
Santé Magazine (Photo: Pixabay)
Il est parfois difficile d’accepter son homosexualité. Et encore plus difficile d’en parler à ses proches. Choc, refus, culpabilité et acceptation… Les proches peuvent passer par de nombreuses phases après le coming-out de leur enfant. Témoignages.
Le témoignage d’Annabel, 36 ans, fonctionnaire de police
« J’ai annoncé mon homosexualité à ma mère vers l’âge de 22 ans. J’entretenais depuis trois ans une relation amoureuse avec une fille. Ma première copine pour laquelle j’ai eu un coup de foudre. Je l’ai fait entrer dans la sphère familiale. Sauf que… Il était difficile de vivre normalement devant mes parents. J’ai donc décidé de tout leur dire car je n’aime pas le mensonge. Je croyais que mes parents étaient très ouverts sur la question. Mais ça ne s’est pas du tout passé comme je l’imaginais ! Il y a eu un gros clash. Ma mère (je pensais qu’elle avait compris depuis longtemps) a voulu m’emmener à l’hôpital pour que je consulte un psychologue…
Elle pensait avoir « fauté » dans mon éducation. Le lendemain, mon père m’a proposé de m’acheter un appartement à Brest, alors que j’habitais vers Lyon… Comme ça, « les gens » n’en sauraient rien ! Alors, pour le bien de mes parents, j’ai dit que j’avais quitté Céline. J’ai menti encore durant deux ans. C’était vraiment difficile, j’ai quitté mes études pour passer un concours de la fonction publique, et je me suis installée à 24 ans en région parisienne pour vivre avec Céline. Elle n’est plus jamais retournée chez mes parents. Moi si, mais avec une grosse boule au ventre : ils restaient toujours mes parents, même s’ils étaient contre mon homosexualité.
J’ai quitté Céline, puis j’ai imposé ma nouvelle copine un dimanche, lors d’une réunion familiale chez mes parents. Je n’avais pas trop réfléchi. J’y suis allée en force. Et là, soupe à la grimace de la part de mes parents ; en revanche, le reste de ma famille l’a très bien accepté. Depuis, tout se passe bien.
J’ai compris que mes parents avaient eu un souci avec la personnalité de ma première copine, et surtout qu’ils appréhendaient le regard des autres !
Il a fallu que toute ma famille montre que mon homosexualité ne lui posait pas de problème, pour que mes parents fassent de même. Je pense même que c’est ma grand-mère qui a fait changer ma mère. Depuis, maman s’est rendue compte que de nombreuses personnes autour d’elle étaient aussi confrontées à l’homosexualité d’un proche. Maintenant elle va même presque trop loin en le criant haut et fort. Cela en devient un peu embêtant ! Mais c’est marrant, j’ai de la chance. Quant à mon père, il se ravit de la présence de jolies filles qui passent parfois à la maison. J’ai une petite sœur qui leur donne des petits-enfants, je pense que ça compte aussi. Même si je ne suis pas stérile, je n’ai pas d’enfant. »
Le témoignage de Frédéric, 49 ans, architecte et historien
« La première personne à qui je me suis confié était ma meilleure amie, quand nous avions 17 ans. J’étais amoureux d’elle depuis la sixième, mais bien évidemment, ça ne pouvait pas marcher ! Elle a été la première à me dire que ce n’était pas du tout un problème, d’ailleurs son frère aîné a été un de mes copains. Cela m’a permis de l’annoncer à ma mère (autour de mes 18 ans) qui me harcelait de questions pour savoir, parmi mes amies filles – et j’en avais pas mal comme tous les homos – laquelle avait mes faveurs. J’ai fini par lui répondre : ‘Aucune, ce sont les garçons qui m’attirent’.
Je crois qu’à l’époque j’étais encore ‘vierge’. Il m’a fallu toute mon adolescence pour comprendre qui j’étais et pour l’accepter car, en province (Le Havre en l’occurrence), à cette époque, je n’avais pas beaucoup de modèle positif. C’était encore la période ‘Cage aux folles’, sans compter que l’homosexualité est restée un délit jusqu’en 1981 ! J’ai été absolument soulagé de pouvoir le dire, avant même de l’avoir vraiment vécu.
La première réaction de ma mère, femme ouverte, de gauche, dans le milieu médical, a été plutôt surprenante et négative. Elle a même suggéré que j’aille voir un médecin ! Je me souviens lui avoir dit : « Comment peux-tu dire une chose pareille, je ne suis pas malade! »
Je lui ai laissé le soin d’en parler à mon père et, à ma plus grande surprise, il lui a dit que cela ne lui posait aucun problème si j’étais heureux ainsi. Je dois dire que j’étais vraiment soulagé car mes relations avec mon père n’ont pas toujours été faciles. Depuis ce jour, il y a plus de 30 ans, je n’en ai jamais discuté avec lui, mais il a toujours accueilli mes copains avec la plus grande gentillesse.
Je parle avec mes parents de mes amis comme je parlerais d’amies, et j’ai vécu 10 ans avec le même homme qu’ils ont traité comme leur fils (je n’ose pas dire gendre !). Je crois que le plus dur dans le coming-out, c’est la peur que ce soit une catastrophe, alors que ça peut très bien se passer. Je n’ai jamais eu le moindre problème avec ma famille à ce sujet, tout le monde le sait, personne n’a jamais fait la moindre remarque, du moins pas ouvertement. »
Le témoignage de Vincent, 26 ans, demandeur d’emploi dans le mécénat d’entreprise
« J’ai dû révéler mon homosexualité à ma mère quand j’avais 21 ans car je ne me sentais pas honnête, j’étais obligé de lui cacher certaines choses. Je suis très proche de ma mère, donc ça a été plutôt évident. Quand je lui ai dit que j’aimais les garçons, elle m’a répondu : ‘Mais Vincent, je le sais depuis toujours ! Ça ne changera rien’. Cette ‘annonce’ s’est très bien passée. J’étais soulagé et content que ce soit sorti. C’était une étape importante dans ma vie.
Aujourd’hui, je ne lui raconte pas mes histoires avec mes copains car je préfère conserver ma vie privée, et elle respecte mon choix de ne pas lui en parler. Mes parents sont divorcés. Mon père n’est pas au courant, mais de toute façon, il ne connaît pas ma vie, ni mes amis. Il n’est pas très présent. Je n’ai jamais établi de forte communication avec lui, au contraire de celle que j’ai avec ma mère. Je ne ressens pas le besoin de le lui annoncer. Je crois qu’il n’a jamais cherché à me connaître davantage. Ce n’est pas un sentimental, il est dans son travail. Avec lui, je parle de l’actualité, du monde, mais jamais de ressenti.
Peut-être qu’il est au courant, je ne sais pas. Je crois qu’avant de lui dire, il faudrait que j’acquière une certaine indépendance, que je me réalise davantage dans ma vie. On parlerait alors d’égal à égal.
Mon grand frère, qui a 3 ans de plus que moi, deux enfants, et s’est pacsé, a une vie bien rangée, pas comme la mienne ! Il est au courant sans l’être vraiment. On n’a pas eu de réelle conversation sur le sujet. Mais il connaît bien ma vie. Il est discret, n’est pas du tout intrusif, donc il prend ce qu’on lui donne mais n’ira pas chercher plus loin. Quand on se voit, on est souvent très entouré par la famille, il n’y a pas de moment propice. Je ne vais pas lui envoyer un mail pour le dire ! Je trouve aussi que c’est plus facile de l’annoncer aux filles. »
Le témoignage de Stéphanie, 33 ans, écrivain
« Il y a une époque où je disais tout à mes parents, jusqu’à mes 23 ans à peu près. C’est justement l’âge où j’ai eu mon premier coup de cœur « conscient » pour une fille. A peine avais-je flirté avec deux filles (ce qui fut un bouleversement total…) que j’ai dit à ma mère au détour d’une balade : ‘C’est peut-être les filles qui m’intéressent maintenant‘. Elle a fait mine de ne pas relever.
Puis j’ai vécu ma première histoire d’amour avec une fille, Marie. Je me suis installée chez elle pendant un temps, avant de me trouver un appart. C’était une histoire plutôt fusionnelle. J’en parlais assez librement, donc mes parents le savaient, nécessairement, mais ils ne me posaient pas beaucoup de questions, et surtout pas LA question : ‘Est-ce que tu es ‘comme ça’ (sous-entendu lesbienne) ?’ Cela faisait un an que j’étais avec Marie, quand ma mère est venue me rendre visite, et là, pour la première fois, nous en avons vraiment parlé.
Ma mère s’est rendue compte que ce n’était pas une passade, que Marie ne m’avait pas « détournée », et que j’étais vraiment homosexuelle.
Ce fut dur pour elle : le soir où elle a compris, elle a beaucoup pleuré, elle me disait qu’elle avait honte, qu’elle voulait partir loin d’ici, qu’elle n’oserait jamais le dire à sa mère et à la famille… Le regard des autres était très important pour elle.
Avec les années, cela s’est arrangé. Le fait que j’écrive et publie un livre sur le sujet a beaucoup aidé. Mes parents étaient fiers, ils voulaient le dire à leurs amis et à la famille, mais il fallait qu’ils mentionnent aussi que le titre en était ‘Les lesbiennes’. Ça les a aidés à en parler de manière détournée ! Ils ont vu que leur entourage ne s’en offusquait pas. Et ils ont aussi compris que je n’avais pas changé. Juste que je préférais les femmes dans ma vie amoureuse.
Maintenant, cela ne pose aucun problème ! Toute ma famille, mes grands-parents en particulier, est au courant, ils ont invité ma copine à Noël. Ils l’aiment beaucoup et demandent toujours de ses nouvelles. J’ai toujours été proche de ma famille, et après quelques remous qu’il a fallu affronter, mon homosexualité nous a plutôt rapprochés. »
Trois questions à Sylvie Giasson, auteure de « Vivre avec l’homosexualité de son enfant »
Est-ce que le coming-out dans la famille est un passage obligé pour être épanoui(e) ?
« Selon moi, oui. C’est une question d’intégrité personnelle. De plus, je compare la rupture familiale à une cassure à la jambe : une mauvaise cassure, mal guérie, peut entraver longtemps, sinon pour toujours, la capacité de marcher sans boiter. Au moment de mon propre coming-out, j’ai été près de quatre ans sans aller dans ma famille à Noël (parce que ma compagne n’y était pas la bienvenue). Ma mère m’a dit alors que je n’avais jamais été si présente dans son cœur, qu’elle pensait à moi sans arrêt. C’était la même chose pour moi. Se séparer de ses proches ne veut pas dire qu’on ne les porte plus en soi. »
Que faire si ma famille n’accepte pas mon homosexualité et pense que je suis malade ?
« Etre patient(e), très patient(e), même si cela est extrêmement difficile, et ‘éduquer’ ses proches sur la réalité homosexuelle. La meilleure manière de le faire, c’est d’être heureux et debout, tout simplement. Ce que les parents souhaitent le plus au monde c’est que leur enfant soit heureux.
S’ils sont si réfractaires à l’homosexualité, c’est très souvent parce qu’ils en ont une image très négative. A un jeune gay qui fait face à un conflit familial à cause de son homosexualité je dirai donc : sois heureux, le plus possible. Porte ta vie et ta différence le plus sereinement possible en respectant tes propres besoins mais aussi les limites de tes proches. Aide tes proches à se ‘faire à l’idée’ en n’exigeant pas d’eux qu’ils acceptent immédiatement ce que tu auras peut-être toi-même mis des mois à faire. »
Est-on obligé d’avoir d’abord accepté et assumé son homosexualité avant de l’annoncer à sa famille ?
« Non. Parce qu’accepter et assumer entièrement son homosexualité peut être l’affaire d’une vie. Mais, avant de faire leur coming-out, je suggère aux jeunes d’avoir un réseau de soutien solide et l’appui d’un adulte acceptant et ouvert, par exemple un oncle ou une tante, un professeur ou tout autre adulte significatif dans leur vie. Se joindre à un groupe d’entraide pour jeunes gays est aussi une excellente façon de ne pas vivre seul une période qui peut être très difficile. »