DEUIL LGBTQ+, MÉMOIRE ET RÉSILIENCE

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Par: Roger-Luc Chayer

Image: Générée électroniquement ©Gay Globe

Dans nos sociétés occidentales, la mort rapprochée de plusieurs personnalités publiques provoque souvent une onde de choc émotionnelle collective. Récemment, au Québec, la disparition de figures emblématiques telles que la comédienne Kim Yaroshevskaya, l’écrivain Victor-Lévy Beaulieu et le chanteur Serge Fiori a suscité une vague d’émotion largement relayée sur les réseaux sociaux. En France, les décès de Geneviève Page, Herbert Léonard, et même celui, controversé, de Jean-Marie Le Pen ont également déclenché des réactions passionnées. Aux États-Unis, la perte d’icônes comme Gene Hackman, Val Kilmer ou Richard Chamberlain, figure importante pour la communauté LGBTQ+, a profondément marqué les esprits. Ces événements soulèvent un phénomène social puissant : le deuil collectif. Ce sentiment diffus s’immisce dans le quotidien, teintant l’atmosphère d’une mélancolie partagée, même parmi ceux qui ne connaissaient pas personnellement les défunts. L’émotion collective s’exprime à travers des souvenirs communs — une chanson, un film, un moment marquant — et trouve un exutoire sur les réseaux sociaux où internautes et fans se retrouvent pour témoigner leur tristesse. Ce partage apaise l’isolement ressenti face à la perte, créant un lien social éphémère mais profond. Le deuil collectif provoque également des effets tangibles : fatigue émotionnelle, nostalgie, souvenirs person-nels qui ressurgissent, parfois douloureux. Pourtant, cette expérience partagée révèle aussi la force des liens invisibles qui unissent les individus à leurs icônes culturelles et à leur histoire.

L’exemple des communautés LGBTQ+ est particulièrement parlant. Durant la crise du VIH/SIDA, ces communautés ont été frappées par des pertes massives, parfois jusqu’à 30 % dans certains milieux. Beaucoup des personnes touchées œuvraient dans les milieux artistiques, culturels et communautaires — secteurs souvent plus ouverts à la diversité et à l’expression individuelle. Face à la douleur, ces communautés ont développé une réponse collective remarquable : elles ont su transformer le chagrin en solidarité. Par la création d’archives, d’hommages, de rituels et de monuments, elles ont maintenu vivante la mémoire des disparus et fait de ce souvenir un acte de résistance et d’amour. Cette gestion du deuil ne se limite pas à la commémoration.

Elle a aussi été un moteur d’engagement politique et social, permettant de faire entendre la voix d’une communauté marginalisée et souvent stigmatisée. Les marches, les campagnes de sensibilisation et les œuvres artistiques n’ont pas seulement honoré les morts, elles ont contribué à transformer le regard de la société sur le VIH/SIDA et sur les personnes LGBTQ+. Ce travail de mémoire collective est une preuve tangible que le deuil peut devenir un levier pour construire un avenir plus inclusif et solidaire.

Cette expérience offre une précieuse leçon aux sociétés contemporaines confrontées à la perte de figures publiques. Elle montre que le partage du deuil, l’écoute des émotions et la reconnaissance collective du chagrin sont des moyens puissants de traverser la douleur. Plutôt que de rester enfermée dans la solitude, la société peut s’appuyer sur la force du lien communautaire pour guérir. Pour moi-même, journaliste ayant vécu au plus près la pandémie du VIH, évoquer les vies de ceux qui disparaissent plutôt que de simplement annoncer leur mort constitue un acte salvateur. Ces moments de partage font ressurgir des fragments de vie qui continuent à habiter les mémoires, apportant ainsi un baume indispensable face à la tristesse.

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