
Service correctionnel Canada
***ATTENTION: CE DOCUMENT CONTIENT DES TERMES QUI SONT SUSCEPTIBLES DE CHOQUER LES ÂMES SENSIBLES.
Professeur Derek Perkins
West London Mental Health NHS Trust
University of Surrey
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Diagnostic, évaluation et identification des troubles paraphiliques graves
Les paraphilies sont des anomalies relativement rares du fonctionnement sexuel qui amènent l’individu à se livrer à un éventail de comportements pour en retirer une gratification sexuelle. Ces comportements sont incompatibles avec le comportement sexuel d’un adulte consentant et peuvent perturber l’individu. Les systèmes de classification diagnostiques des troubles mentaux du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV-TR, American Psychiatric Association, 2000) et de la Classification internationale des maladies (ICD-10, Organisation mondiale de la santé, 1992) reconnaissent et définissent un vaste éventail de paraphilies. Le DSM-IV-TR définit huit grandes catégories et le CIM-10 en définit sept. On trouve aussi dans chaque système une catégorie générale : « Paraphilie non spécifiée » (DSM-IV-TR) et « Autres dysfonctionnements sexuels » (ICD-10).
Dans le DSM-IV (American Psychiatric Association, 1994), les paraphilies sont définies en fonction des éléments suivants : a) présence, pendant une période d’au moins six mois, de fantaisies imaginatives intenses et répétées sexuellement excitantes ou d’impulsions sexuelles liées au comportement paraphilique en question; b) ces fantaisies sont à l’origine d’un désarroi cliniquement significatif ou d’une altération du fonctionnement social ou professionnel ou dans d’autres domaines importants. En 2000, une version révisée du DSM-IV ajoutait que, dans certains cas, ce diagnostic pouvait être posé lorsque l’individu, sans éprouver personnellement de désarroi ni d’altération de son fonctionnement, a mis en acte la pulsion et, dans certains cas, a mis à exécution les comportements avec une personne non consentante. De façon assez analogue à cette version révisée du DSM-IV, l’ICD-10 décrit les paraphilies comme des actes exécutés pour obtenir une stimulation et une gratification sexuelles. Dans l’ICD-10, le sadisme et le masochisme sont combinés dans une catégorie tandis qu’ils en forment deux dans le DSM-IV-TR.
Quand l’objet du comportement est une personne non consentante, ou quand cette personne est un enfant, plusieurs paraphilies se transforment en infractions : 1) sadisme sexuel (excitation sexuelle devant la souffrance psychologique ou physique de la victime); 2) pédophilie (activité sexuelle avec un ou plusieurs enfants prépubères); 3) frotteurisme (toucher ou se frotter contre une personne non consentante); 4) voyeurisme (observer à son insu une personne nue, une personne en train de se dévêtir ou se livrant à une activité sexuelle); et 5) exhibitionnisme (exposition des organes génitaux à la vue d’étrangers qui ne s’y attendent pas). D’autres paraphilies ne constituent pas forcément des infractions, mais elles peuvent y être liées : 1) fétichisme (utilisation d’objets inanimés); 2) transvestisme fétichiste (revêtir les vêtements du sexe opposé); et 3) masochisme sexuel (être humilié, battu, attaché ou subir autrement des souffrances).
Le DSM-IV présente une gamme d’autres paraphilies qui, elles aussi, peuvent ou non être liées à la délinquance : 1) la scatologie, impliquant des appels téléphoniques obscènes; 2) la nécrophilie, attirance érotique ou intérêt sexuel pour des cadavres; 3) le partialisme, intérêt sexuel exclusivement ciblé sur une partie du corps; 4) la zoophilie, activités sexuelles avec des animaux (c.-à-d. tant des rapports sexuels complets que des fantasmes sexuels, plus fréquents chez des patients psychiatriques); 5) la coprophilie, activité sexuelle impliquant des matières fécales; 6) la clystérophilie, activité sexuelle impliquant des lavements; 7) l’urophilie, activité sexuelle impliquant l’urine; 8) la masturbation, autogratification sexuelle; 9) l’autogynéphilie, propension d’un homme à retirer de l’excitation sexuelle en s’imaginant ou en se voyant en femme (avec des attributs féminins); 10) l’asphyxiophilie ou l’hypoxyphilie, recours à l’hypoxie pour arriver à l’excitation sexuelle (cette paraphilie peut être compliquée par l’asphyxie auto-érotique); 11) le vidéovoyeurisme, c’est-à-dire retirer une gratification sexuelle de vidéos, habituellement de femmes accomplissant des actes naturels ou se livrant à des activités sexuelles; et 12) l’infantophilie, nouvelle sous-catégorie de la pédophilie dont les victimes sont âgées de moins de cinq ans.
Sadisme sexuel et nécrophilie
Dans le DSM-IV, le sadisme sexuel est défini comme des fantaisies imaginatives sexuellement excitantes, des impulsions sexuelles ou des comportements survenant de façon répétée et intense et comportant des actes (réels, non simulés) dans lesquels la souffrance psychologique ou physique de la victime provoque une excitation sexuelle chez la personne et lorsque les fantaisies, impulsions sexuelles ou comportements causent un désarroi cliniquement significatif ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants. La version révisée du DSM-IV (2000) ajoute que la personne a mis en acte ces impulsions sexuelles avec une personne non consentante. La présence d’une personne non consentante fait passer le comportement dans le domaine de la délinquance sexuelle.
L’une des grandes difficultés diagnostiques dans les cas d’homicide sexuel consiste à établir la nature et la fonction des blessures de la victime et à déterminer si l’homicide était principalement motivé par le sadisme sexuel. Nous y reviendrons dans les dernières sections du présent chapitre qui traitent des modèles et des typologies d’homicide. Il est peut-être pertinent de souligner ici qu’une évaluation psychologique complète dans le cas d’un homicide sexuel, ou d’un homicide sexuel présumé, devrait comporter l’accès à toutes les données d’analyse judiciaire, y compris les déclarations des témoins, les interrogatoires menés par la police (p. ex. transcriptions et bandes), les examens judiciaires et les rapports de pathologie.
Si les processus et procédures qui sous-tendent les rapports d’analyse judiciaire (scène du crime et pathologie) dépassent probablement la compétence du psychoévaluateur, il est quand même possible d’en tirer des conclusions avec d’autres documents et de formuler et tester des hypothèses. Selon mon expérience de l’évaluation de cas d’homicide sexuel devant les tribunaux et dans les établissements, les évaluations mettent souvent en lumière des renseignements contradictoires. Par exemple, 1) les notes des policiers sur la chronologie des actes commis la nuit du crime semblent indiquer, de la part du criminel, un fort degré de concentration et de compétence, alors que la version du sujet quant à son état physique ou mental à ce moment-là donne à penser qu’il aurait été incapable de commettre les actes en question; 2) le sujet prétend que la victime décédée voulait être attachée avec des foulards doux, alors que selon les éléments de preuve judiciaire, elle a été en fait attachée avec différentes choses, dont des fils de téléphone arrachés dans la pièce où elle se trouvait; et 3) selon l’agresseur, il s’agissait d’une attaque sauvage au couteau provoquée par la colère, alors que les incisions précises relevées sur le corps de la victime semblent indiquer que les blessures ont été infligées avec plus de soin et, peut-être, avec sadisme.
Dans le DSM-IV, la nécrophilie est classée sous « Paraphilies non spécifiées » et est définie comme une attirance érotique ou un intérêt sexuel pour des cadavres. Cette paraphilie est rare et peu souvent signalée à la police puisque les sujets travaillent habituellement dans des milieux où ils ont accès à des cadavres, comme une morgue ou un salon funéraire. Un tel comportement peut devenir un aspect d’une délinquance, par exemple si l’individu s’introduit par effraction dans des salons funéraires, inflige des dommages criminels aux cadavres ou commet un meurtre pour obtenir un cadavre. Ce comportement peut aussi être dangereux pour son auteur qui risque, par exemple, de contracter des infections du cadavre. La nécrophilie peut également être liée à d’autres paraphilies, comme le fétichisme, ou à des actes de délinquance, comme la profanation de cadavres ou la mutilation après un homicide.
La nécrophilie n’est pas souvent facteur de motivation dans les homicides sexuels, mais elle peut être pratiquée post mortem pour diverses raisons dans des homicides sexuels, notamment : 1) le meurtrier se rend compte que certains actes paraphiliques peuvent être pratiqués post mortem pour son plaisir sexuel, sans opposition et sans « empirer les choses » puisque le meurtre a déjà été commis; 2) il éprouve des sentiments de colère envers la victime parce qu’elle a résisté et est décédée au cours d’une agression sexuelle violente, ce qui l’amène à diriger sa colère contre le cadavre; et 3) le meurtrier mutile sa victime post mortem afin de créer une scène de crime susceptible de convaincre les policiers que l’auteur du crime est quelqu’un d’autre. Selon l’expérience de l’auteur, les agresseurs qui disent avoir mutilé leur victime afin de tromper la police se rétractent souvent au cours du travail d’évaluation et de traitement subséquent, lorsque sont abordées les questions de la honte et de la minimisation, ils reconnaissent alors que les mutilations découlaient plutôt de leur colère ou de leurs sentiments sexuels.
Détection et prévention
Il a été constaté que de nombreuses paraphilies sont liées à l’homicide sexuel (Stone, 2001), mais aussi que la plupart des individus qui présentent des troubles paraphiliques ne deviennent pas des meurtriers sexuels. Le lien entre les paraphilies et l’homicide sexuel ressemble probablement au lien qui existe entre le fait d’avoir subi des mauvais traitements sexuels et le fait de commettre par la suite des infractions sexuelles. La plupart des personnes qui ont subi de mauvais traitements sexuels ne deviennent pas des agresseurs, mais pour certains, le traumatisme de l’abus se rattache à d’autres facteurs qui, conjugués, contribuent au développement de la délinquance ultérieure.
Les paraphilies découlent de facteurs liés au développement et de facteurs environnementaux et sociaux, de même que de prédispositions biologiques possibles (Hucker, 1992). La détection précoce d’intérêts paraphiliques et la détermination d’autres facteurs de risque d’un comportement sexuel délinquant (p. ex. attachements dysfonctionnels, isolement social, faible estime de soi et troubles de comportement) pourraient faciliter l’adoption de mesures préventives. Par rapport à la criminalité de façon plus générale, il a été dit que l’approche préventive la plus efficace consiste à offrir des milieux sociaux, familiaux et éducatifs qui sont mieux informés (au sujet des facteurs de risque liés à la criminalité) de manière à pouvoir donner aux jeunes, pendant qu’ils grandissent, des expériences structurées, apportant un soutien positif, incompatibles avec la criminalité. Cela permettrait aux cliniques d’aide à l’enfance et à la famille de reconnaître ces facteurs de risque de manière à ce qu’on puisse s’employer à réduire le risque et à régler d’autres problèmes plus courants, comme le refus d’aller à l’école, les crises de colère et les relations familiales tendues.
Les écrits spécialisés semblent indiquer que, pour ceux qui sont en voie de développer des paraphilies, le désarroi causé par le rejet ou l’humiliation engendre habituellement un retranchement dans la sécurité et l’excitation du monde des fantasmes (Arrigo et Purcell, 2001; Burgess, Hartman, Ressler, Douglas et McCormack, 1986; Schlesinger, 2007) qui peut être exacerbé par des facteurs comme l’utilisation de pornographie (qui stimule des fantasmes déviants) et la toxicomanie (qui facilite la levée des inhibitions) (Hickey, 1997). Burgess et coll. (1986) ont décrit le développement de « réactions conditionnées » (comme les fantasmes violents et une vision cynique de l’autre) qui sont susceptibles d’entretenir et d’intensifier les fantasmes et d’aboutir, lors de la présence de certains déclencheurs, au passage à l’acte.
Hellman et Blackman (1966) ont été les premiers à parler du concept de « triade antisociale » comprenant l’énurésie nocturne jusqu’à l’âge de 11 ans, la fascination par le feu et la cruauté envers les animaux comme marqueurs possibles de troubles ultérieurs. Cette triade est mentionnée dans plusieurs études sur les délinquants motivés sexuellement, y compris les meurtriers sexuels. Stone (2001) et Schlesinger (2007) ont fait remarquer que les chats sont souvent victimes d’actes de cruauté dans les antécédents de meurtriers sexuels en série, peut-être parce que les chats sont plus facilement à portée de main, mais pas assez forts pour se défendre.
En bref, même si elles ne constituent pas forcément elles-mêmes des infractions, toutes les paraphilies peuvent être associées à une conduite délinquante, surtout lorsque des infractions sont commises dans la quête de l’expérience paraphilique (p. ex. vol de vêtements dans le cas du fétichisme, introduction par effraction dans des salons mortuaires pour toucher des cadavres dans le cas de la nécrophilie) et, accessoirement, par l’incorporation de la paraphilie dans un modèle de comportement délinquant (p. ex. viol commis par un délinquant qui n’est stimulé qu’à le faire parce qu’il est habillé en femme, dans le cas du transvestisme fétichiste mêlé à une propension au viol). Plusieurs auteurs ont critiqué le manque de logique, de cohérence et de clarté des critères applicables aux actes de paraphilie et doutent qu’ils constituent des troubles mentaux distincts, mais ces critères sont encore abondamment utilisés, pour des raisons pratiques, dans les évaluations cliniques et judiciaires.
Homicide sexuel
L’homicide sexuel est une expression qui a été définie de plusieurs manières et qui est parfois utilisée de façon interchangeable avec d’autres expressions. Une distinction générale a été faite entre les meurtres qui sont commis explicitement pour le plaisir sexuel (meurtres sexuels) et les meurtres qui surviennent lors de la perpétration d’actes ou d’infractions sexuels, mais qui n’ont pas été commis en vue d’une gratification sexuelle. Grubin (1994) présente un résumé d’un vaste éventail de comportements et de motifs qui ont été qualifiés d’« homicide sexuel ».
Malmquist (1996) résume les distinctions faites entre le « viol meurtrier », c’est-à-dire un homicide commis pendant ou après un viol, le « meurtre sexuel », c’est-à-dire lorsque l’homicide produit la gratification sexuelle, et le « meurtre consécutif à la relation sexuelle » servant à détruire les éléments de preuve. De même, Schlesinger (2007) résume les trois possibilités en des termes plus généraux : un meurtre qui est sexuellement stimulant, un meurtre commis pour masquer un autre crime, par exemple un viol, et un meurtre ayant une composante sexuelle, dont la dynamique motivationnelle précise n’est pas claire. Le meurtre sexuel ne figure pas dans la liste des paraphilies bien qu’il soit d’habitude associé à différentes paraphilies, notamment le sadisme sexuel, le transvestisme, l’exhibitionnisme et le voyeurisme, mais rarement à la nécrophilie (Gratzer et Bradford, 1995; Langevin, Ben-Aron, Wright, Marchese et Handy, 1988). Meloy (2000) et Schlesinger (2007) ont aussi relevé des taux élevés de dysphorie liée à l’identité sexuelle, dans des échantillons d’auteurs d’homicide sexuel.
Théories de l’homicide sexuel
Les théories de l’homicide sexuel ont inclus et, dans certains cas, intégré des perspectives biologiques, psychologiques, sociologiques et sociopolitiques (Hucker, 1992). Il y a un degré considérable de chevauchements et de similitudes entre les principales positions théoriques. Burgess et coll. (1986) ont produit un modèle de l’homicide sexuel inspiré des données provenant de leur échantillon de 36 cas. Ils proposent un modèle motivationnel comportant plusieurs stades :
- un environnement social inefficace durant l’enfance, le futur criminel ayant fait l’expérience de liens affectifs pathologiques avec ses parents et avec les membres de sa famille, y compris la négligence, l’indifférence ou une discipline excessivement sévère;
- les événements traumatisants survenus pendant les premières années, par exemple la violence physique, sexuelle ou psychologique et l’échec interpersonnel, vus comme les germes du développement ultérieur de la personnalité;
- des réactions conditionnées émergent ensuite, notamment des traits de personnalité négatifs, comme l’isolement social et l’indifférence pour les sentiments d’autrui, et la mise en correspondance cognitive dysfonctionnelle. Par conséquent, l’individu apprend à composer avec le monde en se réfugiant dans des fantasmes de pouvoir ou de vengeance;
- des actes dirigés envers autrui, consécutifs aux stades précédents, comme l’insensibilité aux désirs de l’autre, la détérioration de la propriété, la cruauté envers les animaux et la violence. À la puberté, les fantasmes agressifs se mêlent à l’excitation et à la gratification sexuelles;
- le filtre de rétroaction, soit le dernier stade proposé, où l’individu voit le monde à travers les filtres qu’il s’est lui-même créés. Par exemple, il croira que les gens ne sont pas dignes de confiance, qu’il est bon d’être puissant et qu’il mérite de réaliser ses fantasmes sexuellement agressifs.
Hickey (1997) a élaboré un modèle de l’homicide sexuel fondé sur le « contrôle des traumatismes », semblable à bien des égards au modèle de Burgess et coll. (1986) et compatible avec celui-ci. Il met en lumière plusieurs facteurs qui poussent des individus à commettre des homicides sexuels en série :
- les facteurs de prédisposition – biologiques, sociologiques et psychologiques;
- les événements traumatisants au cours des années de formation, par exemple les mauvais traitements, exacerbés par des événements sociaux et environnementaux, comme le rejet;
- le développement d’une faible estime de soi et des fantasmes et rêveries compensatoires servant de substituts aux relations sociales;
- la dissociation (le « blocage » des pensées et sentiments pénibles), vue comme un mécanisme commun qui entre souvent en jeu lorsque les individus sont aux prises avec des souvenirs, des pensées et des sentiments douloureux;
- les renforçateurs de traumatismes, comme le rejet ou la critique, décrits dans le modèle comme des mécanismes déclencheurs qui réactivent le traumatisme subi dans l’enfance, amenant l’individu à réagir en se retranchant dans son monde imaginaire; ils incluent souvent des idées cyniques et une imagerie sadique;
- le développement soutenu de fantasmes de plus en plus violents, souvent alimentés par des « facilitateurs » comme l’alcool, la drogue et la pornographie, accompagnés d’une escalade dans la violence et de la mise en application de certaines parties de leurs fantasmes; et enfin,
- le comportement meurtrier, l’individu éprouvant habituellement des sentiments de gratification sexuelle et de maîtrise de sa vie. Ces sentiments créent les conditions propices à d’autres fantasmes et à de futurs passages à l’acte.
Les modèles concordent avec d’autres études sur le sadisme sexuel et sur l’homicide à motivation sexuelle. Dans une étude souvent citée portant sur 16 criminels sadiques souffrant de maladie mentale, MacCulloch, Snowden, Wood et Mills (1983) ont aussi décrit des facteurs déclencheurs clés. Ces facteurs comprennent l’existence de problèmes dans l’enfance, le retranchement dans des fantasmes sexuels et l’escalade dans les mises en application de fantasmes de plus en plus violents au moyen d’« essais comportementaux ». Par exemple, le délinquant se contente au début de suivre sa victime pour en venir à l’agresser afin d’intensifier son excitation. Dans 14 des 16 cas, on a observé que les infractions dont ces délinquants avaient été trouvés coupables étaient calquées sur leurs fantasmes.
Stone (2001) a recensé les écrits retraçant l’évolution des homicides sexuels en série du milieu du 19e siècle à nos jours. Il mentionne que, même si les homicides sexuels en série sont rares, leur nombre a décuplé depuis les années 1960, et il propose des explications à ce phénomène. Cependant, Schlesinger (2007) souligne les difficultés méthodologiques liées à l’évaluation des taux d’homicide sexuel (notamment leur fréquence faible, l’absence de définition claire, le caractère fragmentaire des renseignements disponibles et le manque de coopération entre différents domaines de recherche) et il est d’avis que le taux d’homicide sexuel n’a pas augmenté. Après avoir examiné les dossiers de 99 meurtriers sexuels en série, Stone (2001) mentionne que les troubles mentaux les plus souvent signalés sont les troubles de la personnalité et les paraphilies. Il signale la présence de psychopathie dans 91 % des cas et de sadisme sexuel dans 89 % des cas. Le trouble de la personnalité antisociale au sens du DSM-IV est présent dans 81 % des cas, le trouble de la personnalité narcissique, dans 60 % des cas, le trouble de la personnalité schizoïde, dans 47 % et les troubles explosifs ou irritables, dans 33 % des cas. Stone s’arrête en particulier à la surreprésentation extrême du trouble de la personnalité schizoïde, dont l’incidence est d’environ 1 % dans la population générale, mais de 47 % chez les tueurs en série. Il met aussi en lumière les taux élevés d’hypersexualité tels que rapportés par « l’étrangleur de Boston », Albert DeSalvo, qui exigeait de sa femme des rapports sexuels cinq ou six fois par jour. Il note également la grande fréquence des paraphilies (plus d’une paraphilie dans 70 % des cas et deux ou trois paraphilies dans la plupart des cas).
Langevin (2003) résume ainsi les caractéristiques psychosexuelles des « meurtriers sexuels » : 1) troubles précoces, problèmes de comportement à l’école; 2) carrière criminelle précoce (39,4 % ont commis un meurtre sexuel avant l’âge de 20 ans); 3) taux élevés de cruauté envers les animaux, de pyromanie et d’autres comportements antisociaux; 4) problèmes d’apprentissage dès le jeune âge et difficultés neuropsychologiques; 5) paraphilies nombreuses, notamment sadisme, voyeurisme, fétichisme, transvestisme et trouble de l’identité sexuelle; et 6) trouble de la personnalité antisociale et psychopathie, bien que la plupart des sujets aient obtenu des scores inférieurs à 30 au test PCL-R.
Arrigo et Purcell (2001) s’inspirent du modèle de Burgess et coll. (1986) et de celui de Hickey (1997), ainsi que d’autres études, pour produire un modèle intégré qui comprend :
- le développement lors des années de formation, constitué :
- de facteurs de prédisposition – certains facteurs biologiques (p. ex. dans le système limbique) créant des liens pathologiques entre la violence et la stimulation sexuelle; un milieu familial dysfonctionnel, des liens affectifs perturbés et un développement déficient;
- des événements traumatisants – violence sexuelle, physique et psychologique et les liens entre cette violence et le manque de confiance en soi, l’impuissance et le désespoir;
- une faible estime de soi – un sentiment profondément enraciné d’échec personnel et l’absence de souci chez le sujet pour ceux qui, dans son esprit, l’ont rejeté, ce qui crée les conditions propices au retranchement dans des fantasmes compensatoires;
- un développement précoce de fantasmes et de paraphilies – l’isolement social conjugué aux fantasmes précoces se transforme en intérêts paraphiliques, renforcés par la masturbation et différents rituels et objets érotisés;
- le processus paraphilique
- stimuli paraphiliques et fantasmes – avec le temps, les fantasmes deviennent plus extrêmes, incorporant différents fétiches et rituels;
- processus de conditionnement orgasmique – où l’individu renforce ses fantasmes par la masturbation et l’orgasme, et en vient de plus en plus à en dépendre pour obtenir un quelconque sentiment de satisfaction;
- facilitateurs – utilisation de drogues, d’alcool et de pornographie permettant à l’individu d’entretenir et d’intensifier ses fantasmes violents;
- des stresseurs – des événements, avec lesquels la plupart des gens apprennent à composer (le rejet, le ridicule, l’isolement) deviennent des déclencheurs de la mise en acte des fantasmes;
- des manifestations comportementales – lorsque les fantasmes sont mis en application, ils produisent un sentiment d’euphorie et de satisfaction qui alimente la vision du monde de l’individu;
- des fantasmes de plus en plus violents – alimentés par l’effet de la mise en application et l’intensification des fantasmes, et la perte de contrôle.
Arrigo et Purcell (2001) décrivent plusieurs implications de leur modèle, dont des indicateurs possibles de récidive (notamment une faible estime de soi, des fantasmes déviants et des facilitateurs du passage à l’acte), des points d’accès clés d’intervention et des implications pour le traitement. Ils soulignent qu’un traitement préventif commence par un habile travail d’évaluation et de diagnostic qui filtre de façon compétente les indicateurs paraphiliques dans des cas particuliers, et qu’à ce jour, il n’existe aucun instrument diagnostic qui permet de réaliser cet objectif (p. 27).
Homicides catathymiques et homicides compulsifs
Schlesinger (2007) souligne l’importance d’une approche phénoménologique-descriptive de l’homicide sexuel à ce stade de nos connaissances. Il résume la différence entre les homicides sexuels catathymiques et les homicides compulsifs en disant que les premiers sont déclenchés par une percée de conflits sexuels sous-jacents (offrant au sujet un certain soulagement de ces conflits) tandis que les homicides compulsifs résultent d’une fusion de la sexualité et de l’agression (offrant au sujet une gratification sexuelle par le meurtre) (p. 244). Dans les deux cas, l’homicide peut être planifié ou non.
L’homicide catathymique aigu est déclenché par des émotions dominantes éprouvées par l’agresseur, liées à des conflits sous-jacents qui s’étendent au domaine de la sexualité. Meloy (1992) avait déjà noté que les homicides de cette catégorie comportaient un attachement pathologique et des antécédents de traumatismes physiques ou sexuels, comme dans le modèle de Burgess et coll. (1986). Dickey (1994) avait aussi fait état d’antécédents de conflits multiples, d’abandon, d’abus émotionnel et d’abus sexuel maternel, les crimes étant souvent commis alors que le sujet se trouve dans un état dissociatif explosif.
L’homicide catathymique chronique est le résultat d’un agresseur déprimé, obsédé par sa future victime. Tuer devient une idée fixe, mêlée à des pensées suicidaires. Meloy (1988, 1992) mentionne que ces criminels souffrent habituellement du trouble de la personnalité limite et n’ont pas d’identité intégrée. Ils ont des difficultés au niveau de l’épreuve de la réalité, et ils peuvent se livrer au harcèlement criminel et employer des mécanismes de défense primitifs, tombant parfois dans la psychose. L’individu cherche habituellement à exercer un contrôle absolu sur la victime qui représente la source de son désarroi.
Par contraste, l’homicide compulsif est décrit comme une manifestation de la fusion de la sexualité et de la violence, où l’acte de tuer est devenu érotisé même s’il peut n’y avoir aucun signe d’agression sexuelle sur les lieux du crime. Les homicides compulsifs planifiés produisent habituellement des scènes de crime organisées, ce qui peut rendre l’identification et l’arrestation du meurtrier plus difficiles. Des éléments de fantasmes de longue date liés au sadisme sexuel et une compulsion au meurtre sont généralement présents. Dietz, Hazelwood et Warren (1990) notent que ces individus planifient d’habitude soigneusement leur crime. Ils ciblent et manipulent des personnes inconnues (plutôt qu’une connaissance comme c’est le cas pour les meurtres catathymiques), ils ont recours à des moyens de contention, forcent leur victime à prononcer des paroles dégradantes, réalisent des fantasmes sadiques complexes et tuent leur victime par strangulation manuelle.
L’homicide compulsif non planifié est commis lorsque l’occasion se présente et comporte généralement des fantasmes sexuels non différenciés ou concrets, se limitant d’habitude à l’âge et au type de la victime (Hazelwood et Warren, 2000).
Schlesinger (2007) énumère plusieurs indicateurs qui aident l’évaluateur à faire la distinction entre les homicides catathymiques aigus et les homicides compulsifs non planifiés, y compris le fait que, dans le premier cas, le meurtrier n’a pas eu au préalable de pulsions le poussant à agir avec une violence d’ordre sexuel. Par exemple, la victime d’un homicide compulsif non planifié est généralement inconnue de l’agresseur avant le meurtre, et ce dernier est habituellement en proie à des fantasmes sadiques (complexes ou simples), tandis que, dans le premier cas, la victime est normalement une personne connue du meurtrier.
Diagnostic et évaluation cliniques
Sadisme
Marshall et Yates (2004) ont examiné les problèmes de diagnostic dans les cas de sadisme sexuel chez les délinquants sexuels et ils ont souligné le manque d’uniformité des critères employés dans la pratique clinique. Toutefois, plusieurs éléments ont été systématiquement rapportés, dont le pouvoir, le contrôle, la domination, l’humiliation, la dégradation, la cruauté, la torture et la violence excessive. Ils ont comparé les données sur les délinquants sexuels aux diagnostics psychiatriques actuels de sadisme sexuel, par opposition à d’autres diagnostics, quant à l’information contenue dans les dossiers des délinquants, y compris les infractions actuelles et antérieures, les antécédents personnels, les antécédents et les intérêts sexuels et violents autodéclarés et les évaluations psychologiques, notamment la pléthysmographie pénienne (PGP). Contrairement aux attentes, ils ont constaté que les sujets pour lesquels on avait établi un diagnostic de sadisme sexuel étaient moins susceptibles d’avoir battu et torturé leurs victimes et étaient moins excités sexuellement, lors du test de PGP, à la vue de scènes d’agression sexuelle d’une femme, que les délinquants qui n’étaient pas considérés comme des sadiques sexuels. Ce constat soulève des questions sur les distinctions à faire quant à la nature précise de la violence employée dans des actes criminels ayant d’autres motivations. Par exemple, certaines catégories d’actes criminels où les victimes sont battues et torturées pourraient être motivées davantage par une violence colérique et instrumentale que par le sadisme. Cette constatation se rattache, en retour, à la nature précise des stimuli employés dans les évaluations par PGP, par exemple les sadiques qui sont particulièrement stimulés par des blessures infligées à l’arme blanche peuvent ne pas réagir sexuellement à des scènes de strangulation, et inversement.
Dans le même ordre d’idées, Palmer (2006) a mis au point une liste de contrôle en 25 éléments des comportements sadiques (LCS) à partir d’une étude de 100 délinquants sexuels incarcérés et de 100 délinquants sexuels détenus dans des établissements de santé mentale à haute sécurité. En guise de point de départ, Palmer a employé une combinaison de recension des écrits et d’opinions d’experts. La liste de contrôle a obtenu des taux de fiabilité et de validité acceptables et produit un construit unidimensionnel de haut niveau du sadisme avec des composantes de contrôle, d’humiliation, de cruauté physique, de cruauté psychologique et de torture. Les 25 éléments comportaient des descripteurs par rapport à ce qui suit : a) blessures infligées à la victime, b) recours à une force excessive, c) contrôle/domination, d) degré de planification, e) choix de la victime avant l’acte criminel, f) asphyxie, g) avoir battu la victime, h) avoir apporté l’objet à employer dans l’acte criminel, i) préparation d’un scénario comportemental/verbal, j) emprisonnement/ captivité, k) ligotage, l) avoir bandé les yeux de la victime, m) avoir bâillonné la victime, n) comportement visant à humilier/dégrader, o) variété d’actes sexuels, p) fellation, q) viol anal, r) séquence des actes sexuels, s) stimulation provoquée par la réaction de la victime, t) langage visant à humilier/dégrader, u) insertion de corps étrangers, v) mutilation sexuelle, w) emploi d’outils, x) marque de morsure, et y) cruauté/torture.
Évaluation de la personnalité, du fonctionnement intellectuel et de l’état mental
Étant donné que la plupart des auteurs d’homicide sexuel manifestent une ou plusieurs formes de trouble mental (trouble de la personnalité, maladie mentale et paraphilie), l’évaluation de l’état mental est un élément clé de la formulation et de l’évaluation. Compte tenu du risque que présente le recours à une source unique d’information, il est de bonne pratique d’utiliser une vaste base d’information et de corroborer et confirmer les renseignements ainsi obtenus à mesure que les évaluations progressent (Schlesinger, 2007). Même s’ils ne sont pas forcément pertinents dans l’évaluation du risque et des besoins, les systèmes diagnostiques structurés du DSM-IV et/ou du ICD-10 sont une façon utile d’organiser l’information de manière à faciliter le recoupement avec d’autres renseignements du dossier, en plus de constituer un point de départ pour l’entretien avec le délinquant.
À ce matériel, il est possible d’ajouter : 1) des évaluations psychologiques structurées du fonctionnement intellectuel – p. ex. Wechsler Adult Intelligence Scale-III (WAIS-III, Wechsler, 1997); 2) l’évaluation des forces et faiblesses cognitives – examen neuropsychologique et tests plus spécifiques du fonctionnement, comme le Theory of Mind (Baron-Cohen, Wheelwright, Hill, Raste et Plumb, 2000); 3) des tests de personnalité – par exemple, le NEO Personality Inventory-Revised (NEO-PI-R, Costa et McCrae, 1992), les Eysenck Personality Scales-Revised (EPQ-R, Eysenck et Eysenck, 1991), l’Inventaire multiphasique de la personnalité du Minnesota (MMPI-2, Butcher, Dahlstrom, Graham, Tellegen et Kaemmee, 1989), l’Inventaire clinique multiaxial de Millon (MCMI-III, Millon, 1994), le Paulhus Deception Scales (PDS, Paulhus, 1998), le Social Problem Solving Inventory-Revised (SPSI-R:S, D’Zurilla, Nezu et Maydeu-Olivares, 2002); 4) des mesures des croyances et des attitudes, comme le Empathy for Women (Hanson, 1998) et le Empathy for children (Hanson et Scott, 1995); et 5) des évaluations de problèmes particuliers ou types de propension (colère, dépression, impulsivité).
Intérêts sexuels et degré d’excitation
Pléthysmographie pénienne (PGP)
Lors d’une pléthysmographie pénienne (PGP), le sujet écoute ou visionne, pendant que ses réactions péniennes sont contrôlées, du matériel lié à son comportement déviant (stimuli déviants) et du matériel de comparaison illustrant des possibilités légalement acceptables. Des évaluations par PGP ont déjà été abondamment décrites dans la documentation spécialisée (Murphy et Barbaree, 1994; Marshall, 2006). Les recherches montrent que les données de la PGP sont actuellement l’indication la plus fiable de la stimulation sexuelle que peuvent provoquer différents types de stimuli et que cette méthode est modérément résistante aux tentatives de tricher (Kalmus et Beech, 2005).
La PGP est particulièrement utile quand l’individu évalué est porté à nier, fausser ou minimiser ses préférences sexuelles. On reconnaît, dans la documentation spécialisée, la nécessité d’utiliser des PGP dans l’évaluation et la gestion des risques que présentent les délinquants sexuels, de même que dans la planification et l’évaluation de leur thérapie. Aucun autre moyen n’est actuellement assez avancé pour remplacer la PGP. Bien qu’on ne puisse prétendre que la PGP est le seul moyen d’évaluer les propensions sexuelles d’un sujet, elle reste cependant un élément important de l’évaluation.
Les PGP n’indiqueront pas toujours les intérêts sexuels déviants parce que le sujet : a) peut ne pas avoir d’intérêt sexuel déviant; b) peut réussir à tromper l’évaluation; c) peut avoir un intérêt déviant qui n’est pas sensible à la nature, à la force ou à la modalité des stimuli présentés; ou d) d’autres émotions peuvent l’emporter sur sa réaction sexuelle, comme la colère ou l’angoisse. Cependant, les sujets réagissent de différentes façons aux évaluations menées à l’aide de la PGP, y compris par des divulgations ou des réactions émotionnelles qui peuvent éclairer l’évaluation. Les critiques visant la PGP se rapportent actuellement à son utilité, à des problèmes méthodologiques et à des questions d’ordre professionnel (Marshall, 2006).
Barbaree et Marshall (1988) rapportent une corrélation positive (r = 0,38) entre la PGP et 35 agresseurs d’enfants non traités. Même s’ils jugent que les résultats de la PGP n’ont pas une valeur prédictive directe, Quinsey, Rice et Harris (1995) estiment que, conjuguée à 12 autres facteurs, la PGP a contribué à renforcer la prédiction de la récidive. Dans leur méta-analyse de 61 études portant sur 23 393 délinquants sexuels, Hanson et Bussière (1998) ont obtenu un indice Agresseur d’enfants – PGP (r = 0,32), qui s’est révélé le prédicteur le plus puissant de récidive. L’indice Viol – PGP (r = 0,05) ne permettait pas de prédire la récidive. Firestone, Bradford, Greenberg et Nunes (2000) ont constaté que les données issues de la PGP ne permettaient de prédire un comportement criminel que pour les agresseurs d’enfants extrafamiliaux.
Dans un échantillon de 27 agresseurs d’enfants meurtriers, 89 agresseurs d’enfants non meurtriers et 47 non-délinquants, Firestone et coll. (2000) ont constaté que les agresseurs meurtriers et non meurtriers étaient considérablement plus stimulés (52 % et 46 %) que les non-délinquants (28 %) à l’indice de pédophilie. Les agresseurs meurtriers étaient, de façon significative, plus stimulés à l’indice d’agression pédophilique (63 %) que les agresseurs non meurtriers (40 %) ou les non-délinquants (36 %). Laws, Hanson, Osborn et Greenbaum (2000) ont comparé les résultats de 20 agresseurs de garçons et 52 agresseurs de fillettes (patients externes volontaires) à des PGP audio et visuelles ainsi qu’à une tâche de tri de cartes d’intérêt sexuel. Les trois méthodes d’évaluation ont permis de différencier les agresseurs de garçons et de fillettes et, collectivement, elles ont produit un taux de 91,7 % d’exactitude de la classification, ce qui semble indiquer la pertinence de conjuguer des méthodes d’évaluation. Palmer (2006) a analysé les résultats à la PGP de 55 sujets dans une étude portant sur des délinquants sexuels souffrant de maladie mentale et des délinquants non atteints de maladie mentale, et il a obtenu une corrélation significative (r = 0,29) entre un indice des réactions, obtenues à la PGP, à la violence sexuelle entre adultes et une liste de contrôle des comportements sadiques dérivée des renseignements au dossier.
La PGP ne permet jamais d’identifier exclusivement et totalement la déviance sexuelle ni de prédire avec certitude la récidive sexuelle, mais elle peut être un élément utile d’une évaluation multimodale détaillée de la violence à motifs sexuels, connue ou soupçonnée. Dans ma pratique actuelle, des PGP sont régulièrement effectuées de pair avec d’autres évaluations afin d’examiner l’intérêt sexuel et l’excitabilité, et cela pour : 1) aider les sujets à reconnaître et à gérer l’excitation sexuelle déviante/les paraphilies qui sont liées à leur comportement criminel, 2) être à même de préciser la nature de leur comportement criminel et, ainsi, contribuer à la gestion des risques et à la prestation d’un traitement, et 3) fournir une base de comparaison chronologique de la sensibilité à différentes formes de stimuli liées à des solutions de rechange criminelles et non criminelles.
Il est préférable d’effectuer les PGP dans un esprit de collaboration avec les délinquants-patients, une approche qui variera selon leur réceptivité à l’évaluation, comme à d’autres formes d’évaluation. Certains délinquants s’opposent vivement à l’évaluation pour différentes raisons, dont il peut être utile de discuter, et qui jettent parfois de la lumière sur leurs attitudes, propensions et angoisses sexuelles. D’autres, soucieux de changer, sont enthousiastes à l’idée de participer aux évaluations pour explorer leurs propres réactions et comprendre leur délinquance. D’autres encore veulent surtout prouver qu’ils ne présentent plus de danger et améliorer ainsi leurs chances d’être remis en liberté ou d’être transférés dans des établissements à sécurité moindre. D’autres coopèrent aux évaluations par PGP, comme ils le font dans le cas d’autres formes d’évaluation, simplement parce qu’ils se plient aux suggestions de l’équipe clinique ou des responsables de leur détention.
Selon l’expérience de l’auteur en matière d’évaluation de cas d’homicide sexuel, la PGP permet normalement l’observation de réactions déviantes que les délinquants avaient auparavant niées ou minimisées. Certains sujets peuvent facilement incorporer ces constatations dans leur dialogue avec les spécialistes (Travin, Cullen et Melella, 1988). On constate d’habitude que ces personnes avaient consciemment nié leur intérêt sexuel, croyant que leur progrès dans le système serait plus rapide si leur déviance n’était pas détectée. D’autres peuvent vivement s’opposer aux constatations, soutenant que le test n’est pas valable ou que l’opérateur a truqué les résultats ou que les résultats ne veulent rien dire. Cette réaction est souvent observée chez les délinquants qui sont en déni à propos d’autres aspects de leur comportement. D’autres peuvent éprouver un grand désarroi à mesure qu’ils en viennent à reconnaître qu’ils réagissent sexuellement à du matériel déviant. Cette réaction semble parfois découler de la honte et parfois d’une dissociation apparente entre le monde intérieur du sujet et ce qu’il présente aux autres. Ces réactions peuvent être liées à différents troubles de la personnalité (narcissique, schizoïde, etc.) et à différentes catégories d’homicide sexuel (catathymique, compulsif).
Actuellement, les lignes directrices professionnelles (de l’Association for the Treatment of Sexual Abusers [ATSA] et de la British Psychological Society) indiquent que les stimuli visuels se rapportant aux infractions contre des adultes (p. ex. viol et violence non sexuelle) devraient correspondre à ce qu’on pourrait s’attendre à voir dans des films classés «pour adultes » tandis que les stimuli auditifs pourraient permettre des représentations plus extrêmes sans toutefois enfreindre les normes juridiques ou éthiques. Dans le cas d’infractions contre des adultes (habituellement des femmes), ces stimuli sont utilisés pour évaluer l’excitabilité sexuelle relative des délinquants à des illustrations de viol, de violence et d’activités hétérosexuelles consentantes. De même, pour les agresseurs d’enfants, des stimuli visuels présentant des enfants peuvent être nécessaires pour évaluer l’excitabilité sexuelle différentielle à l’égard d’enfants et d’adultes, mais ces stimuli ne devraient pas représenter de vrais enfants.
Polygraphie
Dans une évaluation polygraphique, un technicien qualifié surveille le rythme cardiaque, la pression sanguine, la respiration et le réflexe psychogalvanique d’un délinquant sexuel/patient. Ce dernier doit répondre à plusieurs questions liées à son évaluation clinique, questions dont il a approuvé le contenu au préalable. Ces questions peuvent se rapporter à la divulgation d’information sur les actes criminels antérieurs (nombre et type de victimes, actes commis), à des aspects d’un plan de traitement (une procédure de gestion convenue des fantasmes) ou à des plans de prévention des rechutes (éviter les situations à risque élevé et s’abstenir d’activités à risque élevé). La méthode du polygraphe fait appel à la franchise, et le profil polygraphique obtenu permet à l’évaluateur de se prononcer sur l’honnêteté du patient.
Grubin, Marsden, Parsons, Sosnowski et Warberg (2004) ont constaté que la polygraphie comme aide au traitement et à la supervision de délinquants sexuels a nettement augmenté aux États-Unis, bien qu’elle ne soit encore employée que dans une minorité de programmes de traitement (Abrams et Simmons, 2000; English, Jones, Pasini-Hill et Cooley-Towell, 2000a). Des critiques s’en sont pris au fondement empirique et à la validité scientifique de la polygraphie (Cross et Saxe, 2001), mais la plus grande partie de la discussion a porté sur le recours à la polygraphie dans des contextes d’enquête, comme la détection d’actes criminels et l’évaluation préalable à l’emploi, ce qui n’est qu’en partie pertinent aux applications postérieures à la condamnation des délinquants sexuels. Dans le premier cas, les questions de précision prédominent tandis que, dans le second, le polygraphe n’est qu’un outil d’évaluation parmi d’autres qui aide à comprendre le cas grâce aux divulgations et à mettre en œuvre les plans de traitement et de gestion du cas.
Selon Salter (1995), les examens polygraphiques effectués après la condamnation permettent aux cliniciens de connaître les antécédents sexuels du délinquant avec plus de fiabilité et d’obtenir des descriptions plus fidèles de son comportement criminel, ce qui, dans les deux cas, aide à surmonter le déni et à améliorer l’évaluation des besoins thérapeutiques et du risque de récidive. Des études ont montré que les agresseurs soumis au polygraphe avaient avoué un plus grand nombre de victimes, un plus grand nombre d’infractions, un début plus précoce de leur délinquance et plus d’activités sexuellement déviantes que les délinquants qui n’ont pas été soumis au polygraphe (Ahlmeyer, Heil, McKee et English, 2000; English, Jones, Patrick, Pasini-Hill et Gonzalez, 2000b; Wilcox, 2000). Cependant, en l’absence d’un quelconque moyen de corroborer les dires des délinquants, il se peut qu’au moins une partie de cette déclaration accrue soit fabriquée dans le but de satisfaire les évaluateurs.
Dans une enquête menée auprès de 28 délinquants sexuels participant à un programme communautaire, Harrison et Kirkpatrick (2000) ont constaté que la majorité ont fait état d’une diminution des comportements à risque élevé (p. ex. faire la toilette de victimes potentielles, obtenir de la pornographie et consommer de l’alcool ou des drogues), diminution que les délinquants ont attribuée à l’examen polygraphique. Cependant, l’échantillon restreint, la possibilité d’un biais d’échantillonnage et le fait que l’étude reposait sur l’autodéclaration signifient qu’il faut interpréter ces résultats avec prudence. Abrams et Ogard (1986) ont comparé les taux de récidive d’un groupe mixte de délinquants, dont quelques délinquants sexuels, auxquels les tribunaux de l’Oregon ont ordonné de subir des examens polygraphiques périodiques, avec ceux d’un groupe d’un autre comté dont la supervision ne comportait pas cette exigence. Ils ont constaté que, sur une période de deux ans, 69 % des hommes qui avaient subi des examens polygraphiques périodiques n’avaient pas récidivé ni enfreint de conditions, comparativement à 26 % de ceux qui n’avaient pas subi d’examen polygraphique.
Méthode neurophysiologique
Quelques études ont porté sur l’électroencéphalographie (EEG) neurophysiologique (Howard, Longmore, Mason et Martin, 1994), mais celles-ci ne sont pas suffisamment avancées pour aider à identifier et à quantifier la déviance sexuelle. Toutefois, cette méthode peut être employée de concert avec d’autres approches, comme la PGP, pour évaluer des hypothèses particulières. Lors de l’évaluation de certaines catégories d’homicide sexuel, des évaluations au moyen de la PGP et de l’EEG ont été effectuées simultanément pour déterminer s’il existait un lien entre l’excitation sexuelle ressentie à la vue de différents types de matériel et la possibilité d’une responsabilité réduite en raison de la présence de syndromes « d’absence » liés à l’épilepsie.
Méthodes de traitement de l’information
Kalmus (2003) présente une méthodologie qui mesure les réactions qu’ont les sujets en traitant l’information, sous leur seuil de conscience, lorsqu’on leur présente un contenu se rapportant à leurs intérêts sexuels. Cette étude a produit un haut taux de discrimination et même si Kalmus et Beech (2005) signalent que la méthodologie peut se prêter à la simulation, elle semble représenter une avancée prometteuse, étant à la fois rapide (ce qui permet de faire de nombreux essais au cours d’une évaluation) et présentant un potentiel d’ajustement de manière à mieux résister à la simulation. Les durées de visionnement de matériel à caractère sexuel (Abel, Huffman, Warberg et Holland, 1998; Krueger, Bradford et Glancy, 1998) produiraient une bonne discrimination entre différentes catégories d’infractions, mais, une fois encore, cette mesure est vulnérable à la simulation (Kalmus et Beech, 2005).
Évaluation clinique et judiciaire
Schlesinger (2004) énumère les caractéristiques recommandées d’un examen judiciaire complet dans les cas d’homicide sexuel. Insistant sur l’importance d’avoir des données corroborantes et sur la probabilité de fausse déclaration, de tromperie et de minimisation, il préconise l’utilisation des outils suivants :
- le diagnostic clinique structuré, fondé sur le DSM-IV;
- les tests d’intelligence générale, de mémoire et de fonctionnement neuropsychologique;
- le test de personnalité, comme l’Inventaire clinique multiaxial de Millon (MCMI-III) et l’Inventaire multiphasique de la personnalité du Minnesota (MMPI-2);
- les tests de dépistage de troubles particuliers comme la dépression et la psychopathie;
- les examens neurodiagnostiques et biologiques : EEG, tomodensitogramme, tomographie d’émission par positons, IRM s’il y a lieu, tests de dépistage d’aberration chromosomique;
- la narcoanalyse : proposée comme moyen possible de réduire les inhibitions et les défenses (voir les lignes directrices de Melton, Petrila, Poythress et Slobogin [1997] sur la réduction de la tromperie pendant l’évaluation);
- les évaluations projectives dans lesquelles le sujet exprime des aspects de son monde intérieur par des méthodes qui lui permettent de projeter une partie de ce monde sur du matériel ambigu ou sans forme, de manière à éviter de provoquer une attitude défensive. Schlesinger mentionne explicitement : a) l’évaluation de Rorschach qui, à son avis, est rarement contestée en cour et est d’une aide inestimable pour comprendre la psychopathologie des criminels; b) le Thematic Aperception Test (TAT) qui consiste en la création d’histoires fantaisistes essentielles pour aider à comprendre le meurtrier sexuel puisque ses actes découlent directement de ses fantasmes; et c) la Criminal Fantasy Technique (CFT), constituée de 12 cartes, chacune montrant un crime qui est à la veille d’être commis, en train d’être commis ou vient d’être commis et à propos de laquelle le sujet raconte une histoire;
- l’hypnose qui, d’après Schlesinger, ne s’applique que dans des cas particuliers à des fins de détection (plutôt qu’à la découverte des raisons du comportement);
- la polygraphie qui, d’après Schlesinger, offre certaines possibilités, même s’il a des doutes quant à son efficacité.
Il convient de souligner que Schlesinger décrit la façon dont il se sert des tests projectifs pour construire et mettre à l’épreuve des hypothèses à l’aide d’un vaste éventail de données et de réactions du sujet, au lieu de les utiliser exclusivement comme moyen de prédiction comme ce serait le cas, par exemple, pour les évaluations intellectuelles normées. Archer, Buffingtobn-Vollum, Stredny et Handel (2006) mentionnent, dans ce contexte, que l’un des critères servant à déterminer l’admissibilité juridique du témoignage d’experts est « l’acceptation générale » des méthodes en question. Cela comprendrait la capacité de mettre à l’épreuve les méthodes qui sous-tendent la théorie, si la méthode a déjà été l’objet d’examens par des pairs et de publications, et un taux d’erreur établi. Au terme de l’enquête qu’ils ont réalisée auprès de psychologues judiciaires, Archer et coll. notent que le Rorschach, suivi du test des phrases à compléter et des méthodes TAT, était l’évaluation non structurée de la personnalité employée le plus souvent dans leur échantillon de 152 répondants.
Protocole d’évaluation proposé
En nous inspirant des renseignements provenant de la recension des écrits et de la pratique clinique-judiciaire, plusieurs recommandations sont formulées quant aux méthodes d’évaluation à utiliser dans les cas de sadisme sexuel possible et d’homicide sexuellement motivé/tributaire de la paraphilie. Une évaluation détaillée est essentielle et devrait comprendre l’utilisation d’information collatérale, différentes modalités d’évaluation et la mise à l’épreuve d’hypothèses au cours de l’évaluation. À cette fin, l’évaluation devrait comprendre un examen du dossier, l’observation du comportement, des épreuves psychométriques, une entrevue du client, une évaluation psychophysiologique et, par la suite, le suivi des changements au fil du temps.
Comme Marshall et Yates (2004) le soulignent, le monde intérieur du délinquant est au cœur de l’évaluation et il n’est pas toujours possible d’y avoir accès ni d’en avoir une description fidèle. Il est clair que dans les homicides liés au sadisme sexuel et à d’autres paraphilies, de nombreux facteurs entrent en jeu, y compris des problèmes potentiellement non réglés issus du passé du délinquant, le fonctionnement actuel de sa personnalité, les problèmes de santé mentale actuels, et les intérêts, préoccupations et paraphilies sexuels actuels, pour ne citer que les plus importants. Le déroulement de l’évaluation reflétera cette interaction des facteurs à l’intérieur du contexte d’évaluation, que l’évaluation survienne avant ou après le procès, dans un établissement ou dans la collectivité, que l’évaluateur soit jeune ou plus âgé, de sexe masculin ou féminin.
Processus d’évaluation interactif
Dans le contexte de l’examen de délinquants sexuels, Perkins (1991) propose un processus pour travailler simultanément avec plusieurs cadres de référence intimement liés. Nous le résumons de nouveau ici en présentant trois cadres de référence pour travailler avec des cas d’homicide sexuel.
Viennent en premier le contexte et les contingences qui sont pertinents à la situation où l’évaluation est effectuée. Les contingences qui s’appliquent à l’évaluateur et au délinquant/patient (sujet) par rapport aux questions posées pendant l’évaluation peuvent être clarifiées et discutées au fil de l’évaluation. Cela comprendra l’éventail des résultats qui pourraient découler de la divulgation de renseignements de différentes natures. Par exemple, le sujet pourrait être enclin à ne rien dire au sujet de ses intérêts sexuels déviants, comme le sadisme ou la pédophilie, parce qu’il croit que le fait de révéler cette information pourrait lui nuire.
Cette question (à savoir combien il révélera) peut être explorée dans un dialogue avec le sujet sur les conséquences précises de la divulgation de certains types d’information et il pourrait bien être possible d’apaiser ses craintes et de favoriser la divulgation par une évaluation réaliste des options qui s’offrent à lui. Le sujet peut craindre 1) qu’au procès, ces révélations n’entraînent une peine plus longue ou une décision non souhaitée (p. ex. le transfert à un hôpital psychiatrique); 2) qu’une fois la peine entamée, elles puissent nuire à sa remise en liberté ou à son transfèrement parce que les autorités considèrent que l’infraction sadique est plus grave; et 3) que les autres le voient avec dégoût ou hostilité s’il révèle l’éventail complet de sa déviance sexuelle.
Le deuxième niveau du processus est la négociation et la persuasion. Le style de personnalité du sujet jouera un rôle à ce niveau du processus d’évaluation, influant sur la façon dont des tâches particulières sont exécutées et dont les divulgations sont faites. Par exemple, des individus présentant des degrés élevés de narcissisme pourraient être attirés dans certains domaines de divulgation (p. ex. à quel point ils ont tiré leur épingle du jeu dans les interrogatoires policiers) tandis que les individus ayant des tendances schizoïdes peuvent être davantage attirés dans des discussions d’aspects détaillés, non relationnels de leur vie.
Le troisième niveau du processus est la façon dont tous les renseignements disponibles se combinent et peuvent évoluer au fil de l’évaluation, dans une formulation dynamique. Les éléments absents ou non de ce portrait se définiront avec le temps, de façon plus claire et plus complète peut-être dans le contexte d’un établissement de thérapie où les progrès du délinquant sont suivis de près et où il devient un collaborateur dans le travail visant à comprendre son comportement criminel. Dans ce contexte, le patient identifie des facteurs de risque et collabore aux activités de traitement et de gestion du risque, sachant que ses progrès ultimes dans son cheminement à travers le système dépendront de la mesure où les décideurs peuvent être informés et rassurés. Pour les évaluations non continues, comme celles effectuées lors du procès (au sujet du risque, du besoin de traitement et de la peine à imposer), dans la collectivité (au sujet du risque, du traitement et de la prise en charge) ainsi qu’en prison et dans des hôpitaux protégés (au sujet du risque continu, du besoin de traitements plus poussés et du transfert à des établissements à sécurité moindre ou de la mise en liberté), les évaluations seront forcément moins complètes et moins rigoureuses.
Évaluation et diagnostic
Comme le montrent la présente recension des écrits et l’expérience de l’auteur en matière de présentation de rapports d’évaluation aux tribunaux, aux établissements correctionnels, aux commissions de libération conditionnelle et aux tribunaux d’examen de la santé mentale, tous les renseignements pertinents sont rarement disponibles dans les dossiers des services correctionnels ou hospitaliers ou dans les masses de documents provenant de la cour. Il faut généralement chercher un complément d’information. Parfois, ces renseignements sont disponibles, mais se trouvent ailleurs, par exemple à l’école fréquentée par le sujet, dans le service policier qui a participé aux enquêtes ou dans un autre établissement où a séjourné le délinquant. Les documents sommaires sont parfois disponibles mais pas les originaux, qu’il faudra retracer et obtenir. Parfois, les renseignements ne sont pas disponibles parce qu’ils n’ont pas été recueillis ou conservés ou parce qu’il aurait été impossible de les obtenir à l’époque.
Dans les cas d’homicide qui peuvent comporter des éléments sexuels ou être sexuellement motivés, les différents modèles de l’homicide sexuel dont on a parlé plus haut peuvent constituer un cadre utile pour la collecte de données et la formulation d’hypothèses. La typologie de l’homicide catathymique par opposition à l’homicide compulsif mettra en lumière différentes motivations opposées qui peuvent être précisées au cours de l’évaluation au moyen d’une combinaison d’éléments de preuve judiciaire, de déclarations des témoins et d’évaluations psychologiques du meurtrier. Le fait que l’évaluateur saura, d’après les études disponibles, que les délinquants catathymiques peuvent être plus susceptibles de présenter des problèmes non réglés liés à l’estime de soi et à la sexualité lui permettra d’explorer ces domaines d’une façon que le délinquant percevra, espère-t-on, comme empathique plutôt que conflictuelle.
Évaluations intellectuelles et cognitives. Les évaluations intellectuelles et cognitives fourniront un contexte pour déterminer la capacité du délinquant de saisir de l’information, des concepts et des hypothèses et de travailler avec eux, ainsi que sa capacité à « déjouer » l’évaluateur, comme un interviewé l’a déjà fièrement déclaré à l’auteur. Des sujets dotés d’une intelligence supérieure pourraient bien être capables d’entretenir des fabrications complexes d’événements d’une façon que ne pourraient le faire des sujets moins intelligents. Des sujets intelligents peuvent se vanter de leur performance au cours de l’évaluation tandis que d’autres peuvent avoir très peu confiance en eux-mêmes et s’en vouloir même lorsqu’ils se débrouillent bien. Il est possible ainsi d’obtenir de la matière pertinente à l’analyse de leur style de personnalité et d’autres aspects de leur vie. Des sujets peuvent parfois être encouragés, au moyen des évaluations intellectuelles, à parler de leurs succès et échecs antérieurs. La plupart n’essaient pas de paraître moins intelligents qu’ils ne le sont, mais lorsque cela se produit, il est possible de vérifier la cohérence intrinsèque des résultats et la correspondance avec d’autres renseignements sur le fonctionnement passé et actuel (d’après la documentation disponible ou le contenu de l’entrevue).
Antécédents personnels exhaustifs. Dans les cas d’homicide sexuel, les expériences de la petite enfance, les relations familiales, les attachements et les premières expériences de négligence, d’abandon et de traumatisme peuvent être des éléments cruciaux. Ces expériences alimentent de nombreux domaines : vie scolaire, amitiés, vie sociale ou isolement social, cheminement scolaire, parcours sexuel et relations intimes. Il est important de couvrir cette matière de la façon la plus approfondie possible, en puisant dans les renseignements au dossier sans créer un climat de défi et de confrontation. Il est souvent nécessaire de « laisser le scénario de côté » pour suivre les pistes à mesure qu’elles se révèlent. Parfois, un contenu sexuel apparaît dans des discussions du cheminement scolaire et il est souvent utile de suivre cette piste tandis que le sujet est prêt à en parler, au lieu d’y revenir plus tard à un moment où il pourrait être moins disposé à le faire. Le fait de suivre des pistes de cette façon transmet de l’empathie et peut contourner les défenses. Cela permet aussi de couvrir la même matière dans d’autres sections de l’entrevue. Il est ainsi possible de faire des recoupements et d’examiner la cohérence et les variations dans l’histoire du délinquant.
Comme les auteurs d’un bon nombre d’études recensées l’ont noté, les facteurs clés qui entrent en jeu dans les homicides sexuels, qu’ils soient ou non liés au sadisme sexuel ou à d’autres paraphilies, sont les motivations et les intérêts sexuels du délinquant, auxquels il peut être difficile d’avoir accès. Quand les interviewés hésitent à fournir de l’information, il est parfois utile de leur présenter divers scénarios possibles de leur acte criminel, cette démarche ayant pour but de les aider à se rappeler et à expliquer. D’après mon expérience, cela peut produire des renseignements précieux, en fait de réactions verbales et non verbales (aveux ou dénis avec différentes formes et différents niveaux de réactions émotionnelles) qui peuvent contribuer à la formulation. Il est manifestement important de ne pas leur faire dire ce qu’ils ne disent pas ainsi que de vérifier et confirmer ce qui a déjà été dit. Par exemple, pour un délinquant à qui on demande d’examiner ses pensées, ses sentiments et ses intentions au moment où il a commencé à agresser la victime, il peut être possible de susciter des réactions si l’intervieweur présente divers scénarios, par exemple des scénarios touchant la distinction entre une infraction essentiellement catathymique et une infraction compulsive, comportant chacun des détails qui pourraient s’appliquer au cas en question et accompagnés par des remarques convenablement bienveillantes et encourageantes.
Fonctionnement de la personnalité. Le fonctionnement de la personnalité contribuera aussi à l’évaluation du comportement criminel et des réactions du sujet au cours de l’évaluation. Il peut être utile de trianguler les données provenant de différentes sources pour produire et tester des hypothèses pertinentes à la formulation du cas. Il peut s’agir, par exemple, de combiner les renseignements tirés d’une évaluation fondée essentiellement sur le dossier (comme le PCL-R) avec un contenu psychométrique (comme l’évaluation faite à l’aide des PDS et du MCMI-III) et le comportement observé, notamment le comportement typique de l’individu avec le personnel professionnel, la famille et les amis. Tel qu’illustré par les travaux de Beech, Fisher et Ward (2005) sur les « théories implicites » des meurtres sexuels, les réponses à des questionnaires et à des entrevues peuvent permettre de sonder des croyances ou des schèmes de longue date (théories implicites) que les délinquants ont développés. Ces schèmes, qui peuvent inclure des idées comme « c’est un monde dangereux », « la libido de l’homme est incontrôlable », « j’ai droit au sexe » et « les femmes sont des objets sexuels », sont susceptibles de contribuer au comportement criminel et à la façon dont les délinquants abordent l’évaluation. Contrairement au processus thérapeutique, où les attitudes déviantes feront vraisemblablement l’objet d’un examen critique, l’objectif de l’évaluation est de renforcer la divulgation (sans renforcer la déviance) et il y a plus de latitude à cette étape pour « comprendre » les schèmes et les croyances dysfonctionnels afin d’obtenir une divulgation plus étendue et plus profonde. D’après mon expérience, ce processus permet parfois de provoquer des divulgations. Par exemple, un homme qui avait violé et tué une jeune femme avait d’abord été incapable de faire le lien entre ses pulsions agressives et sexuelles et des aspects de sa relation et de son comportement dans l’enfance avec son père idéalisé. Il a plus tard réussi à décrire son père comme ayant été sexuellement violent envers lui et sa mère, et il a ensuite pu faire le lien avec son propre crime.
Intérêts sexuels et paraphilies. Les intérêts sexuels et les paraphilies peuvent être explorés au moyen des déclarations du sujet au cours des entrevues et d’instruments de mesure comme le Wilson Fantasy Questionnaire (Wilson, 1978). Il s’agit là toutefois de méthodes transparentes dans lesquelles la divulgation peut être facilement évitée si le sujet a la capacité et le désir de le faire. Il est essentiel d’inclure dans ces évaluations des méthodes moins susceptibles d’être faussées et/ou moins directes et/ou reposant sur des renseignements obtenus d’autres sources. Les méthodes qui se prêtent moins à la simulation se résument aux méthodes psychophysiologiques ou de traitement de l’information. La PGP peut être une bonne option dans les cas d’homicide sexuel. Si les séries de stimuli types peuvent être utiles pour produire un profil d’excitation, des stimuli plus spécifiques au cas peuvent aussi être présentés sur une base idéographique. Dans certains de mes dossiers, des stimuli spécifiques correspondant aux éléments fétichistes des actes criminels commis ont été produits pour tester l’excitabilité potentiellement liée à l’acte criminel. Ceux-ci comprenaient des souliers à talons hauts, des petites culottes blanches, des sacs à main et des cordes. Tous ces objets fétiches avaient occupé une place importante dans les actes criminels en question et ont été clairement identifiés comme des éléments paraphiliques auxquels les sujets ont réagi fortement au cours de la PGP. Même lorsque des sujets refusent de se prêter à de telles évaluations, leurs commentaires peuvent aussi être révélateurs de ce qu’ils craignent que les évaluations risquent de « conclure à tort ». Par conséquent, il peut être utile d’envisager une PGP à une date ultérieure, même si l’évaluateur n’y a pas actuellement accès.
Polygraphie. La polygraphie peut être un ajout utile à l’évaluation et au diagnostic de la déviance sexuelle et des paraphilies. Les avantages possibles des évaluations polygraphiques dans de tels cas sont les suivants : 1) permettre une plus grande ouverture dès les premières étapes de l’évaluation et du traitement; 2) aider à réduire le risque lié à une information qui resterait autrement inconnue; 3) fournir les traitements les plus appropriés; 4) accélérer le cheminement sur la voie de la gestion du risque et du traitement; et 5) offrir au sujet une expérience de collaboration positive avec ses évaluateurs/thérapeutes.
Contextes d’évaluation
Par leur nature, les évaluations psychologiques dans des cas d’homicide sexuel sont susceptibles de se dérouler dans des milieux de détention. Chez bon nombre de ces délinquants, la conduite suit une escalade, à partir de combinaisons de comportements d’abord moins dangereux, y compris des troubles de la conduite, l’isolement social, le dysfonctionnement familial, les comportements paraphiliques et l’abus d’alcool et de drogues. On pourrait soutenir que même si la violence sexuelle et l’homicide sexuel sont rares, leurs coûts sont si grands qu’il faudrait mettre au point des mécanismes de dépistage et d’accès volontaire aux services afin d’essayer d’identifier ces propensions émergentes et d’offrir de l’aide aux personnes les plus susceptibles de présenter des comportements paraphiliques dangereux et d’autres formes de délinquance sexuelle. Au Royaume-Uni, le programme « Stop-it-Now » offre un service d’accès public direct aux personnes qui risquent de molester des enfants et des conseils aux personnes qui craignent cette possibilité. Un programme similaire pourrait être mis sur pied pour regrouper des outils de dépistage et des méthodes d’évaluation qui permettraient d’identifier les cas et d’intervenir lorsqu’il y a possibilité d’escalade de la violence liée à des paraphilies.
Conclusions
Le présent chapitre présente une partie du contexte empirique et le processus nécessaire à l’identification, au diagnostic et à l’évaluation de troubles paraphiliques graves. L’approche « un jour, une méthode » est peu susceptible de produire un portrait complet et fidèle dans un dossier donné. Pour des cas aussi rares et idiosyncrasiques que ceux-ci, il est plus probable qu’une compréhension exhaustive du dossier découlera d’une formulation dynamique dans laquelle des hypothèses initiales fondées sur le premier ensemble de preuves disponible sont testées par un recoupement avec l’ensemble des données existantes et la collecte ciblée de nouveaux renseignements. Par un processus d’itération répétée, on acquerra une confiance plus grande dans la validité de certaines de ces hypothèses plutôt que d’autres. Les réactions des délinquants au cours de l’évaluation, que celles-ci soient ou non limitées par des mécanismes de défense psychologiques bien ancrés ou par la simulation et la fabrication intentionnelles, ajouteront à la formulation du cas. À mesure que chaque pièce du puzzle sera confirmée (p. ex. la clarification des données provenant des lieux du crime ou la nature des intérêts sexuels/paraphilies), la formulation globale avancera. La plupart des intérêts et comportements paraphiliques ne sont ni illégaux ni dangereux, mais dans certains cas, une escalade se produit et engendre des comportements dangereux et enracinés. Cela étant, il faut prendre soin d’équilibrer le degré et la nature des interventions de la société et la nécessité de préserver l’intimité et la dignité de chacun. Ce chapitre donne à entendre qu’il conviendrait d’envisager la possibilité d’un système d’accès public plus étendu à l’information et aux services de soutien et de thérapie pour les paraphilies potentiellement dangereuses, un système qui pourrait être lié aux programmes actuels de santé mentale ou de sécurité publique.