
Roger-Luc Chayer (Photo: Gay Globe)
Une enquête exclusive du Groupe Gay Globe Média
Ces derniers temps, nous avons tous entendu parler de la recrudescence de la criminalité et de l’occupation de la Place du Village, située à l’angle des rues Ste-Catherine Est et Wolfe, en face du restaurant Piazzetta et du cabaret Chez Mado. Selon de nombreux résidents, dont Daniel Matte, membre de l’Association des Citoyens du Village de Montréal, la situation est devenue si préoccupante que la fréquentation de cet endroit est presque impossible. Les agressions qui s’y produisent repoussent non seulement les habitants, mais aussi les touristes, qui découvrent un visage inquiétant de Montréal.
Les réseaux sociaux regorgent de témoignages de résidents, commerçants et passants, tous à la fois troublés et horrifiés par ce qui se passe dans ce no man’s land abandonné aux mains de truands et de personnes désespérées. Ce lieu n’est pas le seul problème dans le Village; les abords du métro Papineau en sont un autre exemple, avec une forte concentration de toxicomanes et d’itinérants. De plus, le long de la face sud de la Place Dupuis, entre les rues Ste-Catherine et René-Lévesque, une masse de sans-abris saccage le quadrilatère. Cependant, la Place du Village semble être le centre névralgique, le siège social de l’ensemble des troubles sociaux et criminels de la ville, qui semble clairement avoir perdu le contrôle de la situation.
Un grand nombre de trafiquants de drogue, d’itinérants et de toxicomanes allongés partout, pickpockets, vols en plein jour comme en pleine nuit, intimidations, agressions, tentatives de meurtre, harcèlement, occupation illégale de nuit, saccage, une décharge à ciel ouvert, des seringues usagées à profusion et totale absence des policiers—tout y est !
Visite des lieux par Gay Globe le 27 août 2024 de 14h à 15h30
J’ai décidé de m’y rendre pour mieux comprendre la situation et vous en rapporter l’essentiel. Cependant, ce que j’ai vu et vécu durant ma visite d’une heure et demie m’a donné l’impression de ne plus être dans le Village gai de Montréal, mais plutôt dans un endroit totalement abandonné aux mains des criminels et autres fauteurs de troubles. Je me suis senti comme beaucoup de gens pourraient se sentir en Haïti ou en Afghanistan, et c’était loin d’être agréable. J’étais au coeur du nouveau Villagestan!
Avant de m’avancer coin Ste-Catherine et Atateken, j’avais pris soin de laisser mon portefeuille dans mon véhicule, ne gardant sur moi qu’un paquet de chewing gum et mon cellulaire en espérant pouvoir faire une seule photo, qui se révélera être celle du haut.
En marchant nonchalamment, les mains dans les poches, j’ai d’abord observé les lieux. Il y avait beaucoup de monde, mais rien à voir avec la faune habituelle du Village. Des gens étaient allongés sur le sol, entourés de seringues souillées; quelques personnes, semblables à des zombies, clairement sous l’influence récente d’une substance inconnue; des surveillants qui me regardaient avec des airs inquisiteurs; des passants à l’allure menaçante; et un homme, d’apparence plus ordinaire, assis à observer la rue. Le restaurant de la place, qui aurait dû apporter un peu de vie et de normalité à cet espace maudit, a été fermé faute de trouver des employés prêts à travailler dans un tel contexte. Il y avait aussi cette femme en pleine crise psychotique, complètement désorientée et à demi nue, criant et pleurant sa souffrance, moitié assise, moitié allongée dans le sable, sans que personne ne s’en préoccupe. C’était comme une scène d’un film d’horreur avec Vincent Price, sauf que ce qui se trouvait devant moi était bien réel.
Un bon samaritain pour m’aider
Tout en cherchant un moyen de prendre une photo sans attirer l’attention, car je craignais de provoquer une réaction violente de la part de ceux qui pourraient se sentir espionnés—n’oublions pas que les personnes intoxiquées ont parfois un jugement altéré—je me suis approché de la seule personne qui me semblait normale. Je lui ai expliqué que je voulais prendre une photo de loin et qu’il ne devait pas s’inquiéter d’y apparaître, car j’allais flouter les visages. Il m’a répondu que c’était gentil de ma part de demander, puis s’est présenté en me tendant la main. « Roman » (prénom fictif pour protéger son identité) m’a ensuite parlé un peu des raisons de sa présence et du fait qu’il connaissait la plupart des personnes présentes. Nous avons discuté longuement de sa vie d’artiste et de son état de santé, tandis que plusieurs personnes venaient le voir pour nous demander si nous avions besoin de quoi que ce soit (lire : drogues) et s’assurer que nous achetions bien auprès d’eux et non d’autres vendeurs.
Quand je lui ai dit que je voulais faire une pause pour prendre ma photo, il m’a conseillé d’en parler au grand gars qui nous observait à quelques mètres. Il m’a semblé que cet homme était une sorte de chef sur place, un surveillant de 6″4″ aux allures physiques de consommateur… Plus je m’approchais de lui, plus son langage corporel montrait de l’inquiétude et de la nervosité, ne sachant pas ce que je lui voulais. Je me suis rapidement présenté : « Salut, je suis Roger. Je suis censé faire un reportage sur ce coin du Village et je voudrais prendre une photo en grand angle. On m’a dit de venir vous voir pour me présenter d’abord, » lui ai-je dit avec un sourire et un air détendu.
J’ai ajouté que je ne voulais pas inquiéter les personnes présentes et lui ai demandé conseil sur la manière de procéder. Il m’a répondu de faire comme bon me semblait, en précisant qu’il se moquait de mes plans—après tout, il n’était pas employé par l’Office du Tourisme. Cependant, il a tout de même suggéré que je me place à l’angle de la rue Wolfe, dos à la place, que je prépare mon appareil, me tourne rapidement et prenne un seul cliché, point final ! « Oui, chef ! » J’ai donc suivi ses instructions, puis je suis retourné voir mon artiste assis pour lui montrer la photo.
La Place du Village sert aussi de dépotoir humain!
Un jeune homme est alors arrivé, saluant l’artiste qu’il semblait connaître tout en me tendant la main. Avec son teint basané et ses grands yeux en amande, il avait l’air d’un jeune homme plutôt sympathique, mais ce n’était pas le cas. J’ai plongé mon téléphone dans ma poche, ce qu’il a remarqué, et il a raconté qu’il venait de sortir de prison pour une simple voie de fait. Il avait été détenu à la prison de Rivière-des-Prairies pendant deux mois après avoir « démoli la face d’un gars qui lui cherchait des ennuis ». Je lui ai demandé comment s’était passé son séjour, en lui disant que j’avais été bénévole dans une prison fédérale à sécurité moyenne à Cowansville. Il m’a alors répondu candidement que rien n’était plus précieux que la liberté.
Comme il était sans-abri avant son arrestation, il a été incarcéré sans autre bien que les vêtements qu’il portait, sans aucune ressource. À sa sortie, faute d’argent, des agents l’ont conduit directement au coin des rues Ste-Catherine et Atateken, en lui indiquant la Place du Village et en lui promettant qu’il y trouverait des ressources. Il a été amené là sans possibilité de se nourrir, de se loger ou de se réinsérer, sous la vague promesse qu’on allait s’occuper de lui. Évidemment, cette promesse s’est révélée fausse. J’ai trouvé aberrant que l’on conduise des personnes sans ressources directement au cœur du Village, comme on amène un chien à la SPCA. C’est une réalité rarement abordée : on semble parquer sciemment des cas sociaux dans le Village en espérant que les quelques organisations de bénévoles et intervenants psychosociaux interviendront, alors que les moyens font défaut partout. Voilà une autre cause de la situation actuelle dans le Village.
Comment les commerçants et résidents du Village gai de Montréal pourraient-ils reprendre confiance en leur secteur, acheter des propriétés ou investir dans des commerces, lorsqu’ils voient ce que la Place du Village est devenue ? La Ville continue de la présenter comme un lieu de cohabitation et de tolérance, mais ce que j’ai observé en si peu de temps—et ce qui est critiqué de partout—montre que nous sommes loin de ce niveau de socialisation.
Le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) n’intervient plus
Selon un courriel récemment reçu par Gay Globe du service des relations médias du SPVM, les policiers n’interviennent désormais qu’à la demande spécifique des élus, en plus de la publication d’une directive de Québec demandant aux procureurs de la Couronne de ne plus porter d’accusations contre les personnes accusées de possession simple de drogues. Cette mesure vise à déjudiciariser ces personnes, ce qui signifie que ceux qui devaient auparavant passer devant le juge et être encadrés pour un crime ne sont plus inquiétés et pullulent dans le Village—et cela est bien visible !
Le SPVM ayant reçu des directives de ne pas intervenir dans le Village, serait-il temps de faire appel à la police nationale en renfort (la Sureté du Québec), voire de placer le SPVM sous tutelle pour reprendre le contrôle de la situation ? Cela est tout à fait envisageable.
Cette semaine, les autorités de l’aéroport Trudeau de Montréal ont résilié leur contrat de sécurité avec le SPVM pour le remplacer par des policiers de la Sûreté du Québec, selon Radio-Canada: « Un rapport confidentiel obtenu par Radio-Canada montre que la relation de collaboration entre Aéroports de Montréal et le Service de police de la Ville de Montréal s’était détériorée. Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) perd le contrat de sécurité policière à l’aéroport Montréal-Trudeau après plus de 20 ans, au profit de la Sûreté du Québec. À l’exception d’un critère, le score de la SQ [était] meilleur à tous les niveaux. Que ce soit au niveau de la formation, des exigences, du plan d’action, du plan de déploiement. Donc, lorsqu’on regardait l’ensemble des critères, il était clair à ce moment-là que la SQ nous offrait beaucoup plus pour les projets. la Sûreté du Québec prévoit que l’équipe comptera 41 policiers, soit 13 de plus que l’équipe actuelle du SPVM, qui en a 28. »
Est-ce que la Sureté du Québec pourrait assister le SPVM?
La Sureté du Québec pourrait très bien venir assurer l’ordre dans le Village qui est clairement la région la plus criminalisée au Québec. Selon Québec.ca, « la Sûreté du Québec (SQ) est le corps de police national. Elle fournit également des services spécialisés sur l’ensemble du territoire québécois afin de soutenir les corps de police municipaux. La SQ a comme mission de prévenir et de réprimer les infractions aux lois sur l’ensemble du territoire du Québec, ainsi que celles aux règlements municipaux des territoires où elle assure un rôle de police municipale. » Cependant, pour que la Sûreté du Québec (SQ) intervienne, il faudrait une demande de la Ville de Montréal, et nous savons tous que la mairesse Valérie Plante ne fera probablement jamais une telle demande. Alternativement, le Gouvernement du Québec, qui a juridiction sur Montréal, pourrait ordonner à la ville de permettre à la SQ d’assister le SPVM. Le Premier ministre Legault en viendra-t-il à prendre une telle décision ? Une visite sur place lui permettrait certainement de se faire une idée plus précise…
Serait-il envisageable de faire intervenir l’armée canadienne ?
Les Forces armées canadiennes de Sa Majesté (nom officiel) ont un mandat de défense militaire et d’assistance aux gouvernements en cas de catastrophes naturelles, telles que des inondations majeures ou des incendies de forêt. Plusieurs intervenants sur les réseaux sociaux se demandent si l’armée pourrait intervenir à Montréal pour restaurer l’ordre et la loi. Bien que l’idée soit intéressante, l’armée est composée de soldats, pas de policiers, et depuis les événements d’octobre 1970, où les militaires sont intervenus à Montréal en vertu de la Loi des mesures de guerre, abolie depuis, il serait très surprenant que l’armée intervienne aujourd’hui. Une telle intervention nécessiterait l’unanimité des élus montréalais, du Québec et du Canada, ainsi qu’une acceptabilité sociale presque absolue pour que le Premier ministre du Canada donne un tel mandat. Même s’il y avait des meurtres quotidiens dans le Village, il semble peu probable que l’armée canadienne puisse intervenir.
Conclusion
Bien que nous percevions généralement le Village comme étant en crise sociale et économique, la plupart des lecteurs et même des visiteurs du Village sont loin de connaître la réalité exacte de ce qui se passe à la Place du Village et dans plusieurs autres points chauds du secteur. La situation est grave et hors de contrôle. Il faudra une détermination politique considérable pour commencer à reprendre le contrôle du « Villagestan ». Les discours sur la cohabitation et le bon voisinage ne correspondent absolument plus à la réalité sur le terrain. Les élections municipales à Montréal sont dans un peu plus d’un an. Le parti qui abordera de front la question du Village dans son programme et proposera des solutions crédibles, sérieuses et musclées pour restaurer ce qui a été le plus beau Village gai du monde sera certain de remporter l’élection. Mais attention, les Montréalais ne sont pas dupes. Les belles paroles ne suffisent plus. Ce que les électeurs veulent voir, ce sont des actions concrètes, pas seulement des pistes cyclables et des cônes oranges, car vous l’ignorez peut-être, mais il n’y a rien de tout cela à la Place du Village. C’est trop dangereux !