GRANDE PAUVRETÉ ET CHARTE DES DROITS

Photo village de tentes

Par: Maître Claude Chamberland, avocat et médiateur accrédité à la Cour des Petites Créances

Photo: RADIO-CANADA / JEAN-CLAUDE TALIANA (Campement le long de la rue Notre-Dame Est – Montréal)

À l’approche de l’hiver, nous sommes nombreux à ressentir un sentiment d’impuissance à l’égard de personnes croisées dans la rue, dont on devine qu’elles n’auront aucun endroit pour se réchauffer, se nourrir, se loger, bref, pour couvrir le premier palier de la pyramide des besoins de Maslow et si possible quelques paliers supplémentaires… Une fois n’est pas coutume, aujourd’hui, c’est moi qui soulèverai les questions. Puisque mon éditeur (quoique nettement plus généreux que certaines plateformes) limite mon nombre de mots, je me contenterai de trois articles de la Charte Québécoise des droits et libertés.

Article 1 : «Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne». Pourquoi ne défend-on pas ce droit avec autant de conviction que celui des animaux? Après tout, la ville de Montréal interdit l’empoisonnement des rats alors même que leur prolifération actuelle risque d’entraîner des épidémies susceptibles de mettre en péril des milliers de vies humaines.  L’article 7 de la Charte canadienne des droits établit aussi que « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne». S’agissant de la loi fondamentale de notre pays, n’existe-t-il pas une responsabilité pour tous les niveaux de l’administration publique ainsi que pour tout individu de veiller à ce que cette affirmation fondamentale soit respectée?

Article 2 : «Tout être humain dont la vie est en péril a droit au secours». Je suis frappé, après 10 ans d’absence du pays, de constater à quel point les problèmes de santé mentale semblent devenus incontrôlables. Légalement, des dispositions existent pour expulser des locataires qui passent leur journée à crier ou à frapper sur les murs, ou qui laissent leur appartement dans un état d’insalubrité grave. Mais où est le secours attendu pour éviter qu’une fois expulsés, ils ne deviennent de pauvres zombies errants dans les rues, leur vie mise en péril par le froid, la dépendance aux drogues ou simplement par incapacité à prendre soin d’eux-mêmes? Des mesures légales existent pour permettre à des personnes en autorité dans le domaine de la santé et des services sociaux d’obtenir des ordonnances d’évaluation psychiatriques et des ordonnances de soins. Pourquoi le fait-on si peu dans ce cas? Le manque de ressources en hébergement pour ces besoins particuliers pourrait-il faire l’objet d’un recours légal? La Cour Suprême ne pourrait-elle pas donner un délai aux divers paliers de gouvernement pour se conformer à la loi sous peine de sentences sévères? Le rôle des dirigeants est-il limité à faire adopter de jolies lois ou doivent-ils s’assurer que ces lois reçoivent leur pleine portée une fois adoptée?

Article 7 : «La demeure est inviolable». Les personnes en situation d’itinérance s’installent un peu partout dans des abris de fortune. S’agit-il légalement d’une «demeure»? Dans un jugement d’injonction rendu le 11 avril 2023, l’Honorable Chantal Masse, juge de la Cour Supérieure, déclarait : «Le Tribunal considère que la preuve est prépondérante quant à l’absence de solution concrète accessible pouvant être proposée pour reloger rapidement à court, moyen et long terme au moins plusieurs des personnes en situation d’itinérance dont il s’agit ici»

Pourrait-on s’inspirer de cette procédure initiée par la Clinique Juridique Itinérante de Montréal pour protéger un peu mieux les droits constitutionnels des plus démunis d’entre nous? Qui peut répondre à mes questions?

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