CHRONIQUE EN PRISON 10 ans : Ça change un homme!

Stéphane G.

Date d’arrestation : Le 11 septembre 2003. Me voici maintenant dix ans plus tard , à quelques 3 mois de ma libération et je constate que je ne suis plus tout à fait le même.

Bien que mon apparence ne semble pas avoir trop souffert de cette longue incarcération, il y a tout de même quelques signes de vieillissement qui ont fait leur apparition. Quelques cheveux gris ici et là, des ridules au coin des yeux qui restent même quand je ne ris pas, des taches sur les mains et les avant-bras, les jointures fripées, de grosses veines bleues sur le dessus de mes mains et des poches sous les yeux qui ressemblent bien plus à des sacs d’épicerie en papier qu’autre chose.

Mais c’est le changement qui s’est opéré en moi qui me fascine le plus. Pour certains, être en prison peut ressembler à un arrêt dans le temps mais que l’on soit à l’intérieur ou à l’extérieur des murs, on fait tous “du temps”.

Tout le monde veut se sentir bien. Consciemment ou pas, chaque être vivant se déplace dans le temps en essayant de se sentir le plus complet et le plus satisfait possible. De la bataille quotidienne contre la plus petite bactérie à l’illumination du plus sage des êtres humains, la vie sur terre consiste à faire son temps selon les meilleures dispositions. Du fait du nombre illimité de choix à faire, de nombreuses décisions sont inévitablement mauvaises et nous gâchent la vie.

Voler une banque ou tuer quelqu’un peut sembler comme des moyens plus que fous à utiliser pour se sentir bien. Le voleur espère dérober un peu de satisfaction alors que le tueur essaie d’éliminer sa propre douleur insupportable qui le fait se sentir séparé du monde qui l’entoure. Mais honnêtement, la société et les gouvernements font aussi parfois sensiblement la même chose, parfois sur une plus grande échelle. Comme le chantait Bob Dylan : “Vole un oeuf et on te jettera au cachot. Vole un boeuf et on te fera Roi”.

Les mondes de l’insécurité et du désir partagent les mêmes motivations, peu importe la classe sociale à laquelle on appartient.

Me voici donc 10 ans plus tard. 10 années durant lesquelles j’ai cherché à comprendre qui je suis et dans quel monde je vis. Mon incarcération aura été pour moi une rencontre avec la vérité, comme si je m’étais retrouvé assis seul au sommet d’une montagne éloignée. Ce qui me semblait au début être une punition extrême et non méritée s’est révélée comme une bénédiction. Être en prison n’a pas d’importance. Ce n’est qu’une excuse qui m’aura permis d‘entrer en contact avec moi-même et aussi avec vous, lectrices et lecteurs.

Qui que l’on soit, à l’intérieur ou à l’extérieur, on purge tous du temps extrêmement difficile tant qu’on ne trouve pas une certaine liberté, à l’intérieur de soi! Pour y arriver, on doit être honnête avec soi même et être prêt à travailler fort pour y parvenir.

Je crois que tout le monde, détenus compris, aimerait pouvoir arrêter de se mentir, de prendre de mauvaises décisions et de se sentir incomplets. Avec la foi, la patience et un immense sens de l’humour, on peut faire l’expérience véritable de la vie plutôt que de simplement exister. J’espère le plus sincèrement du monde que tous et chacun trouveront leur voie, leur propre chemin menant à la complète libération, comme je l’ai vécu ici, en prison aux États-Unis depuis maintenant 10 ans. Vivement la fin…