25 avril 2014 | Céline Lafontaine – La nouvelle dépasse l’entendement.

Le Devoir

Céline Lafontaine – Professeure de sociologie à l’UdeM | Santé

La nouvelle dépasse l’entendement. Alors que les listes d’attente pour accéder à des traitements menacent la qualité des soins de santé et que les urgences parviennent difficilement à répondre aux besoins des citoyens, on annonce que la RAMQ remboursera désormais les traitements de fécondation in vitro pour les couples homosexuels ayant recours à une mère porteuse. Non seulement cette décision est-elle injustifiable sur le plan des finances publiques, mais elles soulèvent d’importantes questions quant aux valeurs profondes de la société québécoise et du sens que l’on donne collectivement à la vie humaine. Car au-delà du coup médiatique de Joël Legendre, vedette populaire incarnant de manière radicale l’individualisme triomphant de l’époque, c’est l’indisponibilité et la dignité du corps humain qui est ici en jeu.

 

Au nom du « droit » à l’enfant, on permettra désormais l’instrumentalisation du corps des femmes en les transformant littéralement en « machines » à produire des bébés. Comme l’a clairement démontré la juriste française Muriel Fabre-Magnan, la « gestation pour autrui » est par essence contraire aux droits de la personne puisqu’elle suppose l’objectivation complète de la femme en plus de faire de l’enfant à naître l’objet d’un contrat.

 

Les ministres péquistes ont-ils favorisé cette décision? Si oui, comment concilient-ils le principe prétendument sacré de l’égalité entre les femmes et les hommes avec la mise en service du corps des femmes pour les couples homosexuels. Faut-il rappeler que les traitements de fécondation in vitro ne sont pas sans risques pour la santé des femmes et qu’ils sont souvent très pénibles ? Peut-on parler d’altruisme quand une femme porte volontairement un enfant dans le but de l’abandonner à la naissance ? Au nom de quoi peut-on justifier la « production » programmée d’orphelins ? Comment la relation mère-enfant sera-t-elle encadrée après la naissance de l’enfant ? Est-ce que ces mères porteuses auront droit à un congé de maternité payé ? Autant de questions sans réponse pour une décision insensée.

 

Au-delà des casse-tête juridiques, éthiques et politiques que représente cette décision, ce sont les justifications évoquées pour la défendre qui se révèlent les plus instructives des dérives éthiques de la société néolibérale québécoise. Le refus de permettre le recours aux mères porteuses serait, selon les propos de Joël Legendre, discriminatoire pour les couples homosexuels. Autrement dit, la reconnaissance juridique des droits des couples homosexuels n’est plus suffisante pour répondre à la quête identitaire de certains, l’État doit dorénavant répondre aux limites biologiques des individus eux-mêmes. Soyons clairs sur ce point : l’adoption d’enfants par des couples homosexuels ne pose pas de problème éthique en soi. Mais le fantasme génétique derrière le recours à une mère porteuse est plus qu’inquiétant. L’industrie de la fécondation in vitro aura donc réussi à ouvrir toutes grandes les portes du Corps-Marché en faisant de la chair humaine une matière première au service du désir des plus riches de notre société. Nous ne sommes plus très loin du posthumain, puisque ni l’infertilité ni l’homosexualité ne sont des maladies. Le recours aux mères porteuses relève donc ni plus ni moins d’une volonté d’exploiter les potentialités reproductives du corps féminin.

 

À l’heure où l’on peine à soigner nos aînés et où les écoles publiques sont littéralement en ruines, comment peut-on accepter que des vedettes incapables d’assumer la limite de toute existence humaine dictent les politiques publiques en matière de santé et de procréation ? Le plus dramatique dans tout cela, c’est que la vie humaine devient tributaire des désirs et des fantasmes des plus puissants. Bref, au nom du droit à l’enfant, on contrevient aux droits les plus fondamentaux des enfants, dont celui de ne pas faire l’objet d’un échange marchand.

Céline Lafontaine – Professeure de sociologie à l’UdeM

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