Roger-Luc Chayer
Alain Bouchard, psychologue, journaliste et humaniste, nous a quittés le 5 septembre dernier. C’est avec une grande émotion que je m’efforce d’écrire cet article, car Alain Bouchard n’a pas seulement été une figure essentielle pour les communautés LGBTQ+ de la francophonie, il a également été l’âme éthique et journalistique qui a guidé le Magazine Gay Globe / Revue Le Point depuis que j’en ai fait l’acquisition en 2002.
J’avais occupé le poste de rédacteur en chef deux ans auparavant, et dès cette époque, j’avais commencé à transformer la publication en m’appuyant sur les principes éditoriaux que je connaissais bien, ayant collaboré avec Alain et son magazine de 1993 à 1998.
Alain avait marqué l’histoire avec le Magazine RG, non seulement en proposant au public un média qui abordait des sujets très inhabituels pour l’époque, concernant les communautés gaie et lesbienne, mais en le faisant avec une éthique irréprochable. Contrairement à d’autres éditeurs, Alain n’intervenait absolument pas lorsqu’il recevait un texte de ses journalistes réguliers. Cependant, il aimait discuter du contenu ou de l’enquête pour comprendre comment les informations avaient été vérifiées, pour formuler des suggestions en vue d’améliorer l’article ou simplement pour corriger quelques fautes de français.
Pendant mes cinq années à ses côtés, il m’a confié des dossiers extrêmement complexes, des enquêtes difficiles que d’autres n’osaient pas entreprendre, car il ne tolérait ni l’hypocrisie ni les mensonges, même lorsque ceux-ci émanaient de l’intérieur de nos communautés.
C’est en me confiant ces sujets difficiles que j’ai pu développer un sens critique et éthique qui constitue encore aujourd’hui la base de mon travail au sein du Magazine Gay Globe. Que ce soit dans la rédaction de mes propres articles, dans la sélection que je fais pour les autres ou dans ma collaboration avec mon équipe éditoriale, les critères que j’applique sont ceux qui m’ont été inculqués par Alain Bouchard. Alain adorait son magazine et il prenait plaisir à partager sa passion avec ses journalistes en se montrant toujours très généreux dans son approche envers nos articles, tout en nous enseignant les principes du journalisme professionnel. Malgré le caractère bienveillant d’Alain, il pouvait arriver que des désaccords surgissent, même sur des questions autres qu’éthiques. Cependant, cela n’a jamais eu un impact négatif sur notre relation ni altéré mon opinion à son égard, car au fond, sur les questions de journalisme, il avait toujours raison.
Un exemple de sa manière unique de gérer le contenu du magazine concernait les petites annonces personnelles de rencontres. Alain recommandait toujours aux lecteurs de rédiger leurs annonces de manière inclusive et positive. Plutôt que d’écrire, par exemple, « Cherche amant de moins de 30 ans, pas intéressé aux chauves ou aux personnes obèses », il préconisait plutôt l’approche « Cherche un amant plus jeune, plutôt mince, etc. », vous voyez le genre… Ainsi, les petites annonces étaient formulées de manière à inclure tout le monde, ce qui donnait une image sympathique au Magazine RG dès ses débuts. Alain a vécu pleinement, et les communautés LGBT lui doivent une société plus avancée et résolument inclusive. Comme le disait si bien Frank Sinatra, et qu’Alain aurait pu reprendre à son compte: « I did it my way! » Avant de nous quitter, Alain a eu l’occasion de lire mon texte qu’il a approuvé. Merci pour tout Alain, ta mémoire demeurera vivante à jamais.