Jugement québécor

Les faits exposés démontrent clairement et sans équivoque possible
quʼune photo protégée par un droit dʼauteur en faveur du requérant
fut utilisée par des médias sous le contrôle de la partie intimée. Le
représentant et gestionnaire entendu pour le compte de celle-ci fait
valoir devant la cour que les deux journaux qui ont reproduit la photo en
question lʼont “utilisée de façon équitable” au sens de la loi. De plus, il
nous fait remarquer que le nom du photographe était mentionné et que
subsidiairement, si la réclamation devait être reçue, le quantum en est
grossièrement exagéré. Il y a lieu de reprendre et de discuter des trois
points soulevés.
“Lʼutilisation équitable” dʼune œuvre protégée. Les articles 29 et
suivants de la Loi sur le droit dʼauteur prévoient en effet des exceptions
à lʼinterdiction dʼutiliser une œuvre protégée. Cʼest ainsi quʼest né le
concept “dʼutilisation équitable”. Sous ce vocable, la loi a prévu que
lʼutilisation privée dʼune œuvre aux fins dʼétude ou de recherche, ou
bien encore pour la critiquer ou en faire un compte-rendu, voir même
en faire une nouvelle et la rendre publique, constituent des “utilisations
équitables” qui sont permises sans avoir à obtenir dʼautorisation.
Ainsi donc, lʼintimée nous représente que les reportages de ses deux
hebdomadaires accompagnés dʼune photo appartenant au requérant
constituaient des nouvelles dʼintérêt général et que partant elle pouvait
les publier sans autorisation préalable. Le Tribunal fait remarquer quʼil
est sans doute exact que lʼévénement rapporté pouvait constituer en soi
une nouvelle dʼintérêt public et faire lʼobjet dʼune chronique. Il nʼy aurait
rien à redire à ce sujet sʼil était présenté comme tel. Mais ce qui fait
problème et constitue une dérogation à la loi, cʼest dʼabord le fait dʼavoir
accompagné la nouvelle dʼune photo qui se irouve protégée par un droit
dʼauteur. Sans doute que la nouvelle, si elle en est une, rencontrerait en
lʼespèce les critères de “lʼutilisation équitable”, mais très certainement
pas la photo qui lʼaccompagne. Mais il y a davantage.
Quoiquʼen dise lʼintimée, le compte-rendu que lʼon fait de lʼévénement
dont il est question ici, revêt plutôt les allures dʼune publicité commerciale.
De lʼhumble avis de cette cour, le fait dʼinviter les lecteurs dʼun journal
à se rendre tel jour, à telle heure, dans un bar bien identifié pour se faire
offrir des consommations par une vedette de passage, constitue un
publireportage et non un reportage. Dans le Guide de déontologie de la
Fédération professionnelle des journalistes du Québec, dont un exemplaire
a été déposé au dossier sous la cote P20, on peut lire au paragraphe 5d que
“lʼinformation et la publicité doivent être séparées”. Le Guide va même
plus loin et précise que “les journalistes nʼécrivent pas de publireportages
et que sʼils le font, ils ne les signent jamais”. Or cela a été fait et a été
signé. Plus encore. Le meme reportage est reproduit textuellement dans
deux journaux distincts sous le nom de journalistes différents selon la
région où il est publié. Cette façon de faire pour le moins éthiquement
douteuse enlève tout sérieux à lʼargumentation de lʼintimée.
Lʼexception au privilège du droit dʼauteur revendiquée par la défense
est rejetée. Ce Tribunal considère quʼil nʼy a rien dʼéquitable dans la
manœuvre de lʼintimée qui prend prétexte dʼune nouvelle à caractère
publicitaire pour sʼemparer dʼune photo qui ne lui appartient pas et
lʼutiliser à des fins commerciales.“La mention du nom du photographe”.
Lʼintimée plaide également quʼen inscrivant le nom du photographe,
elle sʼest acquittée des obligations qui lui sont imposées par la loi. Avec
Les articles 29.1 et 29.2 stipulent bel et bien que “la source” doit
être révélée. Le Guide de déontologie… auquelnous avons référé un peu
plutôt indique lui aussi, en son paragraphe 6 que “les journalistes doivent
identifier leurs sources dʼinformation”. Or en lʼespèce, cela nʼa pas été
fait, la provenance précise de la photo nʼest pas révélée. Bref, la seule
mention du nom du photographe ne respecte ni les exigences, ni lʼesprit,
ni la lettre de la Loi sur le droit dʼauteur.
“Le quantum”. Le requérant réclame 5,225.70 $ à titre de dommages et
intérêts. Lʼintimée réplique que la demande est disproportionnée avec les
dommages réellement subis, que les sommes habituellement consenties
par les tribunaux en semblable matière sont beaucoup moindres et
enfin que des tarifs sont déjà établis pour couvrir les frais et honoraires
de lʼauteur dʼune photographie. En ce qui concerne ce dernier point,
le Tribunal fait remarquer tout de suite que si lʼintimée voulait sʼen
tenir au tarif, il eut mieux valu pour elle dʼen discuter avec lʼintéressé
avant dʼutiliser sa photo. Cela dit, dans le contexte du présent litige,
nous retenons que le tarif est un paramètre parmi dʼautres dans notre
évaluation de lʼindemnité pour compenser les préjudices dont se plaint
lʼauteur de la photo.
La défense soulève encore que ses deux journaux ont un tirage inférieur
à 25,000 copies et ne circulent que dans deux régions bien délimitées de
la Gaspésie, nous suggérant par là que lʼimpact du reportage litigieux
demeure bien modeste. Le requérant réplique à ce propos que les
reportages étaient bien mis en évidence dans les journaux en question,
que sa photo revenait à plusieurs reprises et que partant, dans les régions
visées, tout le monde sʼest trouvé bien informé. Nous tiendrons compte
de tout ceci. Nous sommes toujours dans le cadre de nos commentaires
concernant le “quantum” ou lʼévaluation du montant qui devrait être
attribué pour les dommages qui auraient été causés au requérant.
En plus dʼêtre photographe, le requérant est aussi journaliste, rédacteur
en chef et lʼéditeur dʼune revue qui sʼappelle Le Point La Revue Mec.
Il plaide avec insistance pour souligner que sa revue défend des valeurs
diamétralement opposées à ce qui est suggéré dans les reportages auxquels
on a associé sa photo. Ainsi, sa revue dénoncerait systématiquement
lʼusage du tabac pour favoriser des produits qui améliorent la santé. (…)
Somme toute, ce qui reste de plus accablant dans toute cette affaire, cʼest
que lʼintimée, sous un prétexte fallacieux, se soit permis de puiser une
photo dans les dossiers dʼune entreprise plus modeste. Ce quʼil y a de
plus détestable dans toute cette affaire, cʼest de voir cette même intimée
se replier ensuite derrière le paravent de la loi pour tenter de se disculper
ou de négocier à rabais. Lʼintimée devant nous sʼest dit de bonne foi. Ce
nʼest pas ce qui ressort de lʼensemble de la preuve dont il se dégage plutôt
quʼil a fallu la vigilance et le courage dʼun concurrent pour que le respect
de ses droits soit mené jusquʼà jugement.
Considérant le pour et le contre, mitigeant le tout à la lumière de ce qui
est habituellement accordée par les tribunaux en semblable matière, les
montants suivants sont alloués au requérant :
Frais et honoraires pour la création et la publication de la photo : 600.00$;
Utilisation non autorisée de la photo : 1,000.00 $;
Photocopies, présentation du dossier devant la cour et voyage du requérant
de Montréal à Matane pour le procès : 600.00 $;
Frais judiciaires, intérêts et indemnité additionnelle