Certificat rose! Comment la Turquie expulse les gais du service militaire?

Malades, handicapés ou… homosexuels : voilà les trois motifs que les hommes turcs peuvent avancer afin de se faire dispenser de service militaire, obligatoire en Turquie. Mais prouver que l’on est gai est bien plus compliqué qu’il n’y paraît, et donne lieu à une épreuve plus qu’humiliante.

“Ils m’ont demandé à quand remontaient mes premières relations sexuelles anales, mes premières fellations, avec quelles sortes de jouets je m’amusais étant petit.” Ahmed, un jeune homme d’une vingtaine d’années, témoigne dans un reportage édifiant diffusé par la BBC World Service de ce qu’il a vécu lors de son bilan de santé précédant son service militaire. “Ils m’ont interrogé pour savoir si j’aimais le foot- ball, si je portais des vêtements ou des parfums de femme. Comme je portais une barbe de trois jours, ils m’ont dit que je ne ressemblais pas à un gai normal.”

Les officiers l’ont ensuite fortement invité à fournir une pho- to de lui vêtu en femme, ce qu’Ahmed a refusé. “Mais je leur ai proposé une autre offre, qu’ils ont acceptée” : et le jeune homme de leur donner une photo où il embrasse un homme. Cela devrait lui permettre – il l’espère en tout cas – d’obte- nir un “certificat rose”, qui le déclare homosexuel, et donc exempté de service militaire.

Gokhan, enrôlé dans les années 1990, a très vite compris qu’il n’était pas fait pour l’armée. “J’avais une peur bleue des armes à feu”, se souvient-il dans ce reportage de la BBC. En tant qu’homosexuel, il craignait aussi les intimidations, et se décide donc à faire son coming out au bout d’une se- maine auprès de son commandant, qui lui demande aussi sec des photos pour preuve.

Gokhan prépare donc des images très explicites, où on le voit en pleine relation sexuelle avec un autre homme. Mais il comprend qu’il ne pourra pas repartir avec ses photos. “Le visage doit être visible”, raconte Gokhan, “et les pho- tos doivent clairement établir que vous êtes le partenaire passif”. Les images satisfont les médecins militaires, qui lui délivrent son fameux “certificat rose”.

Au prix d’une “terrible expérience”, selon ses propres di- res, “cela reste un événement très éprouvant, parce que quelqu’un détient ces photos. Et cette personne peut un jour décider de les montrer à mon village, à mes parents, à mes proches.”

Ces dernières années, les homosexuels ont, il est vrai, commencé à ne plus se ca- cher dans les grandes villes turques. Des bars et clubs gais ont ouvert à Istanbul, et la Gay Pride de l’été der- nier – unique dans le monde musulman – a été un succès total. Certes, il n’existe pas de lois spécifiques contre l’homosexualité en Turquie, mais les homosexuels ne sont pas pour autant les bienvenus dans l’armée.

À vrai dire, la stigmatisation sociale des homosexuels est telle en Turquie qu’en de- hors des cercles des jeunes urbains des grandes villes, comme Istanbul et Ankara, il est difficile de croire qu’un homme puisse se déclarer gai sans l’être. Mais la sim- ple éventualité que l’armée soit leurrée préoccupe beau- coup les militaires.

De fait, sur le certificat rose de Gokhan, son statut est ainsi libellé : “trouble psy- chosexuel”, suivi de l’anno- tation “homosexualité” entre parenthèses.

Car les hôpitaux militaires turcs continuent de définir l’homosexualité comme une maladie, en se basant sur un document de l’Associa- tion psychiatrique américai- ne de 1968.

Même si certains Turcs considèrent que les gais sont chanceux de pouvoir échap- per à l’armée, les homo- sexuels portent leur “certifi- cat rose” comme un fardeau. Un employeur peut exiger les raisons pour lesquelles le demandeur d’emploi n’a pas effectué son service – et même se renseigner auprès de l’armée si nécessaire -, et refuser d’embaucher un pré- tendant homosexuel.

Un problème que ne connaî- tra pas Ahmed cette année : l’armée a décidé de reporter sa décision quant à la déli- vrance de son certificat rose.

D’après le jeune homme, le fait qu’il refuse de poser en femme lui a porté préjudice. Le chemin de la tolérance est encore long.