Jules Verne, grand-père de la science-fiction

By: François Rivière

Jules Verne appartiendrait-il au petit cercle de ceux qu’on appelle les

«écrivains pour écrivains» ? Pour certains, il est l’ancêtre de la fiction

spéculative. Par exemple, dans les années 70, des auteurs de SF se sont

intéressés à la composition labyrinthique de ses textes: ainsi Ian Watson,

dans l’Enchâssement, ou Christopher Priest, dans le Monde inverti. Pré-

sent lors du colloque de Cerisy consacré à l’auteur de l’Ile mystérieuse en

1978, l’Américain Ray Bradbury composa dans la fièvre d’interminables

poèmes en hommage à celui qu’il considère, à l’égal de Melville, comme

un «fervent blasphémateur». Comparant dans une éblouissante préface

à l’édition américaine de Vingt Mille Lieues sous les mers l’auteur de

Moby Dick à celui dont s’inspira l’amiral Byrd lorsqu’il partit vers le

Pôle, Bradbury insistait: «Auteurs américains tous les deux : bientôt nous

comprendrons que si l’oncle Jules est atteint d’une folie douce, le cousin

Herman lui est incurable.»

Mais l’auteur du Tour du monde en 80 jours eut des admirateurs autrement

plus excentriques. En 1898-1899, Raymond Roussel rencontre Jules Ver-

ne. «J’eus l’honneur d’être reçu par lui à Amiens, où je faisais mon service

militaire, et de pouvoir serrer la main qui avait écrit tant d’oeuvres immor-

telles», écrit l’auteur d’Impressions d’Afrique et de Locus Solus dans Com-

ment j’ai écrit certains de mes livres en 1935. Il ajoute : «Dans certaines pa-

ges de Voyage au centre de la Terre, […] l’Ile mystérieuse, Hector Servadac,

il s’est élevé aux plus hautes cimes que puisse atteindre le verbe humain.» Explication : Raymond Roussel avait lu dans son enfance, avec extase,

les romans de Jules Verne. Jeune poète soumis de la manière la plus ob-

sessionnelle aux contraintes du langage et à ce qu’il appelait les procédés

d’écriture, il a cru discerner dans ces livres des principes de composition

qu’il a décidé d’adopter. Marcel Moré a abordé pour la première fois cette

filiation dans le Très Curieux Jules Verne, un essai paru en 1960 qui vient

d’être republié (1). Pour Moré, «il serait du plus haut intérêt de connaître

les propos échangés entre les deux hommes […]. Plusieurs scènes du Vil-

lage aérien [de Verne] font songer par avance aux Impressions d’Afrique,

plus particulièrement l’une d’elles qui joue, pour parler comme Roussel,

sur des mots pareils mais pris dans des sens différents». Moré, dont le

livre s’ingénie subtilement à «montrer que l’oeuvre entière de Jules Verne

a pour raison et secret la pédérastie» – selon la note de lecture qu’en fit

Jean Paulhan pour Gallimard à l’époque -, ne dit rien pour autant de

l’homosexualité de Roussel. Mais il est certain que le goût du secret que

partageaient le romancier très populaire et son disciple confiné dans une

totale illisibilité est un indice intéressant.

Mais quelles sont les références de Jules Verne lui-même ? C’est à la lecture

de Poe, la seule influence sur laquelle il se soit jamais exprimé, que Verne

a pris goût aux cryptogrammes du genre de celui présent dans le Scarabée

d’or et qu’on retrouve, par exemple, dans les Enfants du capitaine Grant.

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