
Par: Roger-Luc Chayer, journaliste et éditeur du Groupe Gay Globe Média
À la fin de l’année 2023, la prévalence de la pauvreté au Québec a atteint des niveaux sans précédent dans son histoire récente. Elle affecte non seulement les personnes confrontées à des problèmes sociaux, mentaux, de dépendance ou en situation de crise, mais elle touche désormais presque tous les segments de la population. Les principales raisons de cette situation sont bien identifiées : l’inflation, les taux d’intérêt élevés, la pandémie de COVID-19 et l’absence de mesures efficaces de la part du gouvernement québécois.
Quelle est la nature de la pauvreté au Québec aujourd’hui ?
La pauvreté au Québec prend diverses formes. Traditionnellement, elle touchait principalement des groupes vulnérables, tels que les personnes sans emploi, les familles monoparentales, les immigrants récents et les Autochtones. Cependant, ces dernières années, une évolution significative s’est produite. La pauvreté moderne ne se limite plus à ces groupes marginaux, mais elle affecte de plus en plus une partie croissante de la population. Les raisons de cette augmentation sont multiples.
L’inflation constitue l’une des causes majeures de la précarité économique. Les coûts de la vie augmentent, ce qui rend difficile pour de nombreuses familles de joindre les deux bouts. Les taux d’intérêt élevés compliquent également l’accès au crédit, entraînant un cycle de dettes pour certaines personnes.
La pandémie de COVID-19 a eu un impact dévastateur sur l’économie, entraînant la perte d’emplois pour de nombreux travailleurs et exacerbant ainsi la situation de la pauvreté.
L’inaction du gouvernement québécois est également décriée. Les programmes sociaux et les mesures d’aide aux plus démunis ne suffisent pas toujours à faire face à la réalité de la pauvreté au 21e siècle.

(Photo: Radio-Canada)
Le gouvernement a en effet l’obligation de protéger la population contre la pauvreté !
Peu de Québécois le savent, mais le gouvernement du Québec est légalement tenu de protéger la population contre la pauvreté. L’État québécois a établi des obligations législatives envers le peuple québécois et il est le seul à pouvoir appliquer ses lois, n’est-ce pas ?

Que dit la Charte Québécoise des Droits de la Personne?
La Charte Québécoise des Droits de la Personne et des Droits de la jeunesse est très claire sur la question de la pauvreté et de la dignité. En voici les extraits pertinents selon moi:
CONSIDÉRANT que tout être humain possède des droits et libertés intrinsèques, destinés à assurer sa protection et son épanouissement;
CONSIDÉRANT que tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la loi;
CONSIDÉRANT que le respect de la dignité de l’être humain, l’égalité entre les femmes et les hommes et la reconnaissance des droits et libertés dont ils sont titulaires constituent le fondement de la justice, de la liberté et de la paix;
CONSIDÉRANT qu’il y a lieu d’affirmer solennellement dans une Charte les libertés et droits fondamentaux de la personne afin que ceux-ci soient garantis par la volonté collective et mieux protégés contre toute violation;
1. Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne.
4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
45. Toute personne dans le besoin a droit, pour elle et sa famille, à des mesures d’assistance financière et à des mesures sociales, prévues par la loi, susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent.
52. Aucune disposition d’une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles, à moins que cette loi n’énonce expressément que cette disposition s’applique malgré la Charte.
53. Si un doute surgit dans l’interprétation d’une disposition de la loi, il est tranché dans le sens indiqué par la Charte.
54. La Charte lie l’État.
Comme on peut le voir dans les articles et « considérants » mentionnés plus haut, l’État québécois est responsable de veiller à ce que tous les québécois soient protégés contre la pauvreté, comme mentionné à l’article 45, et la Charte a préséance sur toutes les lois du Québec comme mentionné à l’article 52, c’est-à-dire qu’elle passe par dessus toutes les lois, elle a priorité!
La Charte québécoise des droits et libertés est un document essentiel qui énonce les droits et libertés fondamentaux des citoyens du Québec. Bien que son principal objectif soit de protéger des droits tels que la liberté d’expression, la liberté de religion et la non-discrimination, elle offre également des bases pour protéger les citoyens contre la pauvreté.
Bien que la Charte ne traite pas directement de la pauvreté, ces principes peuvent être invoqués pour soutenir des politiques gouvernementales visant à réduire la pauvreté et à garantir un niveau de vie décent pour tous les Québécois. La jurisprudence canadienne montre que les tribunaux sont disposés à interpréter les chartes des droits de manière évolutive pour tenir compte des enjeux sociaux contemporains, y compris la lutte contre la pauvreté.
ANALYSE
Si le Gouvernement du Québec a adopté une Charte des droits de la personne visant précisément à protéger les individus contre la pauvreté et ses conséquences, comment se fait-il que tant de personnes tombent dans la pauvreté sans que l’État n’intervienne?
Tout d’abord, la lutte contre la pauvreté est un défi multifactoriel qui dépend de ressources limitées et de priorités budgétaires. Le gouvernement doit équilibrer de nombreuses exigences concurrentes, ce qui peut parfois entraîner des ressources insuffisantes pour résoudre complètement le problème de la pauvreté.
En outre, la pauvreté peut être enracinée dans des facteurs structurels tels que le chômage, l’accès limité à l’éducation et aux soins de santé, la discrimination, entre autres. Ces problèmes sont complexes et nécessitent des approches à long terme pour être résolus.
La mise en œuvre des politiques gouvernementales peut également être entravée par des obstacles administratifs, des retards bureaucratiques, ou des inefficacités dans les mécanismes de contrôle.
En fin de compte, l’État ne peut pas ignorer l’appauvrissement de la population, et il est certainement possible d’essayer de contraindre l’État à assumer les responsabilités qu’il a acceptées en vertu de la Charte.