1996- Le CASCABEL: Une poudre « anti-SIDA » à 55,000$ le traitement!

<<… Faites gaffe à l’autre salaud qui veut vendre sa poudre de perlimpinpin aux malades du SIDA, ses antibiotiques naturels, c’est de l’arnaque…>>, <<… Si tu crois que les pédés sont juste des pétasses, bonnes à se faire exploiter, t’es plutôt mal renseigné…>>, <<…Pauvre salaud, escroc…>>, <<… Je pourrais flinguer un de ces porcs d’escroc…>>. Voilà le genre de réponse, en gros, qu’a reçu Roger Garceau, un commerçant de Laval, après avoir placé une annonce sur un babillard gai de l’Internet. L’annonce disait:<<… Recherche malades atteints d’infections graves comme le SIDA, la gangrène, les ulcères y compris chez les diabétiques, la tuberculose latente, etc. pour essayer un antibiotique naturel. Très dispendieux mais… Que vaut la santé, un membre, une vie?…>>

Mais quoi justement?

Ce n’est pas nouveau dans le milieu du SIDA que de croiser des pseudo inventeurs de médicaments miracles, les lecteurs de RG en savent quelque chose. Or, le message de Garceau ayant attiré une telle réaction d’agressivité de la part des internautes, nous n’avions d’autre choix que de mettre au défi le produit et son promoteur. Monsieur Roger Garceau est président de la société VEGET in vitro Inc. à Laval qui se spécialise dans la vente de plantes rares en éprouvettes. Un marché bien peu lucratif d’après son président, ce qui expliquerait, en partie, sa nouvelle vocation de guérisseur. Monsieur Garceau a accepté de collaborer à notre enquête et nous a même remis un échantillon de son produit.

La pierre philosophale?

D’après un texte écrit par Garceau, la poudre serait un antibiotique naturel très efficace contre certaines infections. D’origine Maya, elle serait fabriquée par un guérisseur (au Bélize, Amérique centrale) à partir de vertèbres moulues (on ne sait pas de qui ou de quoi). La poudre serait simplement ingérée par le malade par voie buccale:<<… Du simple rhume à la tourista en passant par le cancer, les infections suites à des brûlures, et au SIDA, le guérisseur prétend guérir définitivement. Le traitement de la brûlure ne laisserait pratiquement pas de cicatrices…>> écrit-il.

Lors de notre rencontre avec Garceau, celui-ci nous a fait visionner un vidéo rapporté d’un de ces voyages au Bélize nous montrant un malade gravement gangrené. On y voit une progression de l’état avec le temps et, comme par magie, tout est guéri en quelques semaines. À savoir s’il était en mesure de certifier que le vidéo n’était pas truqué ou qu’on avait simplement pas renversé les images pour faire voir une guérison plutôt qu’une dégénérescence, Garceau ne pouvait apporter aucune preuve de véracité tout en implorant notre ouverture d’esprit.

Quant à la poudre proprement dite, elle se présente dans un sachet (de toute évidence non stérilisé) et est de couleur brunâtre. On y voit quelque petits éclats blanchâtres et en définitive, ça pourrait être n’importe quoi. Pour une infection comme le SIDA, Garceau préconise un traitement de 20g par jour pendant 6 mois. Le hic dans tout ça, si nous ne pouvions ne parler que d’un seul hic, c’est son prix exorbitant. À 15$ du gramme, il en coûterait 300$ par jour pour se traiter soit plus de 55,000$ pour une (caractère gras) « guérison » (fin du gras) et nous citons bien là le terme de Garceau.

Concrètement, est-ce que ça marche?

Ben voyez-vous, Garceau ne le sait pas. En effet, sous prétexte des coûts élevés d’une étude de phase I, (avec 20 malades dont la moitié prennent un placebo) il n’est pas en mesure d’affirmer un effet remarquable sur le SIDA. Il invoque aussi une vieille excuse, commune à tous les autres vendeurs de miracles par le fait que la molécule existant sous forme naturelle, les compagnies pharmaceutiques ne pourraient y déposer un brevet.

Garceau nous parle ensuite d’une étude bactériologique qui aurait été effectuée sur son produit par l’Université de Colombie-Britannique. Un « rapport de progression » confidentiel ferait même état de résultats antibiotiques probants. RG a obtenu copie du rapport en question et nous pouvons certes nous questionner sur la valeur à accorder sur un document presque entièrement rédigé à la main et dont l’Université en question nie l’existence. Dans ce « rapport », on commente des analyses bactériologiques, on nous montre même quelques graphiques avec des résultats (italique) « bien intéressants » (fin italique). Est-ce que quelqu’un peut encore croire qu’une université sérieuse et des chercheurs reconnus rédigeraient des graphiques à la mitaine, avec un simple crayon feutre? Les ordinateurs existent dans toutes les universités du monde, encore plus en Colombie-Britannique.

À notre tour d’analyser…

Afin d’en avoir véritablement le coeur net, RG s’est adjoint une équipe de chercheurs de l’Université McGill et leur a donné le mandat suivant: Analyser l’échantillonnage de poudre afin de répondre aux questions suivantes:

1- Est-ce bien de la matière vivante?

2- Est-ce d’origine animale ou végétale?

3- Est-ce que le produit est contaminé par des bactéries, des virus ou des champignons?

4- Quelle est la valeur médicinale à accorder à ce produit?

Pour répondre à ces questions, nos chercheurs ont procédé à une recherche d’ADN (composante de base de toute forme de vie) afin d’éliminer une origine autre que vivante (pierres concassées ou minéraux inertes du point de vue pharmacologique). Ensuite, des examens supplémentaires ont été effectués afin de tenter d’établir s’il s’agissait de matière animale ou végétale. De plus, des échantillons de poudre ont été placés dans des milieux de cultures afin d’y faire pousser et d’identifier les microbes présents. Comme les malades du SIDA ont peu ou pas de défenses contre les microbes, il serait important, même vital, de déterminer si le produit est contaminé et s’il représente un risque pour la santé.

Conclusions:

Notre expert est formel; la poudre est de toute évidence contaminée par un champignon et il n’y a aucune évidence que celle-ci ait quelques propriétés antibiotiques que ce soit. Or, le Cascabel étant contaminé par un champignon, il est donc susceptible d’entrainer des dommages plus ou moins sévères chez les personnes sidéennes:<<… La poudre ne contient aucune trace d’ADN ni de protéines et visuellement, elle ressemble à un échantillon de vulgaires poussières. Au microscope, il a été impossible de trouver trace de cellules osseuses ni de quelques cellules que ce soit…>>. Notre chercheur ajoute:<<… Les cultures bactériennes sont très intéressantes. On a appliqué la poudre sur une bactérie (Escherichia coli) reconnue comme très sensible à toutes les formes d’antibiotiques naturels ou chimiques. Si la poudre avait eu quelque effet antibiotique que ce soit, la bactérie serait tout simplement morte. C’est plutôt le contraire qui est arrivé, la bactérie s’est développée sans aucun problème et un champignon capable de se développer à la température du corps humain est apparu. Tous les champignons ne sont pas toxiques. Le houblon et la levure sont inoffensifs alors que le Candida albican lui, cause de sérieux problèmes aux sidéens>>. Notre expert nous explique qu’il lui est impossible de déterminer les effets anti SIDA de la poudre. On pourrait toutefois se questionner sur la logique d’utiliser un produit qui serait antibiotique au coût de 55,000$ le traitement et qui contiendrait plutôt un champignon mortel chez certaines personnes:<<… Pour ce prix là, je pourrais me payer tous les antibiotiques qui existent sur le marché pendant toute ma vie…>> de conclure notre collaborateur scientifique.

Des écrits qui relèvent du mépris!

Dans une lettre adressée à Garceau et datée de 1994 dont RG a obtenu copie, le « guérisseur » et aussi concepteur de la poudre parlait ainsi des sidéens:<<… Je refuse d’être le mouton noir des chercheurs et patients du SIDA. Je n’ai jamais pu imaginer dans ma vie que des personnes pouvaient être aussi idiotes jusqu’à avoir une envie aussi intense de mourir que les personnes atteintes du SIDA. Ça doit être un effet secondaire mental de la maladie…>>.

Quand une personne se targue de connaître assez bien le SIDA pour pouvoir le guérir avec une substance aussi obscure que celle qui fait l’objet de ce dossier, il est surprenant et préoccupant qu’elle puisse avoir une telle opinion des personnes atteintes. Les sidéens sont des personnes bien informées, ils n’ont pas à s’en excuser et il est encore plus gratuit de croire qu’ils puissent avoir un désir si intense de mourir simplement parce qu’ils posent des questions et demandent des preuves. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir comment il se fait qu’une personne puisse importer aussi facilement une substance non approuvée par Santé Canada, contaminée, potentiellement mortelle pour les sidéens et qu’elle puisse la vendre librement sur Internet?

Quant à Monsieur Roger Garceau, qui souhaitait tant avoir notre collaboration dans le but de « rentabiliser son investissement », il devra se résoudre à croire que son produit n’a aucune valeur médicinale et à ne pas oublier que la communauté gaie et lesbienne n’est pas novice dans le monde du SIDA ni dans celle des grossiers anarqueurs.

R.L.C.

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