Il ne faut pas réduire l’homosexualité à la Gay Pride

Marianne2.fr

Alors que l’Etat de New-York vient de légaliser le mariage homosexuel, l’Assemblée nationale s’est, elle, prononcée contre. Le mouvement français favorable à cette légalisation continue de militer, au risque, parfois, de verser dans le ridicule selon Philippe Bilger.



Je vais me faire taper sur l’esprit par beaucoup.

Parce que ces derniers jours nous ont confrontés sur les plans parlementaire, politique, moral et festif à l’homosexualité, aux droits réclamés par cette communauté en France et à la tragique condition des homosexuels dans au moins soixante-dix pays du monde où cette orientation intime est pénalisée.

L’Assemblée nationale s’est déclarée hostile il y a peu au mariage homosexuel. La Gay Pride annuelle, dont la marraine était Arielle Dombasle, a offert, avec des dizaines de milliers de participants, ses chars, ses provocations ostensibles, ses accoutrements singuliers, son exhibitionnisme, sa diversité, le spectacle à la fois étrange et familier d’une humanité proche et lointaine, couronné par une manifestation collective d’affection, une infinité de baisers publics. On a le droit d’aimer cela, on peut y voir l’expression d’une fierté tellement désireuse de s’afficher qu’elle en fait trop pour rattraper tant d’humiliations, de silences et de discriminations. On a le droit aussi de considérer cela comme une cause exploitée et récupérée par la mondanité, destinée moins à convaincre les hétérosexuels rétifs qu’à se féliciter de l’adhésion unanime des homosexuels, d’autant plus que l’échéance présidentielle de 2012 permettait à cette masse, dans la musique et l’effervescence, la joie surjouée et les slogans prévisibles, de se donner une ambition politique en rêvant d’une égalité absolue des droits entre ceux qui la composaient, et tous les autres qui s’inscrivaient dans la normalité sociale et l’évidence naturelle d’aujourd’hui. En plus, l’Etat de New York venant de légaliser le mariage homosexuel donnait des ailes à l’espérance militante française !

J’avoue, sans doute à cause d’un tempérament que le collectif, la surenchère et la caricature mettent mal à l’aise, être gêné par cette « marche des fiertés » qui inéluctablement me fait songer aux exemples outranciers que l’humanité propose dans tous les registres sexuels. Parce que je suis exaspéré devant le comportement de certains hétérosexuels, portant leur virilité tel un précieux et lassant trophée et s’abandonnant sans s’en rendre compte à une forme de grimacerie navrante, je m’estime autorisé à souligner que, de l’autre côté, un Laurent Ruquier pouffant et se congratulant à chaque seconde, avec force mimiques, exclamations et démonstrations, même en face d’un François Bayrou remarquable entre sérieux et dérision, donne de l’homosexualité, pour l’apparence, une illustration qui fait évidemment trop plaisir aux adversaires obtus et superficiels de celle-ci.

A la Gay Pride, il y avait, comme il se doit, des personnalités politiques au premier rang desquelles Bertrand Delanoë, Jean-Luc Mélenchon, Eva Joly et Jack Lang. Elles ont expliqué que leur présence était d’autant plus justifiée cette année qu’en 2012 l’égalité entre homosexuels et hétérosexuels, notamment par l’adoption du mariage pour les premiers, serait garantie.

Leur conviction se fondait sur le fait que l’humanité était évidemment ce qui constituait comme semblables et, d’une certaine manière, fraternels les uns et les autres. L’argument est fort et pourrait en effet fonder l’équivalence personnelle et sociale des droits. Tous hommes ou femmes quel que soit leur choix sexuel, pourquoi ne pas les traiter, alors, en portant sur eux exactement le même regard politique et social ? Reste qu’au FN ou à l’UMP, les adversaires du mariage homosexuel même les plus rigidement conservateurs n’oseraient pas dénier cette appartenance à une même humanité et que leur opposition est plutôt motivée par le fait qu’au-delà de cette humanité indivise, la différence des rôles, des fonctions et des finalités légitimerait des appréhensions distinctes par rapport à nos normes façonnées par le temps et aux exigences de notre société. L’interrogation est-elle si choquante, si aberrante et suffit-il, pour la négliger, de soutenir comme Jack Lang que le mariage homosexuel s’inscrit « dans le mouvement de l’humanité » ? Ou de considérer, comme Roselyne Bachelot, qu’il est inéluctable, comme Alain Juppé, qu’il serait acceptable, de préférence avec un autre nom (LCI), ou de reprocher au président de la République, comme Jean-Luc Romero, d’avoir trahi ses promesses ? La bêtise du « il n’y a qu’à » est infinie et, sur les thèmes qui font se téléscoper l’humain et le culturel, l’égalité théorique et des pratiques intimes naturellement et socialement contradictoires, d’autant plus dommageable.

Heureusement, ce combat pour la dignité des homosexuels et leur défense ne se réduit pas à ce théâtre mondain et incontournable qu’est devenue la Gay Pride. Une pétition signée par des personnalités, pour la plupart estimables, vient de réclamer, dans un texte remarquable, « la dépénalisation universelle de l’homosexualité », en rappelant qu’au moins soixante-dix pays dans le monde condamnent ceux qui, hommes ou femmes, la vivent au quotidien, souvent dans la peur et l’opprobre (Le Monde). Sans doute cette lutte bénéficie-t-elle d’un assentiment unanime parce qu’elle relève d’un humanisme élémentaire, du souci de voir consacré l’exercice d’un droit fondamental – pouvoir librement exercer sa sexualité sans avoir à la justifier ni à s’en défendre – et  ne prétend pas s’immiscer dans le détail de mesures sociales et politiques favorisant l’aspiration à une égalité concrète dans un débat dont ce collectif admet le caractère « complexe ».

Au fond, rien ne sert, pour l’homosexualité, de se célébrer elle-même mais tout doit concourir à la rendre familière et présente tranquillement. Il faut qu’on ait envie de se battre pour elle. Qu’elle nous facilite aussi la mise en œuvre de cette résolution.