Testostérone: une dose de jeunesse?

Par La Presse

5 octobre 2014

Ce n’est pas écrit dans le dictionnaire, mais le mot testostérone est synonyme de masculinité. Les sociétés pharmaceutiques voient dans les suppléments d’hormones une cure de jouvence pour les hommes vieillissants… et une mine d’or. Mais ce présumé coup de jeunesse, les hommes le paieront-ils de leur santé?

Le mal du mâle
Le marché des suppléments de testostérone, déjà évalué à 2 milliards, pourrait doubler d’ici 2018. S’agit-il d’une réponse trop simple et trop hâtive à un problème complexe? Des médecins expliquent, alors que Santé Canada et la Food and Drug Administration américaine s’interrogent.
Avec l’avènement de la petite pilule bleue, le mâle moderne a pu dire au revoir à ses hésitations érectiles. Qu’il soit grisonnant ou la tête déjà toute blanche, il peut encore lancer: c’est où tu veux, quand tu veux! Le hic, c’est que, parfois, lui ne veut pas… Il n’a pas mal à la tête, mais il est fatigué, épuisé même, et irritable. Bref, il a plus envie d’écraser les ressorts du divan que de faire crier ceux du lit.

Ce mal du mâle porte un nom: le vieillissement. À partir de 35 ou 40 ans, le taux de testostérone des hommes baisse d’en moyenne 1 % par an. Avec des effets parfois très notables sur l’humeur et la vitalité à mesure qu’ils prennent de l’âge et de la bedaine. Toutefois, les symptômes de l’andropause peuvent être combattus grâce à une hormonothérapie conçue pour lui: suppléments de testostérone sous forme d’onguent, de timbre cutané ou d’injection.
À l’inverse des femmes, plus au fait de la ménopause et de l’existence de produits pour les aider à la traverser, les hommes n’ont souvent jamais entendu parler de leur taux de testostérone. Alors, pour les attirer, de nombreux sites commerciaux les prennent par les sentiments: on leur promet qu’ils auront l’impression de rajeunir de 20 ans et qu’ils vont de nouveau se réveiller avec une fabuleuse érection…
«On ne changera pas la nature masculine. Les hommes consultent peu en général, sauf pour un événement sérieux… ou si leur sexualité est en jeu. Ça devient l’élément qui permet d’amorcer la discussion sur la santé sexuelle et la santé globale.»
Dr Luc Bessette, de la clinique privée Créa-Med

L’argument semble porter: le nombre de prescriptions de produits de testostérone a explosé entre 2000 et 2011, selon une étude australienne. En particulier en Amérique du Nord et en Suède (voir « Des chiffres impressionnants »). Le Dr Bessette ne cache pas qu’il est préoccupé.
« C’est un peu fantaisiste de dire: je prends de la testostérone, j’arrête de vieillir et je me sens bien », caricature-t-il. Plus encore, il craint que cette espèce de mode fasse que la thérapie de remplacement de la testostérone (TRT) soit prescrite de manière expéditive. « J’irais même jusqu’à dire que ça peut facilement être prescrit à tort », ajoute le médecin. Avec des conséquences imprévisibles puisque les risques associés à la TRT sont encore mal connus.
Une hormone « fragile »

Le manque de testostérone, condition appelée hypogonadisme, peut découler de bien des causes et toucher des hommes de tous les âges. « La production de testostérone est fragile et peut être affectée par d’autres problèmes de santé, fait valoir le Dr Jean-Hugues Brossard, endocrinologue au CHUM. Il y a des patients qui naissent avec l’incapacité de produire adéquatement la testostérone et d’autres qui acquièrent au cours de leur vie des maladies qui font qu’ils ne peuvent plus en produire. »

Avec l’âge, cependant, le niveau de testostérone baisse de manière progressive et naturelle chez tous les hommes. Rien à voir avec la cessation complète de sécrétion d’hormones que vit la femme à la ménopause. Certains hommes vieillissants ressentent néanmoins les effets de cette baisse. Et ce n’est pas agréable.
Michel, 57 ans, fait partie de ceux-là. Irritabilité, bouffées de chaleur, fatigue extrême, moral chancelant, il ne voit pas la vie en rose depuis deux ans. « Il y a plusieurs hommes de mon entourage qui ont traversé une période d’andropause, mais ça durait deux ou trois mois », a-t-il remarqué. Il a entrepris une TRT en 2012, mais n’en ressent pas encore les bienfaits.
Ce sont les hommes comme Michel que ciblent les Low T Center, qui comptent 41 cliniques dans 11 États au sud de la frontière, et qui se spécialisent dans le diagnostic et dans le traitement des problèmes de testostérone basse. Les commentaires des patients de la chaîne font écho aux effets plus positifs qu’on trouve sur des forums de discussion où il est question de TRT: libido en hausse, érection tonique et vitalité retrouvée.

Médicaliser le vieillissement?
L’essor de la TRT incite toutefois des spécialistes à se demander si on ne prescrit pas la testostérone un peu vite. Surtout, sur un plan plus philosophique, si tout ce bruit autour de la testostérone n’est pas en train d’aboutir à une médicalisation d’un vieillissement naturel par l’industrie pharmaceutique et la médecine.
« Je n’en prescris pas vite », assure le Dr Jean-Hugues Brossard, sans commenter les pratiques réelles ou supposées d’autres médecins. L’endocrinologue précise toutefois que la proportion d’hommes qui développe un niveau très bas de testostérone est limitée et que, parmi eux, celle qui a des symptômes est encore plus limitée, « ce qui limite passablement la cohorte d’hommes candidats à un traitement ».
« Les baby-boomers n’acceptent pas facilement de vieillir, croit pour sa part le Dr Luc Bessette. S’il y a une stratégie qui peut leur permettre non pas d’augmenter leur espérance de vie, mais leur espérance de qualité de vie, ils sont prêts à prendre le risque. »
Sa lecture est semblable à celle de Mike Sisk, qui est à la tête de la chaîne Low T Center. « La génération de nos pères s’est discrètement éteinte dans la nuit, a-t-il déclaré récemment au Time Magazine. Ma génération ne s’en ira sans faire de bruit. »
Des risques imprécis

Vivre intensément jusqu’à la fin, mais à quel prix? Mystère.
«On est incapable de faire clairement au patient un portrait des risques qu’il court pour la prostate et pour sa santé cardiovasculaire en général. Nous n’avons pas de données de qualité pour répondre.»
Dr Jean-Hugues Brossard, endocrinologue au CHUM
Santé Canada suit le dossier et a émis en juillet un avis faisant état de deux études séparées qui parlaient de risque accru d’incident cardiovasculaire. La Food and Drug Administration américaine a aussi la TRT à l’oeil et a convoqué une rencontre d’experts jeudi prochain pour faire le point sur les risques de la thérapie et les données disponibles.
Le Dr Brossard ne s’inquiète pas des gestes posés par Santé Canada et la FDA. « Il est très important de bien sélectionner les candidats et de ne conserver le traitement que chez ceux qui en tirent un bénéfice clair, insiste-t-il tout de même. Sinon, tout ce qu’ils vont engranger, ce sont des risques encore imprécis à moyen et à long terme. »

Un test bidon?
Messieurs, ressentez-vous une baisse de libido? Un manque d’énergie? De la tristesse? Avez-vous le sentiment de moins profiter de la vie qu’avant? Si votre petite voix intérieure a répondu « oui » à l’une de ces questions, un taux trop bas de testostérone est peut-être à la source de vos problèmes. Enfin, c’est ce qu’avancent plusieurs sites d’information sur les thérapies de remplacement de la testostérone (TRT).
Ces questions et six autres composent le test ADAM (pour Androgen Deficiency in the Aging Male) abondamment utilisé sur l’internet pour informer les hommes des effets d’une baisse de la testostérone et publiciser des produits conçus pour y remédier. Or, il est facile d’échouer à ce test.

La Presse+ a tenté l’expérience sur plusieurs sites liés ou non à des entreprises pharmaceutiques et, dans presque tous les cas, il suffisait de répondre « oui » à une seule des dix questions pour être invité à faire évaluer son niveau de testostérone. Ce questionnaire, pourtant devenu une espèce de standard, n’est pas aussi concluant qu’il y paraît.

Sa critique, déjà dure, prend une dimension quasi dévastatrice quand on apprend que c’est lui qui l’a conçu, il y a une dizaine d’années, à la demande d’une société pharmaceutique. L’endocrinologue précise néanmoins que, si ce test n’est pas optimal, il le croit capable d’identifier des gens qui pourraient bénéficier d’un traitement à la testostérone.

Et si c’était une dépression?
Les symptômes associés à un bas niveau de testostérone chez l’homme ne sont en effet pas très spécifiques. La fatigue extrême, la tristesse et une baisse de libido peuvent aussi être les signes d’une dépression qui n’est pas causée par l’andropause ou de bien d’autres problèmes comme l’apnée du sommeil, un cancer ou une maladie du foie.
Le Dr Jean-Hugues Brossard, endocrinologue au CHUM, précise par ailleurs que « certains hommes qui ont une testostérone basse vont avoir des symptômes, d’autres pas ». Ce qui rend ce genre d’autodiagnostic peu utile. Surtout que ce test est souvent utilisé par des sites liés à des fabricants de produits utilisés dans le cadre de TRT – IsItLowT.com, par exemple, est lié à AbbVie, qui commercialise AndroGel.
« Ça prend un bon questionnaire et un bon examen physique pour pouvoir mettre en contexte une baisse de testostérone, affirme pour sa part le Dr Luc Bessette, de la clinique privée Créa-MeD. Il peut y avoir plusieurs causes à une baisse de testostérone. L’important, c’est de la trouver. »

Des chiffres impressionnants
X 40
Le nombre de prescriptions de testostérone honorées au Canada a été multiplié par 40 entre 2000 et 2011, selon une étude australienne. Des 41 pays observés, c’est la hausse la plus marquée, mais elle serait en partie attribuable aux pharmacies en ligne capables de vendre au sud de la frontière. Les États-Unis (x 10) et la Suède (x 8) complètent le podium.

2,4 MILLIARDS

Valeur du marché de la vente de suppléments de testostérone en 2013. Dans 4 ans, il pourrait friser les 4 milliards. AndroGel domine le marché américain.

152 MILLIONS
Somme dépensée pour faire la promotion des produits de testostérone aux États-Unis en 2013. Il s’agit d’une augmentation de 45 millions par rapport à l’année précédente. Des dirigeants d’AndroGel ont d’ailleurs été nommés « grandes stars » du marketing des produits pharmaceutiques l’an dernier.

2008

Point tournant à partir duquel les produits de testostérone connaissent une hausse marquée. Les gels et les produits injectables tirent ce marché vers le haut.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

4 × un =