COUR DU QUÉBEC
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
MONTRÉAL
« Chambre civile »
N° :
500-22-164824-099
DATE :
Le 13 février 2012
______________________________________________________________________
SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE
ARMANDO AZNAR, J.C.Q.
______________________________________________________________________
ROGER-LUC CHAYER
Demandeur et défendeur reconventionnel
c.
PIERRE-ANDRÉ VAILLANCOURT
Défendeur et demandeur reconventionnel
______________________________________________________________________
JUGEMENT
______________________________________________________________________
[1] Le litige opposant le demandeur au défendeur a pour trame de fond un litige antérieur introduit en Cour Supérieure en 2001 (dossier 500-05-067713-014) opposant le demandeur, Roger-Luc Chayer, à une série de défendeurs dont le défendeur en la présente instance.
[2] Dans le dossier de la Cour Supérieure, le demandeur Chayer reprochait aux défendeurs, dont le défendeur Vaillancourt, d’avoir tenu des propos libelleux, mensongers et diffamatoires à son endroit.
[3] La requête introductive d’instance amendée datée du 17 septembre 2003 déposée par le demandeur Chayer contenait 67 paragraphes et réclamait des défendeurs le paiement d’une somme de 400 000 $ en dommages-intérêts.
[4] L’action en dommages intentée par le demandeur Chayer en Cour Supérieure a été réglée en date du 6 novembre 2007. Ce règlement est constaté par un document intitulé « Déclaration de désistements réciproques et de règlement hors de Cour », ci-après désigné « Déclaration de désistements » (pièce P-1).
[5] Le recours du demandeur Chayer devant la Cour du Québec a pour motif le non-respect des termes de l’entente par le défendeur Pierre-André Vaillancourt.
[6] Le litige opposant les parties devant la Cour du Québec a pour origine, selon le demandeur Chayer, le non-respect des termes de la Déclaration de désistements et de l’ordonnance prononcée par la Cour Supérieure entérinant celle-ci qui ordonnait aux parties de la respecter (pièce P-2).
[7] À ce stade-ci, il convient de reproduire les termes de la Déclaration de désistements et de l’ordonnance prononcée par la Cour Supérieure :
« déclaration de désistements réciproques et de règlement hors de cour
Attendu que le requérant et les intimés Association des lesbiennes et des gais sur internet (ALGI), ci-après appelée ALGI, Mario Lalancette, Marie-Claude Carrière, Paul Lessard, François Daoust, Martin Lapierre et Pierre-André Vaillancourt, désireux de mettre un terme définitif à tout litige les opposant, sans admission de responsabilité et afin d’éviter les coûts et inconvénients d’un procès d’une durée de 18 jours, déclarent la présente cause réglée hors de Cour de la façon suivante :
1. Les parties se désistent de leurs procédures respectives, chaque partie payant ses frais;
2. Les intimés ALGI, Mario Lalancette, Marie-Claude Carrière, Paul Lessard, François Daoust, Martin Lapierre et Pierre-André Vaillancourt s’engagent à prendre les mesures nécessaires pour que toutes informations et échanges entre participants se rapportant aux faits du présent ligie soient mis hors ligne sur les sites internet dont ils ont le contrôle, et ce dans un délai de 24 heures de la signature de la présente entente, et le requérant s’engage à faire de même pour les sites qu’il a sous son contrôle dans le même délai;
3. Les parties se donnent une quittance mutuelle complète et finale, ainsi qu’à leurs représentants, administrateurs, employés, successeurs et ayants droits de toute réclamation de quelque nature que ce soit découlant ou se rapportant aux faits du présent litige.
(…)
ordonnance
(…)
Le Tribunal donne acte et entérine la déclaration de désistements réciproques et de règlement hors cour signée en date du 6 novembre 2007 et ordonne aux parties de la respecter. »
[8] À la requête introductive d’instance déposée devant la Cour du Québec, le demandeur Chayer allègue, entre autres, ce qui suit :
« 1. Le 6 novembre 2007, les parties mettaient un terme à un long litige en Cour Supérieure dans le dossier numéro 500-05-067713-014 (ci-après »le litige ») en signant une déclaration de désistement réciproque et de règlement hors cour (ci-après »l’entente du 6 novembre 2007 ») dont copie est produite au soutien des présentes pour en faire partie intégrante sous la cote P-1;
2. Le même jour, une déclaration de règlement hors cour était homologuée par l’Honorable Nicole Morneau, J.C.S., tel qu’il appert dudit jugement d’homologation produit au soutien des présentes pour en faire partie intégrante sous la cote P-2;
3. Le litige résultait de la diffusion par les intimés en 2001 de messages internet offensants pour lesquels le demandeur réclamait une somme de 400 000$ alors que les intimés, parmi lesquels le défendeur, s’étaient portés demandeurs reconventionnels pour une somme de 95 000$;
4. La considération principale de l’entente du 6 novembre 2007 apparaît au paragraphe 2 et est à l’effet que :
»Les intimés ALGI, Mario Lalancette, Marie-Claude Lapierre (sic), Paul Lessard, François Daoust, Martin Lapierre et PIERRE-ANDRÉ VAILLANCOURT (le défendeur en l’instance) s’engagent à prendre les mesures nécessaires pour que toutes informations et échanges entre participants se rapportant aux faits du litige soient mis hors ligne sur les sites internet dont ils ont le contrôle, et ce dans un délai de vingt-quatre (24) heures de la signature de la présente entente, et le requérant s’engage à faire de même pour les sites qu’il a sous son contrôle dans le même délai »;
5. Depuis le 6 novembre 2007, le vieux contentieux qui opposait les parties dans le litige semblait à toutes fins pratiques réglé, mais à sa grande déception, le demandeur a, le ou vers le 13 août 2009, découvert que des courriels anonymes étaient envoyés à des tiers avec en pièces jointes copie »d’informations se rapportant aux faits du litige », le tout à l’encontre de l’entente du 6 novembre 2007, copie d’un des dits courriels étant produite au soutien des présentes pour en faire partie intégrante sous la cote P-3;
6. Afin de faire cesser ces atteintes à sa réputation pour une affaire réglée depuis presque deux ans, le demandeur a alors demandé l’intervention de la police de Montréal qui a, à son tour, procédé à des vérifications auprès du serveur de l’auteur du message (P-3) à savoir l’entreprise Vidéotron, pour connaître l’identité de l’auteur de ce message anonyme (infofraudeur@yahoo.ca) et/ou signé d’une fausse identité (Manon Legault);
7. Il est apparu que le défendeur, qui a personnellement apposé sa signature sur l’entente du 6 novembre 2007 (P-1) était l’auteur du message anonyme (infofraudeur@yahoo.ca) et/ou signé d’une fausse identité (Manon Legault) qui communiquait à un tiers certaines des »informations et échanges entre participants se rapportant aux faits du litige », le tout en violation manifeste du paragraphe 2 de l’entente du 6 novembre 2007;
8. Le défendeur a agi malicieusement dans le seul dessein de nuire à la réputation du demandeur en faisant resurgir illégalement »des éléments d’informations et échanges se rapportant au litige » qu’il s’était pourtant engagé à mettre hors de ligne sur les sites internet dont il avait le contrôle;
9. De plus, le défendeur a tenté de camoufler son intervention illégale en agissant de manière anonyme (infofraudeur@yahoo.ca) et/ou signé d’une fausse identité (Manon Legault), démontrant ainsi clairement la conscience qu’il avait de faire du tort au demandeur;
10. Le demandeur entend prouver à l’audience que le numéro IP correspondant au message anonyme (infofraudeur@yahoo.ca) et/ou signé d’une fausse identité (Manon Legault) est celui du défendeur PIERRE-ANDRÉ VAILLANCOURT;
11. Le demandeur demande réparation des dommages moraux que lui cause le défendeur en ramenant à la surface les éléments d’un contentieux qu’il avait en toute bonne foi voulu régler au moyen de l’entente du 6 novembre 2007 (P-2);
12. Le demandeur évalue donc ses dommages moraux à 12 000$ puisque les envois du défendeur par courriel anonyme ciblaient directement des gens qui connaissaient le demandeur, obligeant ce dernier à expliquer de nouveau autant que faire se pouvait, des événements remontant maintenant à plus de huit (8) ans;
13. Le demandeur demande de plus que le défendeur soit condamné à verser à l’organisme de charité suivant: »Fondation d’aide directe SIDA MONTRÉAL » une somme de 12 000$, le tout à titre de dommages punitifs conformément à l’article 1621 du Code civil du Québec et aux articles 4 , 5 et 49 (2) de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, vu le caractère intentionnel des actes posés par le défendeur strictement dans le but de nuire au demandeur. »
[9] Le défendeur conteste l’action du demandeur et se porte lui-même demandeur reconventionnel.
[10] En fait, le défendeur ne conteste pas le fait qu’il a transmis par Internet la pièce P-3. Il plaide plutôt qu’en se faisant, il n’a pas contrevenu aux termes de la Déclaration de désistements intervenue entre les parties en Cour Supérieure puisque le texte de la pièce P-3 n’a pas été publié dans un site Internet « qu’il a sous son contrôle ».
[11] De plus, le défendeur reproche au demandeur d’avoir lui-même contrevenu aux termes de la Déclaration de désistements ainsi qu’à l’ordonnance de la Cour Supérieure l’entérinant et ce en diffusant publiquement sur Internet des informations concernant certains des faits allégués à la poursuite introduite dans le dossier 500-05-067713-014.
[12] Ainsi, aux paragraphes 29, 30, 31 et 32 de la défense et demande reconventionnelle amendée, le défendeur allègue ce qui suit :
« 29. Au contraire, tel qu’il appert du document intitulé « Dénonciation ou Approbation », pièce D-5, si reproduire dans un courriel la pétition pièce D-4 contrevenait aux termes du Désistement P-1, ce serait plutôt le demandeur qui diffuse publiquement sur internet des informations sur la poursuite dans le dossier 500-05-087713-014 dans ce document découvert par le défendeur le ou vers le 28 avril 2009;
30. Si le demandeur prétend que le défendeur est coupable d’avoir diffusé à une tierce personne « des éléments d’informations et échanges se rapportant au litige », alors le demandeur est d’autant plus « coupable » de l’avoir fait puisqu’il publie des textes sur internet répandant le document qui avait été reproduit dans le courriel P-3;
31. Par ailleurs, en décembre 2009 le défendeur a appris que si on mettait son nom « Pierre-André Vaillancourt » dans le moteur de recherche Google, tel qu’il appert de la pièce D-6, son nom apparaît comme faisant l’objet d’une poursuite judiciaire sur un site appartenant au défendeur, www.gayglobe.us, de même que la Déclaration de désistement réciproque pièce P-1;
32. Des recherches plus approfondies sur internet révèlent que le demandeur, en plus d’avoir lui-même diffusé des « informations sur le litige », a aussi créé un lien internet qui associe le nom du défendeur Pierre-André Vaillancourt avec les mots « poursuite judiciaire, outrage au tribunal, dommages moraux et punitifs » le tout tel qu’il appert de la pièce D-6. »
[13] Le défendeur allègue avoir subi des dommages en raison des agissements qu’il reproche au demandeur et il réclame donc la somme de 66 800 $ à titre de dommages-intérêts détaillés comme suit :
· Dommages moraux : 25 000 $
· Dommages exemplaires suivant les articles 4 , 5 et 49
de la Charte des droits et libertés de la personne : 25 000 $
· Pertes de revenus : 16 800 $
[14] Le Tribunal signale que le procès dans la présente affaire a duré quatre jours et par moments, la preuve présentée de part et d’autre a été peu pertinente et peu utile.
[15] Ceci dit, de la preuve, le Tribunal retient, entre autres, les éléments suivants.
[16] Parmi les écrits qui ont été communiqués par voie d’Internet dont le demandeur se plaint et qui sont visés dans la poursuite intentée en Cour Supérieure dans le dossier 500-05-067713-014, se trouve le courriel produit sous la cote P-3.
[17] Or, à cet égard, la preuve a révélé que, le 13 août 2009, le défendeur, en utilisant un nom qui n’est pas le sien à savoir Manon Legault et en utilisant aussi le nom « infofraudeur@yahoo.ca », a, par courrier électronique, fait parvenir à Mme Sandrine Viel, une cliente du demandeur, un « copie-collé » d’un article intitulé « affaire Chayer », paru en 2001.
[18] La parution sur Internet du susdit écrit avait été l’un des éléments matériels invoqués par le demandeur dans la poursuite intentée contre le défendeur en Cour Supérieure.
[19] Le fait que le défendeur est l’auteur du message transmis par courrier électronique (pièce P-3) a été établi de manière claire et limpide par l’enquête policière qui a été menée par le service de police de la Ville de Montréal et notamment par l’agent de police Benoît Soucy, lequel a témoigné à l’audience.
[20] La preuve révèle clairement, de l’aveu même du défendeur, qu’il a transmis le courriel par Internet (pièce P-3) à Mme Sandrine Viel et possiblement à d’autres personnes et que l’objectif de cette transmission était de faire connaître une série de faits qui se rapportaient au litige qui l’avait opposé au demandeur en Cour Supérieure.
[21] Le fait que le défendeur se soit caché derrière un faux nom illustre bien qu’il savait vraisemblablement que ce qu’il faisait n’était pas acceptable.
[22] La preuve démontre que le défendeur a transmis le courriel (pièce P-3) dans le but, entre autres, de dénoncer les agissements du demandeur. Toutefois, en se faisant, il a aussi porté atteinte à sa réputation et notamment, en portant à la connaissance de Mme Viel le texte de la pièce P-3 dont l’extrait suivant :
« (…)
Toujours à la quête de sensations pour alimenter son propre média et son propre « Conseil de presse gai », Roger-Luc Chayer viole régulièrement les frontières du droit à l’intégrité des personnes et des institutions. Se disant journaliste, il déforme les faits, ajoute des insinuations, des interrogations qui suggèrent des réponses malicieuses, allant jusqu’à l’invention pure et simple d’événements qu’il traite par la suite sur son média électronique Le National. Aussi, il saisira son propre « Conseil de presse gai » d’un litige dans lequel Le National ou lui-même sont impliqués.
(…) »
[23] Le défendeur prétend qu’il a décidé de faire circuler le texte contenu dans la pièce P-3 après qu’il eut lui-même constaté que le demandeur avait, selon lui, violé les termes de la Déclaration de désistements intervenue en Cour Supérieure ainsi que de l’ordonnance prononcée par la Cour Supérieure en faisant paraître, en décembre 2008, sur son site Web, un document intitulé « dénonciation ou approbation » (pièce D-5).
[24] Or, relativement à la parution du susdit document (pièce D-5), le demandeur a témoigné à l’effet qu’il ne l’a jamais fait paraître sur son site. Il affirme catégoriquement que son site a été piraté et c’est comme cela que le document s’y serait retrouvé.
[25] Afin d’établir le fait que le demandeur est seul responsable de la parution, sur son site Web, du document (pièce P-5), le défendeur a appelé comme témoin M. Eric Vinter.
[26] La preuve révèle que M. Vinter connaît le demandeur ainsi que le défendeur depuis 1999 approximativement.
[27] M. Vinter a déclaré que le document publié en décembre 2008 sur le site Web du demandeur (pièce D-5) était en fait une copie trafiquée de la pièce D-4, un des documents qui devaient être retirés des sites Internet sous le contrôle des parties aux termes de la Déclaration de désistements déposée en Cour Supérieure.
[28] Au cours de son témoignage devant le Tribunal, M. Vinter a manifesté un partie pris évident en faveur du défendeur et ce à un point tel que sa crédibilité en a été sérieusement affectée. Ceci étant, le Tribunal ne peut retenir le témoignage de M. Vinter à l’effet que M. Chayer a effectivement publié le texte (pièce P-5) sur son site Web.
[29] En fait, eu égard à l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que l’hypothèse soumise par le demandeur voulant que son site Web ait vraisemblablement été piraté ne peut être exclue. De plus, sur cette question, le Tribunal n’a aucune hésitation à retenir le témoignage du demandeur de préférence à celui du défendeur et de M. Vinter.
[30] Par ailleurs, la preuve a révélé que les agissements du défendeur (transmission du document P-3) étaient principalement guidés par l’animosité qu’il porte au demandeur.
[31] D’autre part, le Tribunal souligne que, après avoir constaté ce qu’il considérait être une violation par le demandeur des termes de la Déclaration de désistements intervenue en Cour Supérieure, à savoir la publication de la pièce D-5, il ne l’a jamais mis en demeure de la retirer de son site Web.
[32] La réaction du défendeur, agissant sous le couvert d’un faux nom, a plutôt été de faire circuler le document (pièce P-3) en le transmettant à Mme Sandrine Viel, une cliente du demandeur, et ce bien qu’il savait pertinemment bien que le contenu du document était visé par les termes de la Déclaration de désistements ainsi que par l’ordonnance prononcée par la Cour Supérieure.
[33] L’explication du défendeur à l’effet qu’il n’a pas violé les termes de la Déclaration de désistements et de l’ordonnance prononcée en Cour Supérieure parce qu’il ne contrôlait pas le site Web où le document P-3 a été publié le 13 août 2009 est cousue de fil blanc et peu crédible.
[34] À la lecture de la Déclaration de désistements, il apparaît évident que l’esprit de l’entente était que les parties s’engageaient à prendre les dispositions nécessaires pour cesser la distribution et la parution sur Internet des articles et des informations ayant mené au litige. Ainsi, en transmettant par courrier électronique le document (pièce P-3) à Mme Viel, le défendeur savait ou devait raisonnablement savoir qu’il violait l’esprit de l’entente.
[35] Ceci dit, en agissant comme il l’a fait, le défendeur a commis une faute génératrice de responsabilité envers le demandeur.
[36] Sur le plan des dommages, le demandeur réclame un montant de 12 000 $ à titre de dommages moraux. Le demandeur demande aussi que le défendeur soit condamné à payer à l’organisme « Fondation d’aide directe SIDA MONTRÉAL » une somme de 12 000 $ à titre de dommages punitifs conformément à l’article 1621 du Code civil du Québec et aux articles 4 , 5 et 49 al. 2 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
[37] Le Tribunal estime que la preuve présentée par le demandeur ne révèle pas que l’envoi, par le défendeur de la pièce P-3 par voie de courrier électronique à l’une de ses clientes lui ait causé des dommages moraux d’une ampleur telle que cela justifierait une condamnation à 12 000 $.
[38] En fait, la preuve du demandeur se limite à son seul témoignage sur l’impact qu’a eu sur lui la circulation du document (pièce P-3). Il dit avoir été très affecté par cet événement et ce par du stress, de la fatigue et des problèmes d’estomac. Toutefois, à cet égard, aucune preuve médicale n’a été présentée afin de corroborer ses dires quant à l’existence de ces malaises et quant à l’existence d’un lien de causalité entre ceux-ci et la faute reprochée au défendeur.
[39] Aucun témoin n’est venu corroborer les dires du demandeur quant à l’impact qu’a eu sur lui la circulation de la pièce P-3 et aucune preuve documentaire n’a été déposée pour appuyer son témoignage peu convaincant quant à l’ampleur des dommages qu’il dit avoir subis.
[40] Ceci dit, le Tribunal ne doute pas que la circulation du document (pièce P-3) a affecté le demandeur et lui a causé des dommages moraux. Cependant, considérant la preuve présentée, le Tribunal fixe le montant de ces dommages à 2 000 $.
[41] Quant aux dommages punitifs réclamés par le demandeur, la preuve révèle que le défendeur a, en faisant circuler par courrier électronique la pièce P-3, aussi porté atteinte à sa réputation. À cet égard, la partie du texte reproduite précédemment au paragraphe 22 constitue une atteinte à la réputation.
[42] Cependant, pour que l’atteinte à un droit garanti par la Charte des droits et libertés de la personne[1] (la Charte) puisse donner lieu à l’octroi de dommages punitifs, il faut que l’atteinte soit illicite et intentionnelle.
[43] À cet égard, l’article 49 al. 2 de la Charte prévoit ce qui suit :
« [Dommages-intérêts punitifs] En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »
[44] Or, selon la jurisprudence, pour qu’une atteinte soit intentionnelle, il faut que le résultat du comportement fautif soit voulu. Il faut que l’auteur de l’acte ait un état d’esprit qui dénote une volonté de causer les conséquences de sa conduite ou encore qu’il ait agi en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables que sa conduite engendrera.
[45] À cet effet, dans l’arrêt Syndicat national des employés de l’Hôpital St-Ferdinand (C.S.N.) et al. c. Le Curateur Public et al.[2], la Cour Suprême du Canada, sous la plume de la Juge L’Heureux Dubé, écrit :
« En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l’intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.
En plus d’être conforme au libellé de l’art. 49 de la Charte, cette interprétation de la notion d’«atteinte illicite et intentionnelle» est fidèle à la fonction préventive et dissuasive des dommages exemplaires qui suggère fortement que seuls les comportements dont les conséquences sont susceptibles d’être évitées, c’est-à-dire dont les conséquences étaient soit voulues soit connues par l’auteur de l’atteinte illicite, soient sanctionnés par l’octroi de tels dommages: Roy, Les dommages exemplaires en droit québécois: instrument de revalorisation de la responsabilité civile, op. cit., t. I, aux pp. 231 et 232. J’ajouterais que la détermination de l’existence d’une atteinte illicite et intentionnelle dépendra de l’appréciation de la preuve dans chaque cas et que, même en présence d’une telle atteinte, l’octroi et le montant des dommages exemplaires aux termes du deuxième alinéa de l’art. 49 et de l’art. 1621 C.c.Q. demeurent discrétionnaires. »
[46] En l’espèce, vu l’ensemble de la preuve, le Tribunal ne peut conclure que le défendeur a agi avec un état d’esprit qui dénote une volonté de causer les conséquences engendrées par sa conduite et qui justifierait l’octroi de dommages punitifs. Il appert que le défendeur cherchait plus à dénoncer les agissements du demandeur qu’à porter atteinte à sa réputation.
[47] En conséquence, la réclamation du demandeur pour ce qui est des dommages punitifs est rejetée.
[48] En ce qui concerne la demande reconventionnelle du défendeur, le Tribunal est d’avis que celui-ci n’a pas établi, par prépondérance de la preuve, que le demandeur a effectivement contrevenu aux termes de la Déclaration de désistements intervenue en Cour Supérieure ni aux termes de l’ordonnance prononcée par celle-ci.
[49] Tel que déjà mentionné, la preuve ne permet pas de conclure que la parution sur le site Web du demandeur de la pièce D-5, parution que le défendeur lui attribut, a véritablement été publiée à l’instigation du demandeur.
[50] Aux paragraphes 31, 32, 33, 35, 37, 38, 39, 46, 47, 48 et 49 de la défense et demande reconventionnelle amendée, le défendeur allègue ce qui suit :
« 31. Par ailleurs, en décembre 2009 le défendeur a appris que si on mettait son nom « Pierre-André Vaillancourt » dans le moteur de recherche Google, tel qu’il appert de la pièce D-6, son nom apparaît comme faisant l’objet d’une poursuite judiciaire sur un site appartenant au défendeur, www.gayglobe.us, de même que la Déclaration de désistement réciproque pièce P-1;
32. Des recherches plus approfondies sur internet révèlent que le demandeur, en plus d’avoir lui-même diffusé des « informations sur le litige », a aussi créé un lien internet qui associe le nom du défendeur Pierre-André Vaillancourt avec les mots « poursuite judiciaire, outrage au tribunal, dommages moraux et punitifs » le tout tel qu’il appert de la pièce D-6.
33. En outre, le demandeur donne l’impression que le défendeur a commis des actes criminels.
(…)
35. Un article dans la revue Le Point publiée le 7 janvier 2010, pièce D-8, et qui apparaît sur le site www.gayglobe.us appartenant au demandeur, invoque que le demandeur a écrit des courriels haineux, ce qui n’est pas le cas, et qu’il y a eu enquête policière permettant de traduire le défendeur devant les tribunaux.
(…)
37. En effet, le fait même d’associer le nom du défendeur avec des termes tels que « outrage au tribunal, dommages moraux et punitifs, haine, accusations graves » avant même qu’un jugement soit rendu dans le présent dossier, fait preuve de la mauvaise foi du demandeur.
38. En exposant le défendeur dans les articles pièces D-7 et D-8, le demandeur ne cherche qu’à humilier le défendeur et à le harceler.
39. En allant jusqu’à publiquement condamner le défendeur et en introduisant la présente procédure, il appert clairement que le demandeur ne cherche qu’à faire taire les critiques qui osent faire la lumière sur les débordements du demandeur et ainsi empêcher le libre cours des discussions sur internet.
(…)
46. La publication d’articles par le demandeur à propos du défendeur, pièces D-7 et D-8, la diffusion de la requête introductive d’instance sur internet ainsi que la création par le demandeur de mots associant le défendeur avec les mots « outrage au tribunal, dommages moraux et punitifs, haine, accusations graves » causent de graves dommages à la réputation du défendeur, en plus de lui créer de l’angoisse et du stress.
47. Les allégations vexatoires diffusées par le demandeur dans différentes revues et sites internet ont gravement affecté le défendeur qui souffre d’une forme avancée de la sclérose en plaques, tel qu’il appert de l’évaluation médicale du Dr. Marc Girard, neurologue, pièce D-9.
48. Même si le défendeur était conscient que les allégations du demandeur étaient fausses, le défendeur s’est senti atteint dans sa dignité, puisque son intégrité et sa probité ont été mises en doute aux yeux du public à cause des allégations apportant le discrédit sur le demandeur.
49. En invoquant que le défendeur a commis outrage au tribunal, sans aucune condamnation, le demandeur commet un acte de diffamation intentionnel et a contrevenu de façon expresse aux droits du défendeur prévus aux articles 3 et 35 du Code civil du Québec et aux articles 4 , 5 et 23 de la Charte des droits et libertés de la personne. »
[51] Or, relativement aux susdits faits allégués, la preuve ne permet pas de conclure que le demandeur est responsable, de quelque façon que ce soit, du fait que le nom du défendeur apparaît sur le moteur de recherche « Google » avec références à des hyperliens.
[52] De plus, relativement à cette question, la seule incorporation dans un texte d’un hyperlien renvoyant à des soi-disant propos diffamatoires, s’il en est, n’équivaut pas nécessairement à la diffusion de ceux-ci.
[53] À cet égard, dans Crookes c. Newton[3], la Cour Suprême du Canada, sous la plume de la Juge en chef McLachlin et du Juge Fish, écrit ce qui suit :
« [48] … À notre avis, la combinaison du texte et de l’hyperlien peut, dans certaines circonstances, équivaloir à la diffusion des propos diffamatoires auxquels ce dernier renvoie. Il faut conclure à la diffusion de propos diffamatoires par le biais d’un hyperlien s’il ressort du texte que l’auteur adopte les propos auxquels l’hyperlien renvoie, ou y adhère. Si le texte indique qu’il souscrit au contenu auquel renvoie l’hyperlien, l’auteur sera alors responsable du contenu diffamatoire. Il faut démontrer que le défendeur adopte les mots ou les propos diffamatoires, ou y adhère; le simple renvoi général à un site Web ne suffit pas. Ainsi, le défendeur qui renvoie à un site Web anodin en approuvant le contenu ne verra pas sa responsabilité engagée si ce dernier est ultérieurement modifié par l’ajout de propos diffamatoires.
[49] Conclure à la diffusion dans les cas où l’auteur adopte les propos diffamatoires contenus dans un site Web ou y adhère est conforme aux règles générales du droit en matière de diffamation. Pour reprendre les propos de la Cour dans Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130 , au par. 176:
L’auteur d’un libelle, celui qui le répète, et celui qui approuve l’écrit, se rendent tous trois coupables de libelle diffamatoire. La personne qui prononce pour la première fois la déclaration diffamatoire et celle qui exprime son accord sont toutes deux responsables du préjudice.
[50] Bref, selon nous, l’hyperlien équivaut à de la diffusion s’il ressort du texte qui le contient, interprété en fonction de son contexte, que l’auteur adopte le contenu auquel il renvoie, ou y adhère.
[51] Certes, la règle traditionnelle en matière de diffusion n’exige pas que la personne qui diffuse le contenu approuve celui-ci; il suffit qu’elle le communique à un tiers. Or, la norme de l’adoption des propos ou l’adhésion à ceux-ci que nous proposons d’appliquer aux renvois diffère de cette règle sur le plan conceptuel. En effet, le simple renvoi à des propos sans pour autant les adopter ou y adhérer n’est rien de plus qu’un renvoi neutre sur le plan du contenu. On peut considérer que l’adoption du contenu auquel mène un lien figurant dans un texte, ou l’adhésion à ce contenu, incorpore effectivement le contenu diffamatoire dans le texte. Il en résulte donc que le texte englobe le contenu diffamatoire auquel renvoie l’hyperlien. Ainsi, l’hyperlien, conjugué aux mots et au contexte qui l’encadrent, cesse d’être un simple renvoi, et le contenu auquel il renvoie devient partie intégrante du texte qui l’incorpore. »
[54] En l’espèce, le défendeur n’a pas établi que le demandeur a posé un acte délibéré afin de diffuser des propos diffamatoires le concernant.
[55] Par ailleurs, en ce qui concerne la parution sur Internet des pièces D-7, D-7.1 et D-8 dont se plaint le défendeur, la preuve révèle que le demandeur a bel et bien publié les documents sur son site Web (gay globe). Cependant, le contenu de ces textes n’est pas diffamatoire pour le défendeur. En substance, ils ne font que référer, sans nuance et parfois de façon erronée, au fait que le défendeur a, selon le demandeur, contrevenu à la Déclaration de désistements et à l’ordonnance prononcée par la Cour Supérieure le 6 novembre 2007 et qu’il est poursuivi en dommages-intérêts en raison de cette violation alléguée.
[56] La preuve ne permet pas de conclure que le demandeur a cherché à humilier le défendeur ni à le harceler ni que l’introduction de l’action devant la Cour du Québec avait pour objectif de priver le défendeur de son droit de discourir sur Internet.
[57] Enfin, même si le défendeur n’a pas établi que le demandeur a commis une faute génératrice de responsabilité, le Tribunal constate qu’il n’a pas démontré que son état de santé s’est détérioré en raison des agissements du demandeur ni qu’il a subi une perte de revenus en résultant.
[58] Enfin, considérant les principes dégagés par la jurisprudence en matière de dommages punitifs, le Tribunal est aussi d’avis que le défendeur n’a pas établi que le demandeur a agi avec l’intention de nuire à sa réputation ou à son honneur ou à sa dignité au sens de l’article 49 al. 2 de la Charte.
[59] Dans ces circonstances, la demande reconventionnelle du défendeur est rejetée.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE en partie l’action du demandeur.
CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur la somme de 2 000 $ avec intérêts au taux légal ainsi que l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de l’assignation.
REJETTE la demande reconventionnelle du défendeur.
LE TOUT, avec les entiers dépens.
__________________________________
ARMANDO AZNAR, j.c.q.
Me Claude Chamberland
ASSELIN, CHAMBERLAND
Avocat du demandeur et défendeur reconventionnel
Me Claudette Dagenais
DJB AVOCATS
Avocate du défendeur et demandeur reconventionnel
Dates d’audience :
Les 13, 14, 15 et 16 septembre 2011.