
Opinion par Carle Jasmin (Photo : Gay Globe Média)
Un reportage télévisé polémique sur les valoristes à Montréal
Un reportage télévisé diffusé récemment par une chaîne nationale met en lumière un phénomène bien connu à Montréal et dans plusieurs villes du Québec, mais auquel on a donné un nom plus attrayant, plus fashion : les valoristes, jusqu’ici plus communément appelés les éventreurs de sacs à vidanges.
Dans ce reportage au ton jovialiste, qui donne franchement l’impression de prendre les gens pour des imbéciles, on filme les activités de personnes qui récupèrent des bouteilles en verre, en plastique et tout ce qui est consigné. Leur façon de faire est montrée de manière tellement mise en scène que cela en devient presque révoltant.
Qu’est-ce que le valorisme ?
Le valorisme est le nom donné aujourd’hui à une réalité vieille comme les villes elles-mêmes. Il s’agit de récupérer ce qui a encore une valeur dans nos déchets, surtout les contenants consignés, afin de les revendre. Derrière ce vocabulaire moderne et écologique, on retrouve surtout des personnes qui fouillent les sacs à ordures et les bacs de recyclage pour joindre les deux bouts.
Présentée comme un geste citoyen et vertueux, cette pratique s’inscrit certes dans une logique de réduction des déchets et d’économie circulaire, mais elle reste avant tout une stratégie de survie liée à la précarité. En rebaptisant cette activité « valorisme », on lisse son image, la rendant plus acceptable socialement, tout en évitant de nommer frontalement ce qu’elle révèle : la pauvreté bien réelle qui traverse l’espace urbain.
Comme disait une vieille dame dans ma jeunesse : « t’as beau habiller un cochon en curé, ça n’en fera jamais un prêtre ! »
Les ravages de la consigne
Souvent présentée comme un moyen écologique de récupérer ce qui peut être recyclé, la consigne est, en théorie, une bonne idée, si elle n’était pas devenue un moyen de subsistance pour les plus démunis ou les personnes itinérantes.
La photo du haut, prise par Gay Globe sur la rue Sainte-Catherine Est, dans le Village, n’a pas été modifiée pour exagérer les faits. Ce jour-là n’était pas exceptionnel : c’est ainsi que se présente la consignation à chaque jour de ramassage des poubelles, surtout la veille.
Des personnes éventrent littéralement tous les sacs qu’elles trouvent, les fouillent et en extraient le contenu avec l’espoir de dénicher une petite pépite d’or, façon de parler. Elles vident les bacs de leur contenu et, évidemment, ne remettent jamais rien en place. Donner de la valeur à nos déchets est la cause directe de l’état de saleté dans nos villes.
Conséquence : la ville se retrouve jonchée de poubelles éparpillées aux quatre vents, que les éboueurs ne ramasseront pas, puisque cela ne fait pas partie de leurs attributions.
L’exemple de Barcelone et de plusieurs pays d’Europe
À Barcelone, la consigne telle qu’on la connaît au Québec n’existe pas sous une forme monétaire structurée et centralisée. Il n’y a pas de système généralisé de remboursement automatique pour les bouteilles et les canettes, ce qui change radicalement la dynamique dans l’espace public.
La récupération se fait surtout en amont, par le tri sélectif obligatoire, et en aval, par un réseau informel de récupérateurs souvent précaires ou migrants, appelés recogedores. Ces récupérateurs ne fouillent pas systématiquement les sacs à ordures comme à Montréal. Ils collectent les contenants consignables directement auprès des bars, restaurants ou zones touristiques, souvent en entente tacite avec les commerçants.
Les bouteilles sont entreposées dans des sacs ou chariots et revendues à des centres de recyclage privés à des prix faibles mais suffisants pour un revenu d’appoint. Cette pratique limite les débordements visibles : les sacs domestiques sont moins éventrés et les bacs restent généralement intacts.
La ville mise davantage sur l’infrastructure de tri que sur l’incitation financière individuelle. Les conteneurs de tri sont omniprésents, clairement identifiés et vidés fréquemment, ce qui réduit l’intérêt de fouiller les déchets ménagers. Résultat : la récupération existe, mais elle est moins chaotique, moins invasive pour les quartiers résidentiels et surtout moins spectaculaire. À Barcelone, on récupère, mais on ne retourne pas la ville à l’envers pour quelques cents.
Et à Nice sur la Côte d’Azur ?
À Nice, comme dans le reste de la France, la consigne a quasiment disparu du quotidien depuis des décennies. Il n’existe pas de système généralisé de remboursement pour les bouteilles et canettes, sauf pour quelques circuits très limités, notamment pour certaines bouteilles en verre réutilisables dans la restauration.
La gestion des déchets repose avant tout sur le tri sélectif et une organisation municipale très encadrée. Dans l’espace public niçois, la récupération se fait de manière beaucoup plus discrète. Les bacs de tri, souvent enterrés ou semi-enterrés, sont conçus pour limiter l’accès direct à leur contenu, réduisant la possibilité de fouiller les déchets domestiques.
Des récupérateurs informels existent, comme partout, mais leur activité se concentre surtout sur les zones touristiques, plages et abords des établissements festifs, où les bouteilles et canettes sont abandonnées à même le sol plutôt que dans des sacs fermés.
La revente se fait auprès de ferrailleurs ou centres de recyclage privés, pour des montants modestes, sans incitation publique directe. Faute de valeur de consigne clairement établie, il n’y a pas de ruée vers les sacs-poubelles ni de scènes d’éventration massive comme ailleurs. Le modèle niçois privilégie la propreté visuelle et la maîtrise de l’espace urbain, quitte à invisibiliser la récupération et ceux qui la pratiquent.
À Nice, contrairement à Montréal et au Québec, on trie, on collecte, on nettoie, mais on ne transforme pas la rue en terrain de chasse à la canette.
La consigne, une erreur qui n’est pas irréparable
On n’a d’autre choix, en voyant l’état de nos rues et de nos villes, que de conclure que donner de la valeur à des déchets, même recyclables, n’est pas une solution écologique. Comme le montre la photo du haut, nos rues ne sont ni moins polluées ni plus propres grâce à la consigne.
Au Québec, c’est le Gouvernement du Québec qui légifère sur la consigne. Ce cadre légal définit quels contenants sont consignés, le montant de la consigne, les obligations des producteurs et le fonctionnement général du système.
Autrement dit, Québec décide et encadre, les producteurs financent et opèrent, et les villes ramassent les pots cassés.
Une réforme de la loi sur la qualité de l’environnement, un nom qui prête à sourire, est devenue nécessaire. Regarder ailleurs que dans son propre nombril pourrait aider l’État à mieux gérer les déchets, afin que nos villes cessent d’être des dépotoirs à ciel ouvert, comme c’est malheureusement le cas partout.