
Roger-Luc Chayer (Photo : Yahoo news)
Suicide de James Ransone et responsabilité médiatique
Suite au décès récent de l’acteur James Ransone par suicide, il m’a semblé important de revenir sur une convention tacite observée par de nombreux médias internationaux, selon laquelle les personnalités publiques qui mettent fin à leurs jours ne devraient pas faire l’objet d’une couverture médiatique importante, puisqu’il a été démontré que le fait de parler du suicide de figures populaires et appréciées peut inciter certains membres du public à passer à l’acte.
Un parcours marqué par les traumatismes et la dépendance
L’acteur, qui avait été victime d’abus sexuels dans le passé et souffert de dépendance aux drogues, avait évoqué les ravages que ce vécu avait causés sur sa santé mentale et sur sa vie en général. Ransone, dont le lieu du décès a été enregistré comme étant un cabanon, avait parlé ouvertement en 2021 du fait qu’il était survivant d’abus sexuels, ainsi que de son combat contre la dépendance et du processus de rétablissement qui s’en est suivi.
Lors d’entretiens précédents, James était revenu sur son enfance difficile en déclarant : « Je m’intégrais mal avec les autres enfants. L’adolescence a été une période très difficile pour moi — comme je pense que c’est le cas pour la plupart des jeunes. C’est tellement inconfortable. Dans les écoles publiques traditionnelles, j’avais beaucoup de mal à trouver ma place. Puis ma mère a découvert cette école. Elle m’a dit : “Ils ouvrent une école d’arts. Tu pourrais y aller. Tu dois passer une audition.” »
L’effet Werther et le risque d’imitation
Lorsqu’une personnalité publique se suicide, une couverture médiatique excessive ou sensationnaliste comporte un risque documenté de déclencher des passages à l’acte par imitation, phénomène connu sous le nom d’« effet Werther ». La forte visibilité médiatique de la personne, l’identification émotionnelle qu’elle suscite et la répétition de l’information peuvent normaliser le geste, lui conférer une portée symbolique ou laisser croire qu’il constitue une réponse compréhensible à la souffrance, en particulier chez des individus vulnérables.
Journalisme, prévention et santé publique
Les recherches en santé publique montrent que la description détaillée des circonstances, la mise en avant de la méthode, la personnalisation dramatique ou la glorification involontaire augmentent la probabilité de comportements imitants, alors qu’un traitement sobre, contextualisé et centré sur la prévention du suicide la réduit. C’est pourquoi les recommandations internationales en matière de journalisme préconisent de limiter l’exposition, d’éviter les détails et les titres accrocheurs, de ne pas établir de liens simplistes de causalité, et d’intégrer des ressources d’aide, afin d’informer sans nuire et de protéger le public tout en respectant la dignité des personnes concernées.
Les médias ne mentionnent pour le moment aucune raison précise pouvant l’avoir poussé à passer à l’acte, mais il est toujours pertinent de rappeler l’effet Werther afin d’en comprendre toute l’importance. L’« effet Werther » désigne le phénomène par lequel la médiatisation d’un suicide, en particulier celui d’une personne célèbre, peut entraîner une augmentation des suicides par imitation. L’expression vient d’un roman de Goethe publié au XVIIIᵉ siècle, Les Souffrances du jeune Werther, dont le héros se donne la mort.
À la suite de sa parution, plusieurs lecteurs, s’identifiant au personnage, auraient reproduit son geste, au point que le livre fut interdit dans certains pays. Aujourd’hui, les chercheurs ont largement confirmé ce mécanisme. Lorsqu’un suicide est présenté de manière répétée, détaillée ou émotionnellement chargée, il peut agir comme un déclencheur chez des personnes fragiles, en donnant une forme de légitimation ou de reconnaissance au geste. À l’inverse, un traitement médiatique mesuré, qui évite le sensationnalisme et met l’accent sur les ressources d’aide, contribue à réduire ce risque. L’enjeu n’est donc pas de taire l’information, mais de la transmettre avec responsabilité et discernement.
Ressources d’aide et prévention du suicide
Pour les personnes qui songent au suicide ou vivent une détresse psychologique aiguë, il existe des lignes d’aide, des services de soutien et des organismes spécialisés dans différentes régions, accessibles immédiatement ou sur rendez-vous.
Au Québec, il est possible de joindre la ligne d’intervention 1 866 APPELLE (277-3553) en permanence pour parler à une personne formée à la prévention du suicide, avec la possibilité de texter 535353 ou de clavarder via suicide.ca. Ces services sont gratuits, confidentiels et disponibles 24 h/24 pour ceux qui pensent au suicide, s’inquiètent pour un proche ou vivent un deuil lié au suicide.
Au Canada, la ligne nationale Parlons suicide / 9-8-8 offre un soutien téléphonique et par texto à toute personne en détresse, en français et en anglais, 24 h/24 et 7 j/7. Il existe aussi des services spécialisés comme Kids Help Phone pour les jeunes et la Hope for Wellness Help Line pour les peuples autochtones.
Aux États-Unis, la 988 Suicide & Crisis Lifeline met en contact immédiat avec des intervenants en crise émotionnelle, 24 h/24 et 7 j/7, en complément du numéro historique 1-800-273-8255.
En France, le numéro d’urgence 112 est à utiliser en cas de danger immédiat, et des lignes comme Suicide Écoute (01 45 39 40 00) proposent une écoute gratuite et anonyme.
En Belgique, le 112 s’applique également en situation d’urgence, et des services comme Zelfmoordlijn (1813) ou le Centre de prévention du suicide (0800 32 123) offrent un accompagnement par téléphone ou par clavardage.
Dans le reste de l’Europe, le numéro d’urgence unique est le 112, et le 116 123, numéro d’écoute émotionnelle, est disponible dans plusieurs pays européens, en complément des services nationaux de prévention du suicide.
Dans toutes ces zones, si vous ou quelqu’un que vous connaissez êtes en danger immédiat, il est crucial de contacter les services d’urgence sans délai et de rechercher un soutien professionnel.
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