Selon Ali Amar edito@gglobetv.com
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«Ils veulent homosexualiser le Maroc!». Il y a plus d’un an, cette accusation pour le moins étonnante avait fleuri dans la bouche des conservateurs du royaume alors qu’une polémi- que homophobe faisait rage dans la presse marocaine.
Attajdid, l’organe du parti isla- miste Justice et Développement (PJD, principal parti d’opposi- tion), dont les membres se défi- nissent pourtant eux-mêmes comme modérés, était monté au créneau pour dénoncer l’invitation faite par le Palais à la star du pop britannique Elton John. Parce qu’homosexuel, le chanteur, qui s’était produit lors du festival de musique Mawâ- zine de Rabat sous le patrona-
ge du roi Mohammed VI en per- sonne, avait été accusé de vou- loir «pervertir les Marocains».
Depuis, d’autres événements avaient fait rugir les islamistes, qui n’hésitent plus à crier au complot ourdi par l’Occident contre les «valeurs de la socié- té marocaine». Contrairement aux idées reçues, la monarchie —qui a pourtant l’avantage d’être prise pour modèle dans le monde arabe en ces temps incertains— et les islamistes ont, sur ces questions, des inté- rêts convergents.
Les affaires des «rockers sata- nistes» en 2003, des «homos de Ksar El Kébir» en 2008, des «déjeuneurs du Ramadan» en 2009 et, plus récemment, celle suscitée par le lancement de Mithly, le premier magazine gay du monde arabe en sont la par- faite illustration. L’État a du sé- vir pour calmer les islamistes…
En avril 2010, Mithly (maga- zine) était diffusé au Maroc. Sa naissance fut vécue comme l’annonciation de l’apocalypse par les conservateurs, et com- me un défi pour la monarchie, rétive à tout ce qui peut contre- dire son statut religieux. Pour- tant, point d’éphèbes posant nus, ni d’imagerie homosexuel- le explicite dans les colonnes de Mithly, dont le nom signifie «homo» en arabe, mais aussi «comme moi», imitant l’expres- sion apocryphe anglo-saxonne Good As You (GAY).
Mohamed Asseban, mem- bre du conseil des oulémas de Rabat, une sorte de clergé religieux qui vient d’ailleurs d’être officialisé par la nouvelle Constitution, promettait il y a quelques années «le bûcher pour les homos». Et il n’est pas le seul à le dire; la société ma- rocaine est incontestablement homophobe. Les homosexuels sont souvent qualifiés de «déviants sexuels», car, pour beaucoup, l’homosexualité est «contre-nature» puisqu’elle ne mène pas à la procréation. En effet, si le Maroc demeure sou- cieux de son image de moder- nité et d’ouverture aux yeux du monde en se proclamant «rempart contre les islamis- tes», ses positions révèlent sa gêne profonde lorsqu’il s’agit de libertés individuelles. D’ailleurs, la justice marocaine l’a toujours prouvé. Selon Kif-Kif, plus de 5.000 gays et lesbiennes ont séjourné dans les geôles du royaume depuis 1956, date de son indépendance.
Mais depuis quelques années, ces persécutions font grand bruit dans les médias. Au Ma- roc, la société patriarcale et les valeurs islamiques ont imposé un silence pesant sur les rela- tions humaines et, de surcroît, sur la sexualité en général. Un point de vue exacerbé par un regain de religiosité palpable au Maroc.
Les autorités accusées de s’être rendues complices d’une «dérive collective» par les gar- diens de la morale, très en verve, ont multiplié les actions répressives contre les brebis égarées de la foi. Le 10 décem- bre 2008, journée mondiale des droits de l’homme, un tribu- nal condamnait six personnes à des peines de prison ferme pour «perversion sexuelle». A l’origine, une parodie de «mariage gay» à Ksar el Kébir, une petite bourgade agricole du nord du pays où une foule hystériqueavaitfaillilyncherles convives de cette fête après la mise en ligne d’une vidéo sur YouTube. Des prêches enflam- més dans les mosquées fusti- geant «des libations obscènes» et une poussée de fièvre homo- phobe dans des journaux à sensation avaient poussé l’État à sévir. Mais depuis quelques années, en raison des diatribes islamistes et du regain de reli- giosité généralisé, la Gendar- merie royale se livre à des ra- fles dignes d’un autre âge. Un barrage est dressé à l’entrée de la ville, un simple délit de faciès suffit à identifier qui est homo- sexuel et qui ne l’est pas.