
Par : Roger-Luc Chayer selon Wikipédia
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Théognis de Mégare : poète élégiaque et témoin des bouleversements de la Grèce antique
Un aristocrate poète au cœur des transformations politiques
Théognis de Mégare, en grec ancien Θέογνις, est un poète élégiaque actif au VIᵉ siècle av. J.-C., généralement daté autour de 540 av. J.-C. Issu de l’aristocratie dorienne, il est à la fois poète et témoin des bouleversements politiques qui secouent sa cité, Mégare.
Longtemps considéré à tort comme un simple moraliste, Théognis se distingue par l’ampleur et la richesse de son œuvre, qui comporte environ 1400 vers regroupés dans le corpus appelé les Theognidea. Ses poèmes, composés en distiques élégiaques, couvrent un large spectre thématique allant de la morale et la politique à des considérations érotiques, révélant une sensibilité complexe face à la société et aux relations humaines.
L’exil et la nostalgie d’un monde perdu
Membre d’une aristocratie terrienne, Théognis voit sa position menacée par l’ascension du parti démocratique à Mégare. Exilé à la suite d’un coup d’État et du triomphe de la démocratie, il traverse plusieurs cités grecques, dont Sparte, l’Eubée, la Sicile et Thèbes.
Cette expérience d’exil nourrit chez lui un profond ressentiment à l’égard du peuple et une réflexion sur la décadence des valeurs aristocratiques. Ses poèmes traduisent une nostalgie de l’« âge d’or » et une critique virulente d’une société où la richesse et le pouvoir ont supplanté le mérite et la noblesse de cœur.
Il exprime sa colère contre la confiscation de ses biens et la dégradation de l’ordre social dans des vers comme :
« Mes champs productifs sont aux mains d’autres hommes et les mulets ne tirent plus pour moi la charrue recourbée ».
L’éros et la pédagogie morale dans la poésie de Théognis
Au-delà de son engagement politique et moral, Théognis est également reconnu pour ses poèmes érotiques, qui mettent en lumière la dimension amoureuse et pédagogique de ses relations avec les jeunes nobles, notamment Cyrnos, fils de Polypaos.
Ces textes offrent un aperçu précieux de la place de l’homosexualité dans la société grecque antique. L’amour entre hommes y est présenté non seulement comme une source de plaisir, mais aussi comme un vecteur d’éducation et de formation morale.
Théognis considère qu’une relation intime avec un mentor ou un compagnon expérimenté peut transmettre des vertus et affiner le jugement, soulignant la dimension didactique et civilisatrice de l’attirance homosexuelle.
Ses poèmes érotiques se distinguent par une subtilité et une sensibilité qui dépassent le simple éloge du corps ou de la beauté masculine, inscrivant ces relations dans un contexte social et moral précis.
Un style marqué par la conscience de soi et la permanence
Sur le plan stylistique, Théognis manifeste une conscience aiguë de son art et de la valeur de son écriture, déclarant dans ses vers que chacun doit reconnaître son sceau et son authenticité :
« Chacun dirait : “Ce sont les vers de Théognis, le mégarien, célèbre en toute autre région” ».
Cette attention au style reflète un souci de transmission et de reconnaissance, renforçant le rôle de ses poèmes comme guide moral et esthétique.
Héritage et postérité de Théognis
La postérité de Théognis est notable. Il est cité par Xénophon dans les Mémorables et le Banquet, et son influence se prolonge jusqu’à Aristote, qui souligne son enseignement sur l’importance des compagnons vertueux.
La dimension érotique de ses écrits est pleinement reconnue à partir du IIIᵉ siècle apr. J.-C., notamment grâce à Athénée. Nietzsche, quant à lui, consacrera à Théognis sa première grande étude philologique en 1864, saluant son talent poétique et sa complexité morale.
Théognis de Mégare : la poésie comme miroir de la société antique
Théognis de Mégare illustre comment la poésie élégiaque pouvait à la fois instruire, émouvoir et façonner les relations sociales et amoureuses.
Sa contribution à la représentation de l’homosexualité dans l’Antiquité dépasse le simple registre du désir pour devenir un véritable outil de réflexion morale et sociale.