Gay Globe Magazine souhaite publier certaines décisions des tribunaux du Québec afin de mieux comprendre l’application concrète des lois quant à l’orientation sexuelle. Les jugements publiés ici proviennent du site Jugements.qc.ca
(Résumé) Le Tribunal des droits de la personne est saisi d’une demande dans laquelle la Commission des droits de la personne, agissant au nom du plaignant M. X, allègue que les défenderesses, Bronzage évasion et Mme Lorraine Dumaresq, ont porté atteinte de manière discriminatoire au droit à l’égalité de M. X en mettant fin à son emploi en raison de son orientation sexuelle, contrevenant ainsi aux articles 10 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne.
Le 18 décembre 2003, M. X débute un emploi à temps partiel au salaire minimum, à raison de 20 heures par semaine, auprès de la défenderesse Bronzage évasion. Ses tâches consistent entre autres à prendre les rendez-vous en personne ou par téléphone, à prendre les messages ainsi qu’à effectuer le nettoyage des cabines du salon. Le 12 janvier au matin, Mme Dumaresq le rappelle à nouveau chez lui. C’est le père du plaignant, M. Y, qui répond au téléphone. Voyant qu’elle ne peut parler à M. X car il dort encore, elle questionne alors son père sur son orientation sexuelle en lui demandant à deux reprises si son fils était « gai ». En réponse à sa question, son père lui répliquera qu’« elle n’a qu’à lui demander elle-même ». C’est alors que Mme Dumaresq dit : « Ah, tu ne savais pas que X était gai ? ».
Témoignant au sujet de cette conversation avec Mme Dumaresq, M. Y confirme les propos échangés entre eux sur l’orientation sexuelle de son fils. Il déclare d’ailleurs que ce dernier lui avait fait part de son orientation sexuelle seulement 15 jours avant les évènements. M. Y témoigne que Madame lui a également mentionné le fait que son commerce n’était pas un « dépanneur », mais un «endroit respectable», et qu’elle avait besoin à son emploi de « quelqu’un de viril ». La même journée, M. X retourne chez Bronzage évasion afin de rapporter les clefs de l’entreprise. S’ensuit un entretien avec Mme Dumaresq qui porte «majoritairement», aux dires du plaignant, sur son orientation sexuelle. Tout en réitérant son insatisfaction face au travail, elle lui dit qu’il « manquait de virilité », ce dont des clients se seraient plaints. Elle lui mentionne aussi désapprouver son comportement, car il ne correspondait pas aux exigences d’un salon.
À la fin de cet entretien, Mme Dumaresq lui a alors indiqué la porte de l’établissement, en ajoutant qu’elle le congédiait pour le protéger des préjugés de la clientèle. Au moment de son départ, Mme Dumaresq s’est pointée le doigt sur la tempe en lui disant : « Le problème est dans ta tête ». Après ces incidents, le plaignant a témoigné qu’il s’était senti profondément blessé. Selon lui, il est particulièrement frappant et choquant à 17 ans d’être renvoyé d’un emploi en raison de son orientation sexuelle.
DÉCISION: L’emploi des termes « peu viril » et « gai » par Mme Dumaresq fait une référence directe à l’orientation sexuelle du plaignant, d’autant plus qu’elle a utilisé les mêmes termes avec insistance, au téléphone, lors de sa conversation avec le père du plaignant. Il est évident, dans le contexte social actuel, qu’une personne raisonnable placée dans la situation de Mme Dumaresq aurait dû prévoir et savoir que le congédiement de M. X pour les raisons invoquées était une atteinte à son droit d’être traité sans discrimination fondée sur son orientation sexuelle. Plus qu’une simple négligence de la part de Mme Dumaresq, le fait d’avoir prétexté son comportement peu viril et la nécessité de le protéger contre les préjugés de la clientèle, tout comme les propos qu’elle a tenus au père du plaignant en lui demandant directement si son fils était gai, manifestent une volonté certaine d’aller dans le sens de l’atteinte à son droit à l’égalité dans la reconnaissance et l’exercice des droits de la personne.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL: CONDAMNE les défenderesses, Mme Lorraine Dumaresq et l’entreprise 9113-0831 QUÉBEC INC., à verser solidairement à M. X une somme de huit mille cinquante-huit dollars (8058,00$).