Par: Jean-Luc Romero
Jean-Luc Romero est homme politique français et collaborateur régulier à la
revue Le Point. Gagnant du titre d’homme politique le plus populaire en France
en 2000, il vient tout juste d’être décoré de la Légion d’Honneur française
pour son rôle quant à la question du SIDA en réussissant à faire reconnaître
la maladie comme Grande Cause Nationale par le Gouvernement. Jean-Luc
Romero vient tout juste de rendre publique cette lettre à son conjoint décédé
il y a 10 ans, nous la publions donc dans cette édition pour rendre hommage à
jean-Luc et Hubert.
Pas commun pour un homme politique de consacrer une section de son
site officiel à l’amour de sa vie. Impudique penseront ceux qui trouvent
pourtant normal d’étaler les photos des familles hétérosexuelles à lon-
gueur de magazines people ou de journaux électoraux. Car amener sa
femme dans toutes les réunions, faire une campagne électorale avec elle,
travailler à ses côtés sont des actes courants et logiques pour un homme
politique hétérosexuel…
A Hubert, qui demeure ma boussole et ma force :
En partant, tu m’as mis le cœur à l’envers
Sans toi la vie est devenue un enfer
Entortillé dans mes draps je crois me souvenir de toi
Lorsque tu disais tout bas que tu n’aimais que moi
[…]
Lorsque je rêve, tu es tout près de moi
C’est la seule façon de rester avec toi
C’est la raison pour laquelle je n’veux plus quitter mon lit
Pour qu’enfin toutes les nuits durent toute la vie.
Etienne Daho – extrait de Le grand sommeil
Pas commun pour un homme politique de consacrer une section de son
site officiel à l’amour de sa vie. Impudique penseront ceux qui trou-
vent pourtant normal d’étaler les photos des familles hétérosexuelles à
longueur de magazines people ou de journaux électoraux. Car amener
sa femme dans toutes les réunions, faire une campagne électorale avec
elle, travailler à ses côtés sont des actes courants et logiques pour un
homme politique hétérosexuel. Faire de même pour un homosexuel
qui refuse de cacher honteusement son ami reste interdit, même tabou
comme j’ai pu le constater en 2001, lorsque j’avais pudiquement pré-
senté mon compagnon de l’époque dans une émission grand public.
Evidemment, je n’ai pas l’intention d’étaler dans ce site des photos tapa-
geuses mais juste le besoin de rendre hommage à Hubert, mort du sida il
y a plus de 10 ans en 1994. Hubert avec lequel je partage ce virus qui a
osé l’emporter. Hubert à qui j’ai promis, sur mon lit de souffrance, d’aider
nos amis et tous les autres à tordre le cou à cette maladie et aux tabous.
Hubert, avec qui je devais passer tout un printemps à Amsterdam et qui
est aujourd’hui, jamais très loin de moi, mais plus avec moi. Hubert qui
demeure plus que jamais ma boussole et ma force.
Hubert, je l’ai connu en mai 1984. J’avais 24 ans, lui 25. [extrait de Virus
de vie – éditions Florent Massot – 2002] Châtain aux cheveux courts, de
beaux yeux noisette, il était surtout pourvu d’un sourire ravageur qui lui
valait un succès incroyable. Il émanait de lui une force et une énergie
hors du commun. Pourtant, il n’était pas d’une beauté classique, mais son
charme rare vous attirait tel un aimant. […]
Nous arrivâmes dans un beau duplex situé rue Rébéval dans le XIXème
arrondissement de Paris qu’il partageait avec un ancien amant devenu un
fidèle ami. Le lieu arrangé avec beaucoup de goût était magnifique. Une
grande pièce occupait tout le rez-de-chaussée. Une cuisine américaine
moderne et totalement aménagée, un coin repas et un superbe salon or-
ganisé autour d’une grande cheminée emplissaient ce grand espace. Le
premier étage était composé de deux grandes chambres et d’une salle de
bains très spacieuse. Il y avait même un grand jardin, et cela au cœur de
Paris. On ne pouvait donc pas rêver plus romantique pour une première
nuit d’amour. Les draps du lit King size qu’il avait dû changer le matin,
après les avoir fait sécher dehors, sentaient le printemps. Non, plutôt l’été,
tant il faisait exceptionnellement chaud pour cette période de l’année !
A travers la fenêtre ouverte, je pouvais apercevoir un ciel magnifique
constellé d’étoiles. Tous les ingrédients étaient réunis. J’oubliais enfin
ma timidité et m’abandonnais totalement et fébrilement dans les bras
d’Hubert. Ce fut la première vraie grande nuit d’amour de ma courte vie.
[extrait d’On m’a volé ma vérité – Le Seuil 2001] Au cimetière, je restais
seul de longues minutes. Je lui parlai comme s’il pouvait m’entendre. Je
lui fis le reproche de m’avoir abandonné alors que j’avais tant de besoin de
lui. Je ne sais pas s’il m’entend mais je lui parle souvent et, avant de prendre
une décision importante, j’imagine les conseils qu’il aurait pu me donner.
[Epilogue de Je n’ai jamais connu Amsterdam au printemps]Je passe
devant le Palais Royal sur Le Dam, ce palais toujours vide que la reine
Béatrix délaisse préférant savourer la quiétude de Soestdijk ou remplir ses
obligations de souveraine des Pays-Bas à La Haye. J’emprunte la Dams-
traat et m’engouffre avec gourmandise dans tous les commerces qui font
de cette rue l’une des plus fréquentées de la ville. Puis, je rejoins le mar-
ché aux fleurs. Rouges, blanches, violettes, roses, autant de couleurs que
de tulipes. Mais pas de tulipes jaunes et surtout pas de roses jaunes, ces
fleurs qu’aimait tant Hubert. Ces roses jaunes qui tombèrent brusquement
durant sa messe d’enterrement. C’était il y a 10 ans déjà, en mai 1994.
« Je vous ferai un signe ce jour là », avait juré notre bel Hubert, quelques
jours avant sa mort, à sa belle-sœur Janine et à moi-même. Dans cette
petite église, au cœur de l’Alsace, nous l’avons tout de suite compris :
ce signe, c’était ces roses qui s’effondraient sans aucune raison devant
un curé hébété. Et nos regards entendus se croisaient, soulagés d’avoir
entendu le signe d’Hubert, la preuve qu’outre tombe, il resterait toujours
avec nous. En nous.
Je marche de plus en plus vite dans ce marché aux fleurs, mon cœur
s’accélère, au point de me donner le tournis. Je ne distingue plus les
tulipes des rares roses. Toutes les couleurs se mélangent en un sublime
arc-en-ciel. Et puis, telle une apparition, un immense pot empli de roses
jaunes, par dizaines. Je les saisis, les embrasse, les étreins comme pour me
rapprocher encore une dernière fois de cet amour si tôt disparu. Mais les
épines me piquent, me brûlent.
Elles me font tellement mal que j’ouvre grand les yeux.
Je suis nu, au milieu de mon salon. Mon beau vase bleu, offert il y a si
longtemps par Hubert, est en mille morceaux, dispersés sur le parquet.
J’essaie de les maintenir serrées contre moi pour que la vision dure tou-
jours, mais les roses jaunes m’échappent une à une. Mes mains sont com-
me paralysées : elles sont incapables de retenir ces roses qui rejoignent les
éclats de verre, me laissant comme unique souvenir un torse ensanglanté
et quelques pétales jaunes collés à même ma peau.
Je n’ai jamais connu Amsterdam au Printemps.
Mais l’avenir dure toujours : j’y retournerai l’hiver prochain.
Hubert, le jour de mes 25 ans…
Durant des mois, rien ne put me consoler. J’écoutais sans arrêt et, souvent
en larmes, la chanson de Gainsbourg, Je suis venu te dire que je m’en
vais, qu’interpréta ma fidèle amie lors de ses adieux à l’Olympia, auxquels
j’avais assisté avec Hubert. Aujourd’hui, encore, lorsque j’entends cette
chanson, j’ai beaucoup de mal à empêcher l’émotion de m’envahir.
Aujourd’hui, je n’ouvre jamais un discours, un texte sans penser à lui et
je ressens encore, certains soirs, la chaleur de sa présence. Hubert m’a
transmis l’amour, une certaine vision de la vie et m’a fait connaître le vrai
bonheur. Il fut mon ami, mon amant, le grand frère bienveillant qui m’a
tant manqué lorsque j’étais enfant, et qui sait ?, le père qui a disparu, qui
sermonne et protège. Son départ pour l’Au-delà a laissé un vide terrible
que rien n’a pu et ne pourra jamais combler.
[extraits de Je n’ai jamais connu Amsterdam au printemps – Ramsay
-2004]« Le conte de fées n’était pas écrit pour nous : un jour du mois
de mai 1994, Hubert s’en est allé me laissant seul avec ce sida que nous
partagions dans une funeste relation à trois. Le triomphe de notre ennemi
intime et commun a brisé notre pacte d’amour. Notre rêve d’Amsterdam
s’est évanoui. »
« Les années ont passé, pas la douleur. L’absence est toujours là, même si
la vie a continué, tel un fleuve tranquille. Presque tranquille… »
« Mon terrible secret. Je sui si souvent venu à Strasbourg pour assister à
l’agonie de celui qui fut mon premier compagnon, celui qui m’a appris
que l’homosexualité pouvait être heureuse. Que notre amour était aussi
beau que les amours hétérosexuels. Parfois même plus beau. »
« Je suis incorrigible. La politique m’accapare. Certes, nous ne sommes
pas au printemps et je ne reste qu’un court week-end à Amsterdam. Je
suis à mille lieues du serment que Hubert et moi nous étions fait. Mais ce
temps libre, je me le dois, comme je le dois à celui qui reste, même loin de
moi, le moteur de ma vie. Cette vie que je savoure pour deux. »
« Dansez sur moi, dansez sur moi,
Le soir de mes funérailles
Que la vie soit un feu d’artifice
Et la mort un feu de paille. »
(Claude Nougaro)
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