Est-ce que le guide gai montréalais Fugues aurait plagié?

Par: Roger-Luc Chayer

Dans la sphère journalistique et éthique québécoise, le public est en droit de s’attendre à ce que les professionnels de l’information respectent les plus hautes normes éthiques et livrent non seulement une information juste et exacte, mais qu’elle ne soit pas copiée ou plagiée.

Le plagiat journalistique est le fait, par un journaliste, un chroniqueur ou un collaborateur média de prendre un texte qu’il n’a pas écrit, de le copier en entier ou en partie, et de s’en attribuer l’origine, c’est-à-dire de le signer comme s’il en était l’auteur.

Pour le dictionnaire Larousse, le plagiat est «l’acte de quelqu’un qui, dans le domaine artistique ou littéraire, donne pour sien ce qu’il a pris à l’œuvre d’un autre.»

Pour l’encyclopédie Wikipédia, «Le plagiat est une faute morale, civile ou commerciale, qui peut être sanctionnée au pénal, elle consiste à copier un auteur ou accaparer l’œuvre d’un créateur dans le domaine des arts sans le citer ou le dire, ainsi qu’à fortement s’inspirer d’un modèle que l’on omet, délibérément ou par négligence, de désigner. Il est souvent assimilé à un vol immatériel. Le «plagiaire» est celui qui s’approprie indûment ou frauduleusement tout ou partie d’une œuvre littéraire, technique ou artistique.»

Dans l’exemple que nous vous soumettons aujourd’hui, le guide gai montréalais Fugues publiait un texte signé de M. Yves Lafontaine, son rédacteur en chef, le 31 mai 2016 dont le titre était: Quand l’amour transfigure. Le texte possiblement plagié étant: «Toute sa vie, Martine Stonehouse a lutté pour ses droits en tant que transgenre. Son conjoint John Gelmone, atteint du syndrome d’Asperger et de la Tourette, la soutient inconditionnellement. Mais les deux ne peuvent consommer leur amour: Martine doit subir l’ultime opération pour changer de sexe. Une route ardue puisque, même si elle est entourée d’amis qui lui témoignent reconnaissance et affection, son problème de poids, souligné par plusieurs spécialistes, représente un dangereux obstacle à sa chirurgie et à sa santé. Sans compromis ni complaisance, le documentaire de Kol pénètre dans l’intimité de cette femme et révèle un être fragile, mais d’une détermination inégalable. Bien que le réalisateur Alon Kol avait suffisamment de matériel pour tracer le parcours de la militante récompensée du Pride Award de Toronto en 2012, il a plutôt choisi de présenter le difficile chemin de Martine vers sa transformation complète en femme.

Le portrait que propose le cinéaste est celui d’une femme dont le quotidien est beaucoup plus modeste que la vie glamour de Caitlin Jenner et certes, plus précaire, mais le récit n’en est pas moins bouleversant. Alors que la communauté transgenre est reconnue comme jamais auparavant, Martine Stonehouse s’impose comme une héroïne qu’il faut saluer.» Le texte est publié sur le site Web de Fugues à http://www.fugues.com/245944-7237-article-quand-l-amour-transfigure.html

Or, une simple vérification sur Google nous indiquait que ce texte avait déjà été publié en 2015 sur le site Web du Festival du Nouveau Cinéma de Montréal, à l’adresse http://www.nouveaucinema.ca/fr/films/transfixed.

Sur le site du Festival, on retrouve ceci: «Toute sa vie, Martine Stonehouse a lutté pour ses droits en tant que transgenre. Son conjoint John Gelmone, atteint du syndrome d’Asperger et de la Tourette, la soutient inconditionnellement. Mais les deux ne peuvent consommer leur amour: Martine doit subir l’ultime opération pour changer de sexe. Bien que le réalisateur Alon Kol avait suffisamment de matériel pour tracer le parcours de la militante récompensée du Pride Award de Toronto en 2012, il a plutôt choisi de présenter le difficile chemin de Martine vers sa transformation complète en femme.

Le portrait que propose le cinéaste est celui d’une femme dont le quotidien est beaucoup plus modeste et la situation économique, certes, plus précaire, mais dont le récit n’en est pas moins bouleversant. Alors que la communauté transgenre est reconnue comme jamais auparavant, Martine Stonehouse s’impose comme une héroïne qu’il faut saluer. − Frédéric Bouchard» et le texte est donc signé de Frédéric Bouchard.

On peut facilement remarquer que l’intégralité du texte de Monsieur Bouchard, du Festival du Nouveau Cinéma, est repris et copié par Monsieur Yves Lafontaine de Fugues, qui le signe de son nom un an plus tard tout en y ajoutant quelques lignes supplémentaires.

Ce fait n’est pas sans soulever de sérieuses questions morales et éthiques quand on prétend publier de la nouvelle dans un guide qui s’adresse essentiellement à la communauté gaie.

Gay Globe a donc décidé de corroborer la situation en consultant un représentant du Festival pour lui demander si le texte émanait bien de Frédéric Bouchard à l’origine. Le 5 juin dernier, nous posions la question suivante par courrier électronique: «Bonjour, j’aimerais savoir si ce texte signé de Monsieur Yves Lafontaine et publié dans le Guide Fugues est bien de lui, car il a été publié intégralement par votre organisation en 2015. Merci de me transmettre l’information.»

Le 6 juin 2016, nous recevions une réponse de Madame Marina Grozdanova, adjointe administrative du Festival du Nouveau Cinéma de Montréal, qui nous confirmait ainsi nos constats: «Merci de nous avoir informé. Effectivement, ce synopsis a été écrit par Frédéric Bouchard en 2015. L’article publié par Yves Lafontaine prend ce synopsis en entier, mais il ajoute deux paragraphes à la fin afin de le modifier. Merci de l’aviser de citer l’auteur du texte originel.»

Vérification faite en date du 2 août 2016, non seulement le nom de Monsieur Bouchard n’a pas été ajouté, le nom de Monsieur Lafontaine y est toujours indiqué comme auteur.

Malaise général, notre compétiteur aurait donc plagié un texte et se l’aurait attribué sans droit ni autorisation. Mais voilà, ce n’est pas la première fois que nous observons une telle situation au Guide Fugues. Gay Globe a monté un dossier dans les 2 dernières années sur la question et a déjà avisé Fugues de cesser de poser de tels gestes qui ne font pas honneur à la profession, mais en vain.

Il n’y a pas qu’à Gay Globe que la question du plagiat chez Fugues a été soulevée. Déjà en 2005, le Conseil de Presse du Québec avait été saisi d’une plainte contre Yves Lafontaine, de Fugues pour… plagiat! Dans la plainte déposée par la journaliste Isabelle Porter, de la Gazette des femmes, celle-ci déclarait: « Dans son édition de janvier 2005, le périodique mis en cause présentait un article, signé par M. Yves Lafontaine, et présenté en ouverture comme une «Rencontre avec… Ishrad Manji» et portait sur son essai «Musulmane, mais libre». À la lecture de ce texte, Mme Isabelle Porter estime qu’il «reprend presque mot pour mot» le contenu d’un entretien qu’elle a publié en septembre 2004, dans la Gazette des femmes. Selon la plaignante, le journaliste de Fugues se serait alors approprié les citations provenant de sa propre entrevue avec l’auteure musulmane, en plus de s’attribuer le fruit de ses recherches et de ses écrits, de même que son ton et son style.

Ainsi, seuls le premier paragraphe et la conclusion ont été modifiés en regard du texte initial. La journaliste ajoute que les mis-en-cause ont également «enfreint les droits de Mme Manji en modifiant ses propos», c’est-à-dire en remaniant les citations qu’elle avait elle-même recueillies initialement dans la Gazette des femmes. Outre ces aspects, Mme Porter précise que la seule autre différence entre les deux textes est qu’elle ne s’est «pas permise de qualifier l’article de « rencontre »» puisque l’entretien avec Mme Irshad Manji eut lieu au téléphone.

La plaignante précise que la rédaction de cet article représentait beaucoup de travail afin d’obtenir l’entrevue, de la préparer et de la rédiger avec soin et que ce travail représente sa fierté et sa valeur en tant que pigiste, rappelant l’importance de respecter les droits d’auteur.»

  1. Yves Lafontaine rappelle d’abord le contexte. Il indique avoir effectivement discuté avec Irshad Manji, en 2003 à la sortie de son livre en anglais, mais qu’à ce moment pour diverses raisons,  Fugues n’a pas publié d’article sur ce livre. C’est donc à l’annonce de la sortie française du livre, à l’automne 2004, que la rédaction du magazine a décidé d’écrire sur ce sujet.

Le mis-en-cause explique ensuite que le manque de temps l’a poussé à faire appel à Mme Evelyne Springer l’une des pigistes du mensuel, qui lui aurait indiqué pouvoir aisément «entrer en contact avec l’auteure». Toutefois, selon le rédacteur en chef, le fait que «Mme Springer ait ou non parlé avec Mme Manji est accessoire», puisque à la lecture des deux textes soumis par la plaignante, il lui paraît «évident qu’ils sont presque identiques et qu’il y a eu plagiat». Lors de la mise en page du mensuel, le texte aurait été attribué par erreur au rédacteur en chef, M. Lafontaine, alors qu’il n’aurait contribué qu’au paragraphe de présentation.

Le Conseil de Presse décidait alors de blâmer alors la journaliste de Fugues en ces termes: «Le Conseil de presse blâme la journaliste Evelyne Springer pour plagiat et manquements en regard de l’exactitude de l’information.  Le Conseil rappelle que les médias sont conjointement responsables des articles publiés par les journalistes qu’ils embauchent.» Décision D2005-04-082

Il est important de noter que les médias qui commettent le plagiat font une compétition injuste et déloyale puisqu’ils ne respectent pas les mêmes règles légales, morales et éthiques qui sont pourtant imposées aux autres médias du Québec.

Gay Globe a l’habitude de publier, à titre de fil de presse international francophone, des textes de plusieurs auteurs œuvrant sur l’ensemble de la planète, mais il est impératif de bien mentionner la source ou l’auteur. Quand une information nous semble capitale pour nos lecteurs et que la source soit extérieure à notre média, il est tout à fait possible de la publier si on respecte quelques règles élémentaires dont celle de l’Utilisation équitable, prévue dans la loi sur le droit d’auteur du Canada.

En s’appropriant des textes d’autrui et en les signant du nom de ses employés ou collaborateurs, Fugues ne cherche pas à diffuser une nouvelle capitale mais bien à donner l’impression qu’il est l’auteur de documents et de concepts dont il cherche le mérite. Enfin, Fugues reçoit une subvention du Gouvernement fédéral pour l’aider à publier du contenu canadien. Une situation aberrante que Patrimoine Canada aurait intérêt à connaître.

Ce texte est de Roger-Luc Chayer, ex Président de l’Association Canadienne des Journalistes du chapitre de Montréal.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

2 × 2 =