire, écrit beaucoup sur Cuba, et se suicide
en 1990.
On sort de la salle de projection avec lʼimpression dʼun Cuba aussi
corrompu quʼun état policier stalinien – un goulag pour homosexuels,
intellectuels et artistes. Est-ce que ça marche ? A voir la consommation de
mouchoirs en papier de nos voisins de séance, il semblerait que oui.
Est-ce que nous vous conseillons de boycotter ce film ? Non. Mais nous
vous demandons de le regarder avec un oeil critique. Nous ne connais-
sons pas un seul Cubain, quʼil soit partisan ou adversaire du régime, qui
trouve le film crédible. Pas plus que les militants gay intelligents. Dans le
Guardian du 7 Mai 2001, le Dr. Steve Williamson, un expert de lʼoeuvre
dʼArenas, dit que le film «rabache une histoire très vieille et déformée».
Il pense que le poète souffrait de paranoïa, sinon de démence, lorsquʼil
écrivit «Avant la Nuit» dans les derniers moments de sa vie.
Williamson ajoute : «Cuba a énormément changé depuis cette époque.
Cʼest de loin le pays le plus progressiste de toute lʼAmérique latine en
ce qui concerne les droits des gays. A lʼévidence, [Arenas] a souffert ce
quʼil a vécu durant cette période à Cuba, ce qui fut une erreur, mais si on
prend au pied de la lettre ce quʼil a écrit ou ce que le film montre, on est
en train de falsifier lʼhistoire.» Le film présume que le public est aveugle
ou ignorant, mais pas forcément totalement hostile à la réalité Cubaine.
Pourtant, par une étrange pirouette cinématographique, il fait lʼimpasse
sur les progrès énormes accomplis pour les travailleurs, les femmes, les
gens de couleur et, bien entendu, les gays à Cuba depuis 1959.
La disparition de la faim, des sans-logis, de lʼanalphabétisme, du
taux de mortalité infantile élevé et de la domination étrangère sur lʼîle
sont bien sûr indiscutables – grâce à la Révolution.
Ce fut sous le règne de Clinton/Bush que fut déclenchée la vague de mé-
lodrames anti-Cubains autour de lʼhomosexualité. Le mythe persistant,
promu principalement par les cubano-américains dʼextrême-droite (dont
la plupart sont violemment homophobes), que lʼhomosexualité serait
illégale à Cuba, que les gays et les lesbiennes seraient bannis du Parti
Communiste et quʼils seraient maltraités et jetés en prison ne sont que
des balivernes.
Cette contre-vérité est très prisée chez les progressistes septiques et la
communauté gay. Cʼest ce public là qui est visé par le film. Il est néces-
saire de contrer ces affabulations par des faits. Les voici.
UNE HISTOIRE BREVE DES HOMOSEXUELS A CUBA
Avant le Révolution de 1959, la vie des lesbiennes et des gays était mar-
quée par un isolement extrême et une répression inscrite dans la loi et ren-
forcée par le dogme Catholique. Les attitudes patriarcales rendaient les
lesbiennes invisibles. Si elles étaient démasquées, elles étaient souvent
victimes de violences sexuelles, dʼune mise à lʼécart de la communauté
et de la perte de leur emploi. Le milieu clandestin des gays à la Havane
— environ 200.000 — était un bouillon de prostitution pour le tourisme des
Etats-Unis, dʼasservissements, de menaces constantes et de chantages.
La mise au placard était de rigueur. La survie passait souvent par de faux
mariages hétérosexuels, ou par un bannissement dans le ghetto gay. La
vie des homos à Cuba ressemblait en tous points à celle des homos des
autres pays.
Après la Révolution, lʼégalité des sexes fut inscrite dans la loi, y compris
pour les salaires, la garde des enfants, lʼavortement, le service militaire,
entre autres conquêtes historiques, élevant ainsi le statut social et politi-
que des femmes.
Cette politique, une première en Amérique latine, a joué un grand
rôle pour lʼindépendance des femmes et leur liberté sexuelle, un pré re-
quis à la libération homosexuelle. La Révolution a aussi détruit la position
contrôlée par la Mafia et alimentée par le tourisme US qui maintenait les
homosexuels et lesbiennes sous un joug. La Révolution entreprit de four-
nir une éducation et un emploi aux femmes prostituées. Les lesbiennes
bénéficiaient des avancées sociales des femmes en général, et beaucoup
sont devenues de ferventes partisanes de la Révolution. Dʼun autre coté,
une minorité importante dʼhommes gays quittèrent le pays. Certains ont
rejoint les expatriés contre-révolutionnaires à Miami ou y ont été forcés
par le chantage. Ironiquement, les Etats-Unis, tout en menant la chasse
aux homosexuels et les jetant en prison dans la période du McCarthysme,
ouvrait grand les bras aux Cubains gays dans le cadre de la tentative de
déstabilisation généralisée du régime castriste.
Le machisme latin, la bigoterie catholique et lʼhomophobie stali-
nienne se sont combinées au début de la Révolution pour limiter les ré-
formes légales pour les lesbiennes et les gays. Cependant, ces derniers ont
joint leurs efforts dans la construction du Socialisme : la majorité espérait
un avenir meilleur, tout en gardant un profil bas.
En 1965, Cuba était soumis aux agressions des Etats-Unis (Baie des
Cochons en 1961, Crise des Missiles en 1962, des incursions militaires
et biologiques incessantes à partir de la Floride). Des brigands contre-
révolutionnaires sévissaient dans les montagnes de lʼEscambray. Dans un
effort maladroit de faire participer aux efforts de la récolte de canne à su-
cre tous ceux qui réussissaient à échapper au service militaire — depuis les
gays jusquʼaux Témoins de Jehova en passant par les travestis — , le gou-
vernement créa les Unités Militaires dʼAide à la Production (UMAP).
A la suite de pressions internes et internationales, et aussi suite à une
intervention politique directe de Fidel Castro, les UMAPs furent suppri-
mées 18 mois plus tard. Les Cubains considèrent le projet des UMAPs
comme une grave erreur et une atteinte au principe dʼégalité socialiste.
Cependant, la droite persiste à décrire les UMAPs comme des camps de
concentration, et laissent entendre quʼelles existent toujours. «Avant la
Nuit» se sert des UMAPs pour renforcer lʼimage dʼun Cuba transformé
en colonie pénitentiaire pour les gays.
A la fin des années 60, lʼattitude de Cuba à lʼégard des lesbiennes et des
gays était en synchronisation avec les pays dʼEurope ou le Canada. Lʼho-
mosexualité était traitée comme une «maladie» qui devait être soignée et
non plus comme une activité criminelle.
Dans les années 70, on abandonna la notion importée du Stalinisme-
Maoisme selon laquelle lʼhomosexualité était une «manifestation de la
décadence capitaliste». LʼHomosexualité était perçue comme une forme
de comportement sexuel quʼil fallait étudier.

En 1971, un pas en arrière fut accompli lorsquʼun Congrès Culturel
a adopté une déclaration qui stipulait «quʼaucun homosexuel ne pouvait
représenter Cuba». Le décret fut contesté devant la justice par un groupe
de théâtre et fût finalement abrogé deux ans plus tard. Tout comme au
Canada dans les années 70 et début 80, les gays Cubains souffraient du
harcèlement routinier des policiers et faisaient lʼobjet de dénonciations
honteuses en public. Mais à Cuba il nʼy a jamais eu de tortures pratiquées
sur les gays.
LE BOND EN AVANT
1975 : les lois qui limitaient lʼemploi des homosexuels dans les domaines
de lʼart et de lʼéducation sont abrogées. Un code de la famille fût adopté
qui préconisait une responsabilisation à égalité entre hommes et femmes
pour lʼéducation des enfants et les tâches ménagers.
1979 : les actes homosexuels sont dépénalisés.
1981 : le bestseller Cubain «Pour défendre lʼamour» (traduction du titre
anglais), par le Dr Sigfried Schnabl, déclare que lʼhomosexualité «nʼest
pas une maladie, mais une variante de la sexualité humaine».
1986 : La Commission Nationale sur lʼEducation Sexuelle présente un
programme sur lʼhomosexualité et la bisexualité qualifiées de saines et
positives.
1987 : Interdiction pour la police de harceler les gens pour leur apparence
ou leur manière de sʼhabiller. Cette interdiction profite largement aux
gays.
1988 : la loi contre lʼhomosexualité «ostensible» est abrogée. Fidel
Castro explique quʼil est temps de rejeter les rigidités et de changer les
attitudes négatives envers les gays dans le Parti et la société .
1992 : Vilma Espin, dirigeante de la Révolution et présidente de la
Fédération des Femmes Cubaines condamne les préjudices à lʼégard des
gays et lesbiennes. Castro sʼexprime en faveur de lʼégalité des femmes et
rejette les sentiments anti-gays : «je suis absolument contre toute forme
de répression, de mépris, de critique ou de discrimination à lʼégard des
homosexuels. [Il sʼagit] dʼune tendance humaine naturelle quʼil faut sim-
plement respecter.»
1993 : Sortie du film à succès financé par lʼEtat, «Fraise et Chocolat»,
qui critique la discrimination des gays par le Parti Communiste dans les
années 70 et 80. Le film remporte un très vif succès à Cuba et reçoit les
louanges du monde entier. Le premier groupe de gays pour combattre le
SIDA est lancé.
1994 : le documentaire «Gay Cuba», de lʼétat-unien Sonja de Vries, exa-
mine avec franchise la situation des droits des gays sur lʼîle. Le film est
projeté à lʼouverture dʼune soirée de la Fédération des Femmes Cubaines
(FFC). La FFC invite des gays état-uniens à visiter lʼîle.
1995 : le documentaire cubain «papillons sur lʼéchafaud» (traduction du
titre anglais, «papillon» = expression pour dire «gay») raconte comment
des travestis se sont intégrés dans un quartier de la Havane. Des gays et
travestis Cubains dansent en tête du cortège du 1er Mai à la Havane, et
deux délégations état-uniennes de gays participent à la marche.
1997 : les dernières traces de références anti-homos dans la loi cubaine
sont supprimées.
1998 : un programme national à la télévision cubaine lance une
série de débats sur les lesbiennes et les gays. Pendant les semaines qui
suivent, le sujet provoque des discussions à travers le pays.
AUTRE LUTTE, AUTRE COMBAT
Contrairement à beaucoup de leaders gays au Canada qui considèrent que
la fin du fin seraient que les mariages gays bénéficient des mêmes avanta-
ges et droits que les mariages mixtes, les lesbiennes et gays de Cuba ont
dʼautres préoccupations. A Cuba, le mariage nʼest pas considéré comme
un but ultime dans la vie. Le système social Cubain garantie une protec-
tion à vie pour tous, particulièrement pour les enfants et les personnes
âgées. De même que la santé, lʼalimentation, le logement, lʼéducation et
lʼemploi ne constituent pas un enjeu majeur pour les gays à Cuba, comme
cela est le cas dans des pays «avancés». Les malades du SIDA à Cuba (qui
a le plus faible taux de sidéens de toute lʼAmérique), reçoivent lʼintégra-
lité de leur salaire et bénéficient de soins gratuits, quʼils soient en capacité
de travailler ou non.
La violence physique contre les gays a disparu depuis 1959. Les
médias décrivent pas les gays et lesbiennes comme des hédonistes, des
narcissiques ou des pédérastes. Il nʼy a pas de groupes de pressions riche-
ment financés et des manifestations homophobes.
Les lesbiennes, les gays et les travestis peuvent se réunir librement, tant
quʼil nʼy a pas de drogues ou de prostitution en cause.
Les transsexuels bénéficient dʼopérations chirurgicales prises en charge
par lʼEtat. Les syndicats, les écoles et les organisations de masse défen-
dent officiellement leur membres homosexuels contre les discriminations.
Les harcèlements mineurs de la part de la police sont en nette baisse.
La lutte pour les droits des homosexuels à Cuba ne présente pas le mêmes
caractéristiques que chez nous parce que de nombreux objectifs légaux
et les revendications dʼégalité dʼici sont déjà satisfaits là-bas. Ce que les
homosexuels Cubains réclament est le respect total et la dignité dans le
milieu social, et la reconnaissance que leur contribution à la société en
tant que gays, lesbiennes et travestis vaut autant que celle de leurs com-
patriotes hétérosexuels.
AUCUN HOMO NʼEST LIBRE
SI TOUT LE MONDE NʼEST PAS LIBRE
A chaque nouvelle du meurtre dʼun gay aux Etats-Unis ou ailleurs, les
Cubains sont révulsés dʼhorreur, et prennent toute la mesure des obsta-
cles quʼils ont réussi à surmonter et des erreurs quʼils ont évitées dans le
passé, et renforcent leur détermination à intégrer leur propres citoyens
gays. Au début des années 60, une section du Parti Communiste Cubain
considérait lʼhomosexualité comme une déviation capitaliste. A présent,
les Cubains comprennent que la haine et la discrimination contre les gays,
ainsi que contre les femmes ou les gens de couleur, est plutôt une maladie
du capitalisme.

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