Gay = Good As You!

Ou la nouvelle définition de gay d’après notre collaborateur spécial.
Par: Alain Hochereau
Et pourquoi d’abord les gais seraient-ils gais.. ou tristes, d’ailleurs?
C’est idiot! Derrière la formulation de la question, jeu de mots facile,
ébauche d’une réflexion qui se cherche, je pressentais déjà que ça
ne me mènerait pas bien loin. Et mes amis gais d’y aller de leur « la-
gaieté-n’est-pas-une-affaire-d’orientation-sexuelle » apitoyé.
Oui, mais d’où sort-on que les homos sont gais et les hétéros sont
straights?  La première fois qu’on m’a demandé si j’étais « straight »,
j’ai répondu en toute honnêteté que je me considérais plutôt comme un
garçon « cool » et pas si « straight » que ça. Et je n’avais pas alors les
moyens de faire de l’esprit, puisqu’à l’époque je ne savais pas qu’on
pouvait être « gai » indifféremment de son humeur.
Ce serait un poète du XVIème qui aurait le premier utilisé le terme
de gai pour rendre hommage à son « mignon ». Ou alors, ce serait
la désignation consacrée des « gentils organisateurs » new-yorkais
des années vingt, qui ont les premiers lancé des bals « coming out »
auxquels les hétérosexuels comme les homosexuels étaient invités.
Ou bien encore, cela viendrait de l’acronyme « Good As You» que les
émeutiers de Stonewall jetaient en 69 à la tête des policiers, pour leur
crier « Nous sommes aussi bien que vous ». Cela pourrait, parait-il,
même venir de Gaïa, la personnification de la Terre dans la mythologie
grecque. Mais ça c’est peut-être un peu tiré par les cheveux. En fait,
personne n’en sait rien et à vrai dire, ça importe peu.
D’ailleurs, la tendance n’est-elle pas aujourd’hui de s’affranchir de cet
épithète? Si on n’a jamais autant assumé son orientation sexuelle,
on veut de moins en moins être défini comme appartenant à une
communauté gaie. Beaucoup de mes amis me disent qu’ils ne sont
pas gais, mais qu’ils sont simplement aux hommes. Le philosophe
Didier Eribon, qui s’est penché sur la pertinence de la notion de
communauté gaie, déclarait dans une entrevue que «vouloir parler
au nom de la communauté présupposerait non seulement qu’une
telle communauté existe mais qu’elle serait un groupe homogène
doté d’un ensemble d’idées ou d’objectifs bien identifiables.
Ce n’est évidemment pas possible – et d’ailleurs pas souhaitable – que
cela puisse le devenir. Il faut le dire clairement : la communauté gaie et
lesbienne n’existe pas ! Ce qu’on appelle la communauté est une réalité
très floue, impossible à circonscrire et à définir. Ce n’est rien d’autre au
fond, que la somme, jamais définitive, des comportements, des actions, des
écrits, des paroles, etc. de tout un ensemble de gens très différents les uns
des autres. C’est donc toujours en tant qu’individu que je m’exprime. »
De la même façon, si la communauté gaie n’est en fait qu’une vision de
l’esprit, il semblerait difficile d’évoquer des éléments fédérateurs qui la
constitueraient, comme par exemple l’humour.
Existe-t-il un humour gai? En Amérique du Nord, on n’a pas beaucoup de
« spécialistes » de l’humour, francophones et gais. Il y en a pourtant un
qui est à la fois humoriste, acteur, francophone, gai et beau bonhomme
(Ça c’est la cerise sur le Sunday). C’est tout un personnage qui a son idée
sur l’humour gai et sur l’humour en général au Québec. Et cette idée, qui
choque parfois parce qu’elle dit souvent ce qu’on ne veut pas entendre, ne
manque ni de pertinence, ni de tendresse. Ça donne à réfléchir. Il s’appelle
Luc Provost, mais on le connaît mieux sous le pseudonyme de Mado
Lamotte. Instants choisis d’une discussion à bâtons rompus sur l’humour,
les gais et la société québécoise…
Pour Luc, il existe un humour gai, comme il y a un humour de gars ou un
humour de filles. Car l’humour s’ancre dans des valeurs, des références
qui sont communes à un groupe, à une communauté. On s’intéresse ou
pas à Barbie, à Dalida ou à Twinky Winky, mais ça n’a pas le même sens
selon que l’on soit grand ou petit, gai ou straight, gars ou fille… Selon le
microcosme social auquel on se rattache, on va rire ou pas. L’humour est
le fruit d’une complicité collective. Et les gais constituent une collectivité
internationale. Comme le dit Luc, « les gais voyagent beaucoup et leurs
icônes culturels voyagent avec eux ». L’humour gai s’il existe serait alors
plus mondialisé que l’humour straight.
Pourtant, s’il est de plus en plus difficile de parler de communauté gaie
sans sombrer dans des généralités, parler de réalité straight est sans doute
encore plus réducteur.  Ce qui fait, qu’à partir d’une discussion sur le sexe
ou l’orientation sexuelle de l’humour, on en est venu tous naturellement
à parler de société, de la société québécoise. Car « l’humour est le reflet
d’une société » comme le fait remarquer Luc. Alors, qu’en est-il du
Québec?
Où en est notre humour? « Je ne m’intéresse plus à l’humour depuis le Groupe
Sanguin et Rock et Belles Oreilles » me lance mon interlocuteur. Devant
ma mine perplexe, il m’explique son point de vue. « L’humour au Québec
est devenue une business». Il y a un type d’humour qui marche et auquel on
doit se conformer. Il faut faire du stand-up comique. Le reste n’intéresse pas
les producteurs. « On m’a dit que j’avais un humour trop gai. Je m’intéresse
à des sujets d’actualité, quand les autres font de l’humour de gars : on parle
du travail, des choms, des blondes… ». C’est facile et ça marche. C’est
l’essentiel…  Et pour faire rire selon les règles, il n’y a pas que la légèreté du
propos qui compte. Il y a aussi un rythme qu’il faut respecter.  « Après mon
premier show à l’extérieur du Village, au Spectrum, mon producteur m’a dit
que c’était bien mais qu’il fallait que je prévois un gag toutes les 7 secondes.

Et puis, il faut dire aussi que comme le fait remarquer Luc, la société en
général ne nous aide pas beaucoup à aller mieux! « La société nous donne
un ou deux modèles à suivre. A partir de là, on a le choix entre inventer
un nouveau modèle (ce qui est dur) ou être malheureux (ce qui est quand
même plus facile) parce qu’on ne fite pas dans le moule ».
Du coup l’humoriste se doit non seulement de soulager, mais aussi, s’il
le peut, de montrer la voie vers une autre réalité possible. « Ce n’est
pas étonnant que les célibataires soient malheureux. Pour notre société,
lorsqu’on est célibataire c’est nécessairement qu’on a un problème. Moi
je veux montrer une autre réalité. Est-ce qu’on ne pourrait pas faire la
promotion du célibat? ». C’est une autre façon de voir. Mais, qu’on soit
d’accord ou pas, c’est toujours bon de voir l’envers du décors. C’est ce
que Luc, dit-il, aime enseigner dans ses textes.
Mado, la rebelle. Il est certain qu’un tel discours comporte le risque
de ne pas faire l’unanimité. Mais après tout, si Mado est sans doute un
personnage très controversé, c’est qu’elle ne cherche pas à rentrer dans
le rang et vit ouvertement ses « colères ». Luc le dit lui-même : « je suis
un humoriste marginal. Sur scène, lorsque je parle de politique, il est
possible que la moitié de la salle ne comprenne rien. Mais je sais que
l’autre aime. Et à la fin, certains me disent que « ça fait du bien d’entendre
autre chose » ».
Et c’est sans doute là qu’est l’essentiel : proposer une alternative, pas
toujours le même discours dans le même moule. « A Montréal, on
n’est pas audacieux, regrette Luc. On ne va pas non plus laisser parler
les audacieux. Regarde les Aparthistes, en dehors du Lion d’Or et de
l’émission de Marie-France Bazzo, on ne les voit pas beaucoup ».
Sur la voie de l’humour. Alors finalement, que l’humour soit gai ou
straight, peu importe puisqu’en fait il est multicolore. Il y a autant de
formes d’humour que d’histoires personnelles et l’important n’est pas
de savoir quel humour convient à notre société, mais d’en respecter la
polymorphie. Luc m’a confié que ce qui le faisait rire c’était sans doute la
vie, parce qu’on a souvent tendance à la prendre trop au sérieux.
Et c’est peut-être ça l’humour au sens large du terme: se moquer de la
vie gentiment parce qu’on la regarde trop sévèrement plutôt que de lui
sourire, se moquer de nous même parce qu’on se prend finalement trop au
sérieux, alors qu’on n’a en fait qu’une vie à vivre. « Qui aime bien châtie
bien », alors moquons-nous, moquons-nous, mais jamais méchamment.
Car on ne fait bien rire que lorsqu’on aime bien. Après tout, Humour rime
avec Amour. Mado le sait bien, et le vit avec nous chaque fois qu’elle
passe sur scène.
Quels sont critères pour savoir si je suis gay?
On produit du rire pour faire de l’argent. Il y a une recette pour ça
et on l’enseigne même dans une école. » Mais y a-t-il vraiment une
martingale du rire? Un-deux-trois, riez! Comme dans les séries télévisées
américaines. Luc croit à l’intuition. « Je ne pense pas à faire rire, ça vient
tout seul. Je crois que je suis né, pis j’ai fait rire le docteur! » A l’époque,
il était bien sûr trop jeune pour vraiment y réfléchir. Mais aujourd’hui
encore, il a gardé cette fraîcheur de l’instant, du spontané.
Et puis l’important n’est-il pas d’échanger avec son auditoire et de lui
apporter finalement ce dont il a besoin?  D’abord, Luc aime être en contact
direct avec son public. « Un spectacle de Mado, c’est comme un party de
famille. Je préfère mon cabaret au théâtre Saint-Denis, parce que je peux
y voir tout le monde». La seule exception c’est lors de la Gay Pride, à
l’occasion du spectacle de drag-queens « Mascara ». Un bain de foule de
30,000 personnes, c’est la montée d’adrénaline qu’il s’autorise une fois
par an. Le reste du temps, il préfère connaître son public. Ça permet plus
d’intimité, de complicité et de profondeur.
D’ailleurs, rajoute-t-il, « le public n’a pas besoin de rire tout le temps. Et
de toute façon, on ne va pas loin si on veux juste faire rire. Dans vingt ans,
on ne souviendra que des humoristes qui auront eu un discours. Les gens
ont besoin de rire, mais ont aussi besoin d’être éduqués. Personnellement,
j’ai le goût de faire passer des messages. Il arrive que certains de mes
textes publiés dans Fugues ou Ici ne soient pas drôles. Pourtant, mes
lecteurs m’écrivent pour me dire que, s’ils n’ont pas ri, ils ont été touchés
par mon discours ».
Personnages publics, les humoristes auraient une responsabilité vis à vis de
leur public.  Simple baume au coeur ou catharsis de nos sociétés malades,
le rire fait dans tous les cas du bien par où il passe. « Des spectateurs
viennent me voir après le spectacle de Mado pour me dire « Ça m’a fait
du bien ». Pour moi, l’humour c’est une petite capsule de bonheur. Je crois
que l’être humain n’a pas une aptitude naturelle au bonheur. Les gens
aiment se plaindre et s’ils n’ont pas de raison de le faire, ils vont se trouver
des problèmes. Et à longtemps chercher les bibittes, on finit souvent par
les trouver. Moi je suis rarement bougon, mais quandn’y pense pas continuellement et ça passe vite ».