La mort du dernier déporté pour homosexualité nous impose un devoir d’histoire

Nouvelobs

Qui est Rudolf Brazda ?


Né le 26 juin 1913 en territoire allemand, ses parents sont des sujets Austro-hongrois émigrés en Saxe pour des raisons économiques. En ce début de XXe siècle, la brutalisation des sociétés et les conflits qui en découlent vont avoir des conséquences graves sur la vie de Rudolf. À la suite de la Première Guerre mondiale, la réorganisation de l’Europe centrale par le traité de Versailles lui impose la nationalité du nouvel état tchécoslovaque.

Faisant fi de cette identité administrative arbitraire, Rudolf Brazda construit sa propre identité par une jeunesse ancrée dans l’insouciance et la liberté. Liberté d’opinion tout d’abord lorsqu’il adhère en 1936 aux Jeunesses communistes allemandes dans un pays soumis à la propagande hitlérienne. Liberté d’action également lorsqu’il décide de vivre pleinement son attirance pour les hommes dans une Allemagne qui développe alors une idéologie nataliste dans laquelle l’homosexualité masculine est l’objet de discriminations, puis de persécutions.

Rudolf Brazda ne tarde d’ailleurs pas à être inquiété. Il est condamné une première fois à huit mois de prison en 1937 en raison de son amour pour les hommes. À sa sortie, il doit quitter le territoire allemand pour s’installer dans une Tchécoslovaquie qu’il ne connaît guère, mais à laquelle il est censé appartenir d’un point de vue légal. Installé à Karlsbad, il reconstruit sa vie jusqu’à ce que l’irrésistible expansionnisme hitlérien s’étende dans la province des Sudètes en octobre 1938. La législation nazie s’applique dès lors à cette nouvelle région de l’Europe et Rudolf est à nouveau inquiété au titre du Paragraph 175 qui condamne tout acte de nature homosexuelle. En raison de sa récidive, il est à nouveau envoyé en prison, mais cette fois-ci pour une durée plus longue. Il entre alors dans l’engrenage du système pénitentiaire nazi qui le conduit progressivement dans le camp de Buchenwald en 1942. Il n’en sortira qu’au moment de la libération du camp.

Les circonstances le conduisent alors en France où il décide de s’installer avec son compagnon avant de demander, en 1960, la nationalité française. Ce n’est qu’à la mort de ce dernier qu’il décide de livrer son témoignage recueilli par Jean-Luc Schwab (« Itinéraire d’un triangle rose« , éditions Florent Massot, 2010).

Le 28 avril 2011, la République française avait décidé de lui rendre hommage en lui remettant la légion d’honneur.

Une histoire de l’homosexualité au XXe siècle


Dans la plupart des articles et réactions éditées depuis sa disparition, c’est essentiellement la déportation de Rudolf Brazda qui a été mise en avant. Cet événement est en effet tragique et il marque durablement les mémoires. J’ai moi-même eu l’occasion de rappeler au cours d’une interview accordée à l’AFP que nos connaissances sur ce sujet doivent encore être approfondies et que les recherches historiques dans ce domaine doivent être encouragées.

La vie de cet homme a cependant bien d’autres enseignements à nous offrir. Son témoignage contribue à une meilleure connaissance de l’histoire de l’homosexualité tout au long du XXe siècle et pas seulement durant la période nazie. À travers son parcours, on découvre notamment les pratiques récurrentes du travestissement dans certains milieux homosexuels qui diffusent par exemple des cartes postales d’hommes maquillés campés sur des talons hauts. Rudolf Brazda nous emmène également avec lui dans les parcs et les bosquets qui sont des lieux de dragues privilégiés avant que les bars, saunas, et sites Internet ne viennent les remplacer. Enfin, on découvre avec étonnement qu’au début des années 1930, soit près de soixante-dix ans avant le PACS, il était déjà possible d’organiser des simulacres de « repas de noces » avec amis, et parfois même familles, pour célébrer l’union amoureuse de deux jeunes amants.

Au-delà des fluctuations de l’histoire sociale, conditionnée par les évolutions juridiques, le témoignage de Rudolf Brazda est une histoire qui manifeste cet irrésistible besoin d’amour et cette rage presque incompréhensible de défendre toujours cette forme d’amitié particulière, y compris contre les pires atrocités des régimes autoritaires.

Un vide vertigineux dans la mémoire de la déportation


La disparition de Rudolf Brazda n’est cependant pas seulement l’occasion de rappeler l’histoire de ces événements tragiques. Elle constitue aussi un moment important pour les mémoires européennes et mondiales.

Mercredi 3 août 2011, c’est le dernier survivant connu de la déportation pour motif d’homosexualité qui s’est éteint. Ce moment tant redouté depuis plusieurs décennies est arrivé. Dans quelques années, l’ensemble des survivants de la Seconde Guerre mondiale aura probablement disparu et nous entrerons alors dans une nouvelle période tant redoutée où l’émotion de la voix du témoin ne pourra plus porter le souvenir d’un évènement qui constitue encore aujourd’hui une référence dans l’incarnation du mal.

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