
Roger-Luc Chayer (Photo : Pixabay)
Iram, 34 ans, veut en finir, mais ne sait plus par où commencer. Cette histoire vraie est d’une grande tristesse, mais je devais vous la partager.
Voici le début d’une bien triste histoire : celle d’Iram, un jeune réfugié afghan arrivé au Canada dans son enfance. Très tôt tombé dans la drogue, il hante le Village gai de Montréal depuis quinze ans et ne sait plus comment mettre fin à sa misère, ni même par où commencer.
Je le connais depuis très longtemps. À l’époque, c’était un magnifique mannequin dans la jeune vingtaine, à la peau basanée et aux yeux d’un bleu vif. Il faisait tourner toutes les têtes quand il se dandinait innocemment en ville. Homosexuel assumé, il s’est lié à quelques mauvaises fréquentations qui l’ont vite initié à la drogue — et pas à la moindre. Tout ce qui contenait du fentanyl lui était offert en échange de ses faveurs sexuelles. Comme on le sait, on devient vite accro au fentanyl, si bien qu’à peine deux ans après avoir découvert le Village gai de Montréal, il en était devenu un habitant permanent. Il avait tout perdu : ses contacts sociaux, son appartement, ses biens et sa dignité.
Il était devenu une partie du mobilier urbain, contre son gré, mais impuissant à affronter sa dépendance. Il louait ses charmes à quiconque pouvait lui dire — en mentant — qu’il était encore beau, lui qui avait perdu ses muscles, son éclat et toutes ses dents, sauf une dernière, telle un Gaulois face à une légion romaine, refusant de plier bagage. Cette dent unique lui donnait un affreux air de loque, sans la moindre fierté.
C’est lui qui m’a confié un jour qu’il n’arrivait pas à accéder aux services de désintoxication : soit il n’avait pas l’argent, soit il n’avait pas d’adresse fixe pour bénéficier des programmes gratuits offerts par Montréal aux Montréalais. Il avait perdu son noble titre de Montréalais pour endosser celui de marcheur d’asphalte, le gars du macadam — et ça, ça ne compte pas pour la Ville.
C’est lui aussi qui m’a avoué avoir déjà songé à tuer quelqu’un, gratuitement, comme ça, simplement parce que cela lui aurait valu quinze ans de prison au fédéral et qu’il aurait enfin eu accès à des services de désintoxication gratuits. Il n’a jamais eu le courage de briser la vie d’une personne innocente. Parce qu’au fond de cette plaie béante et vive, il reste encore un cœur.
Et c’est ce cœur, croisé par hasard il y a quelques semaines, qui me disait qu’il était fou d’espérer pouvoir s’en sortir, qu’à 34 ans, sa vie ne pouvait plus être reconstruite. Que son corps portait trop de cicatrices pour guérir. Il avait fait le deuil de sa vie — de cette vie affreuse qu’est celle d’un itinérant drogué dans le Village gai de Montréal. Il avait donc pris la décision de chercher la porte de sortie, celle qui lui permettrait d’en finir.
Oh non, pas le suicide, comme on pourrait le croire. Non. Il voulait simplement s’allonger et s’accorder le droit de mourir dignement, lui qui l’avait demandé mais à qui on l’avait refusé sous prétexte que sa souffrance n’était pas assez grave. Alors il a décidé de choisir lui-même le moment de recevoir “son” aide médicale à mourir — l’ultime respect qu’il estimait devoir à ce corps meurtri.
Cette histoire est d’une tristesse innommable, car elle met en lumière le sort de celles et ceux laissés à eux-mêmes, qu’on accuse de tous les maux du Village alors que, pour beaucoup, tout ce qu’ils souhaitent, c’est en sortir.
Parce que la Fierté, c’est aussi cela, même si elle est enfouie sous des années de poussière. Iram aussi a sa fierté gaie.
Au fait, moi qui le voyais au moins deux fois par semaine arpenter le Village, je ne l’ai jamais revu depuis notre entrevue. Je doute qu’il ait trouvé l’aide nécessaire pour amorcer le début d’une désintoxication. J’ai simplement peur qu’il ait décidé, enfin, de se donner lui-même l’aide médicale à mourir, dans la dignité, dans la FIERTÉ, car c’était là l’ultime geste qu’il voulait poser, par amour pour ce corps meurtri et brisé par la vie.
Merci Iram.
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