Par: Maître Claude Chamberland, avocat et médiateur accrédité à la Cour des Petites Créances.
Lors du dernier numéro de GG (#141), je
répondais à Madame R.B. qui s’interrogeait
sur la manière de procéder à un appel du
rôle par visioconférence. À la fin de ma
chronique, je faisais mention des nombreux
avantages de la justice en mode virtuel tout
en annonçant que ma prochaine chronique
traiterait des quelques inconvénients et des
limites de cette nouvelle manière de
procéder.
Chose promise chose due, après quelques
mois de fonctionnement en distanciel, de
nombreux praticiens font état de critiques à
l’endroit de ces audiences en « distanciel ».
En voici quelques-unes :
- Les bogues : Vous assistez à un appel
du rôle virtuel, vous attendez patiemment
que votre numéro soit appelé. En temps
normal vous vous avancez et annoncez au
Juge ou au Greffier-Spécial qui préside à
l’appel du rôle les éléments essentiels de
vos représentations. Cette fois, bien que
vous soyez dûment inscrit, vous êtes
appelé, vous êtes là, vous vous exprimez
mais…personne ne vous entend! Après
quelques secondes d’attente, puisque dans
la salle d’audience vous semblez muet ou
absent, on passe à une autre cause et vous
perdez votre tour même si vous vous êtes
empressé de sauter sur votre téléphone
pour prévenir la Cour du bogue qui vous a
empêché de procéder normalement. - Le décorum : Dans toute convocation à
une audience, l’avis mentionne que « toute
personne se présentant au Tribunal doit
être convenablement vêtue ». Les parties
et leurs témoins devront donc éviter de
rester habillés « en mou » sous prétexte
qu’ils sont dans le confort de leur résidence
pour témoigner! Un effort devra être fait afin
que le décorum de l’audience soit préservé.
À fortiori pour les avocats : Selon le guide
préparé à l’attention des avocats et des
parties en matière d’audience virtuelle,
disponible sur le site de la Cour supérieure,
les règles concernant le décorum, le port de
la toge en chambre de pratique familiale et
autres règles vestimentaires prévues aux
articles 34, 35 et 37 du Règlement de la
Cour supérieure du Québec en matière
civile demeurent obligatoires dans le cadre
des audiences virtuelles. Cela semble un
détail anodin, mais si les avocats, comme
ils en avaient l’habitude depuis de
nombreuses années, ont le malheur de
laisser leur toge dans leur casier du Palais
de Justice où ils plaident habituellement, ils
pourraient devoir souffrir les remontrances
du juge qui préside leur audience ou pire,
une remise de la cause qu’ils souhaitent
présenter au Tribunal. - L’absence de vision globale : Tout avocat
qui plaide régulièrement développe avec le
temps une faculté d’observation globale qui
s’attache à une foule de détails : les
moments où un juge prend des notes et
semble intéressé, sceptique ou absent, les
réactions de la partie adverse, sa gestuelle
lorsqu’un témoin évoque un élément ou un
autre, etc.
Il existe même une science enseignée à cet
égard dans les cours de formation continue
du Barreau : La synergologie, qui consiste
en l’étude des micro-expressions du visage
ou du corps, lesquelles traduisent des
inconforts causés, par exemple, par les
mensonges ou les dissimulations. La
limitation qu’entraînent les audiences vir
tuelles à cet égard nous prive de la vision
périphérique en trois dimensions qui rend
cet exercice possible. Par exemple avec
l’outil Teams, la caméra se concentrera sur
la personne qui a pris la parole ce qui nous
prive du même coup de la possibilité
d’observer le reste de l’environnement.
- L’exclusion des témoins : Pour s’assurer
de l’indépendance de chacun des témoins,
de l’absence de collusion dans la
préparation de leur témoignage, une très
ancienne règle de preuve est celle de
l’exclusion des témoins.
Cela signifie que l’avocat opposé à la partie
qui présente ces témoins peut demander
(et demande à chaque fois) que les témoins
n’entendent pas les témoignages des
témoins qui précèdent le tout, afin de ne
pas « ajuster » leur témoignage en cas de
question imprévue que ne manquera pas
de poser l’avocat chevronné. Les témoins
doivent attendre dans le corridor et ne
savent donc pas la teneur des questions
posées par l’avocat ou le juge, ce qui est
une très forte garantie d’un procès juste.
En audience virtuelle, le fait de pouvoir se
placer dans un angle mort de la caméra ou
de placer un filtre derrière le témoin pour
cacher à l’écran l’arrière-plan de la pièce où
il se trouve crée le risque que des témoins
cachés dans la même pièce entendent le
témoignage d’un autre témoin et « adaptent
» ainsi leur version en conséquence. - Les distractions et autres imprévus : Bien
que de tout temps l’essence même d’un
procès soit faite d’imprévus (ce qui est en
partie à la base du vieil adage que « même
un mauvais règlement vaut mieux qu’un
bon procès ») les audiences en mode
virtuel des dernières semaines ont montré
que ces imprévus peuvent se multiplier
lorsque le tout se passe par Zoom, Teams,
ou Skype, depuis le domicile des parties,
témoins, juges et avocats.
Que ce soit chéri qui sorte de la salle de
bains dans le plus simple appareil, un chien
qui jappe à l’arrivée du facteur qui livre un
colis qu’on doit réceptionner où encore, le
maintien d’un filtre qui transforme en chat
l’apparence d’un avocat chevronné, la
grande solennité qu’on avait habitude
d’attribuer aux affaires judiciaires a été
mise à mal par les péripéties les plus
loufoques. Mais, au fond, est-ce si grave?
Ces petits imprévus ne sont-ils pas le sel
humoristique sans lequel la vie serait plate
et monotone.
Ne nous ramènent-ils pas à l’essentiel des
choses, à savoir, dans le cas de la Justice,
que celle-ci soit rendue rapidement, avec
professionnalisme et rigueur en permettant
à chaque partie d’être écoutée et
comprise?
En conclusion, malgré les quelques
inconvénients exposés dans cette
chronique et qui ne font certainement pas le
tour de la question, je demeure persuadé
que le recours aux moyens technologiques
à notre disposition, qui a été favorisé par la
force de cette crise mondiale que nous
traversons, comporte plus d’avantages que
d’inconvénients.
Il est à souhaiter que ces possibilités soient
maintenues, avec les petits ajustements qui
s’imposent, lorsqu’enfin s’imposera le
retour à la normale.