
Par: Roger-Luc Chayer
Image: Dédicace d’Antonine Maillet 1988
En 1988, lors d’un vol d’Air France vers Paris, j’ai eu la chance de rencontrer la célèbre auteure acadienne Antonine Maillet. Une rencontre qui, malheureusement, fut la seule et qui est restée gravée dans ma mémoire. À cette époque, j’étais un jeune corniste au Conservatoire national de Nice, tout en étant surnuméraire dans plusieurs orchestres du sud de la France. Je faisais fréquemment des allers-retours entre Nice et Montréal, que ce soit pour ramener des instruments de musique ou rendre visite à mes amis.
Ce vol en 1988 fut particulier. Je me retrouvai assis à côté d’une dame qui avait réservé deux sièges côte hublot, ce qui m’a paru très pratique pour plus de confort, surtout sur un vol long-courrier. La dame, avec son accent acadien, m’a tout de suite charmé par sa gentillesse. Nous avons commencé à discuter, et elle m’a expliqué qu’elle se rendait à Paris pour des fonctions officielles dans le domaine de la culture. Curieuse, elle m’a posé des questions sur mes études et mes activités musicales. Mais à ce moment-là, je n’avais aucune idée de qui elle était.
Ce n’est que bien plus tard, après m’être formellement présenté, qu’elle m’a révélé son identité: Antonine Maillet. Je me suis mis à rire, m’excusant de ne pas l’avoir reconnue immédiatement. Mais elle m’a rassuré en trouvant ma sincérité rafraîchissante. Ce moment de convivialité a marqué le début d’une belle conversation. Nous avons continué à échanger sur nos vies respectives, elle m’expliquant ce qu’elle savait du cor, mon instrument, et moi partageant mes expériences musicales.
Le voyage se poursuivit. Après une courte sieste, elle me proposa de jouer aux cartes pour passer le temps. Nous avons alors disputé quelques parties de dames de pique. C’était un vrai plaisir de discuter avec elle, d’autant plus que ses connaissances et son ouverture d’esprit étaient impressionnantes. Elle m’a posé des questions sur mes études en France, sur la musique, et m’a parlé de son œuvre et de ses passions.
Avant de quitter l’avion à Paris, elle m’a proposé un lift, ce qui m’a touché. Cependant, comme je transiterais pour Nice sans quitter l’aéroport, je l’ai remerciée chaleureusement. Elle m’a alors promis de m’envoyer l’un de ses livres. Quelques mois plus tard, j’ai reçu chez moi, à Nice, son roman Les Crasseux, dédicacé à la main.
Ce geste de sa part m’a profondément ému. L’annonce de son décès m’a bouleversé et m’a ramené à cette rencontre inoubliable. Antonine Maillet a poursuivi son œuvre en tant qu’ambassadrice de la culture acadienne et a reçu de nombreuses distinctions, dont le prestigieux prix Goncourt, un honneur historique pour une non-Européenne. Les hommages, y compris ceux du président Macron et de Justin Trudeau, témoignent de l’importance de son travail et de la reconnaissance qu’elle a reçue dans le monde entier.
Récemment, j’ai appris que Madame Maillet faisait partie des communautés LGBT et qu’elle avait été la compagne de Mercedes Palomino, cofondatrice du Théâtre du Rideau Vert. Cette révélation m’a frappé. Si j’avais su plus tôt, j’aurais organisé une nouvelle rencontre pour lui rendre hommage dans notre magazine Gay Globe, dédié à celles et ceux qui ont marqué la culture et l’histoire des communautés LGBTQ+.
Cette rencontre fortuite à 10 000 mètres d’altitude en 1988 restera un souvenir précieux pour moi. Je regrette de ne pas avoir eu plus de temps pour échanger avec elle. Mais je suis infiniment reconnaissant pour cette expérience. Antonine Maillet a laissé un héritage durable dans la littérature, la culture acadienne, et dans la communauté LGBTQ+. Je ne la remercierai jamais assez pour sa gentillesse, sa bienveillance et l’exemple qu’elle a donné par sa vie.