Julien, toi qui préfères les hommes

Maman, j’aurais dû te parler depuis bien longtemps, mais j’avais si peur de ta réaction et de celle de papa, cela me bloquait complètement. Vous m’avez traumatisé le soir où vous aviez invité le Professeur D. et sa femme. Pendant le dîner celui-ci a raconté une histoire qui se voulait drôle et ou il était question d’homosexuels. C’était sordide et triste. A partir de là, vous avez eu une discussion sur les “pédés” et vos phrases étaient remplies d’un tel mépris et d’une telle méchanceté que j’ai eu peur.

Je retenais mon souffle, incapable d’avaler la plus petite gorgée d’eau et je tremblais. Heureusement vous étiez trop engagés dans votre conversation pour vous en apercevoir. Cette soirée m’a beaucoup marqué. Pendant la nuit, inutile de te dire que je n’ai pas réussi à fermer l’oeil. J’ai pensé qu’il était temps de quitter la maison et de prendre un ap- partement. Vous n’aurez jamais rien su de mes tendances, de mes amours. On aurait pu continuer à se voir tranquille- ment : je n’aurais jamais avoué. En même temps j’étais pris de remords, car partir ainsi c’était pour moi une solution de facilité. Tu sais que je n’aime pas avoir des secrets aussi lourds et importants envers vous. Et cela en aurait été un, énorme.

Je me sentais terriblement coupable et je m’en voulais de ne pas avoir eu le courage de vous en parler. Je me sens si léger maintenant que vous êtes au courant ! »

Il m’a serré fort dans ses bras : j’ai retrouvé le petit Julien qui m’embrassait en riant et en m’étranglant, comme il le faisait avant de m’expliquer qu’il avait fait une bêtise. J’ai regardé mon fils en sou- riant parce que je devais me donner une contenance et que je jugeais stupide et inu- tile de montrer mon déses- poir. Si Julien avait pu devi- ner mes états d’âme il aurait eu trop de peine et drama- tiser encore plus la situa- tion aurait été du chantage.

Il avait dit lui même:
«C’est venu comme ça, je n’ai pas eu à choisir. Et mainte- nant, pour Paul, tu m’aidera à le dire à papa?»

Paul a dévoilé à ses parents qu’il est homosexuel et amoureux de Julien. Pleurs de la mère, courroux du père: «Tu es malade, tu dois te faire soigner!»

Paul, complètement débous- solé, a revu Julien: «Ce sont mes parents qui sont fous, ils ne me comprennent pas.»

Julien m’a dit: «Pour les pa- rents de Paul, c’est plus dur à accepter, parce qu’ils sont moins proches de leur fils.»

C’est vrai que Julien et moi avons fait un grand bout de chemin ensemble, et que j’ai beaucoup appris. J’ai fait des efforts terribles pour essayer de le comprendre, parce

que j’aime mon fils et que je ne veux pas le perdre. Par mo- ments, j’arrive à accepter des idées ou à comprendre des si- tuations qui, il y a quelque temps, m’auraient semblé impos- sibles à vivre et m’auraient fait hurler. Mais, par moments, je craque, complètement. La tristesse, le désespoir, toutes ces questions auxquelles je suis incapable de répondre et ce sentiment de culpabilité qui revient lorsque mon moral est au plus bas, avec ses « pourquoi » torturants … Comment vivre avec cela?

Julien est amoureux de Paul. Que signifie pour lui « aimer » ? Julien a besoin d’un ami, de tendresse, de contacts hu- mains, il a besoin d’un confident, il a besoin de rire, de vivre. Alors, pourquoi cette saturation au bout de quelques jours ? « Paul est trop possessif, trop jaloux ! J’ai besoin d’air, de liberté, de revoir les autres copains. Je ne veux surtout pas que Paul les rencontres, ils seraient capables de me le voler. Et puis, ils sont jaloux, ils vont tout critiquer, je ne veux pas d’histoires. »

Et devant mon air étonné :
« Mais maman, j’aime Paul et je ne veux pas le perdre ! » Me voilà de plus en plus perplexe : nous ne donnons pas la même signification à l’amour.
Difficile d’accepter pleinement ce mode de vie de Julien : amoureux, lui ? Mais comment peut-il avoir envie de cou- cher avec un garçon ? L’embrasser ? Faire l’amour ? L’envie me prend de secouer mon mari, de lui crier : « Au secours, aide-moi ! Je me noie ! » Mas mon mari continue à vivre, comme s’il n’était au courant de rien. C’est la fuite : totale, éperdue.

Le matin, nous prenons généralement notre café ensemble tous les trois. Il y a parfois des situations comiques, comme par exemple lorsque Julien passe la nuit chez Paul. Je sou- ris en voyant le regard étonné et interrogateur de mon mari devant la place vide de notre fils, tout en espérant, en vain, une question qui ne vient pas.

Les jours passent et le mutisme de Philippe m’inquiète et me démoralise. Mon mari a un comportement vraiment bizarre : il semble tout à fait à son aise quand il est avec Julien : très décontracté, il discute sérieusement ou discute avec lui comme s’il avait complètement oublié la confidence de son fils. Avec moi, c’est la même chose, mais si par malheur j’es- saie de parler d’homosexualité, je le sens se raidir. Tout se fige dans sa façon d’être : le regard se durcit, les épaules se redressent, les mouvements deviennent plus saccadés, oh, tout cela est à peine perceptible. Je lui en veux de dresser ainsi un mur entre nous. Il ne prend même pas la peine de répondre à mes questions, on pourrait croire qu’il est subi- tement devenu sourd. Pourtant, il faudrait qu’on puisse en discuter tous les deux, cela est nécessaire pour qu’on arrive à faire face, à accepter.

Que pense-t-il de Julien dans son for intérieur ?

Comment Philippe fait-il pour paraître si décontracté avec son fils ? Quelle souf- france, quelle tristesse doit- il éprouver, mais nous par- courons le même chemin et si nous pouvions communi- quer, le fardeau serait peut- être un peu moins lourd à porter.

Comment m’y prendre pour briser ce mur de silence ? Je ne sais plus.

Frédéric et Marie ont profité d’un long week-end de congé pour venir nous rendre vi- site. Nous sommes toujours tellement heureux de les revoir ! La maison avait pris son air de fête : j’avais mis des fleurs partout, au salon, dans leur chambre, et je m’étais surpassée à la cui- sine, pour préparer ces bons petits plats que mon fils aime bien : feuilleté au jam- bon, rôti de veau flambé au cognac et inondé de crème fraîche dont la recette est un secret de famille, puisque ma mère l’a apprise de sa mère, et pour finir, une tarte aux fraises dont Frédéric dit toujours qu’il serait capa- ble de faire des kilomètres à pied pour venir la manger !

Frédéric ne ressemble pas trop à son frère Julien, et pourtant ils ont la même taille élancée, le même sourire

joyeux lorsqu’ils sont heu- reux et le même froncement de sourcils quand ils ne comprennent pas quelque chose. Cela m’amuse tou- jours de voir mes deux fils côte à côte : Julien, habillé avec beaucoup de goût et d’élégance, Frédéric, qui ne se soucie absolument pas de ses vêtements et porte le plus souvent un jean, un T- shirt et un pull sur les épau- les, sa petite laine, comme il dit, pour ne pas avoir froid.

Marie, petite et brune, a des cheveux courts et frisés, de grands yeux sombres et un petit nez en trompette. Elle s’habille simplement, mais avec une certaine élégance. Marie est très douce, silen- cieuse et toujours souriante. Elle a un caractère optimis- te et gai. Elle termine ses études d’infirmière. Frédéric est étudiant à Paris, dans une école d’ingénieur. Leur bonheur éclate dan leurs yeux, dans leurs sourires. Joie tranquille et profonde. J’étais bien. Je les regardais, et j’essayais de comparer un amour comme le leur à un amour homosexuel. Frédé- ric et Marie partageaient un sentiment profond et pai- sible : ils l’espèrent long et durable.

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