Roman: Les travailleurs de la Mer (Victor Hugo) 1866

Couverture du roman dessinée par Victor Hugo

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La Christmas de 182.. fut remarquable à Guernesey. Il neigea ce jour-là.
Dans les îles de la Manche, un hiver où il gèle à glace est mémorable, et la
neige fait évènement.
Le matin de cette Christmas, la route qui longe la mer de Saint-Pierre-
Port au Valle était toute blanche. Il avait neigé depuis minuit jusqu’à l’aube.
Vers neuf heures, peu après le lever du soleil, comme ce n’était pas encore
le moment pour les anglicans d’aller à l’église de Saint-Sampson et pour
les wesleyens d’aller à la chapelle Eldad, le chemin était à peu près désert.
Dans tout le tronçon de route qui sépare la première tour de la seconde tour,
il n’y avait que trois passants, un enfant, un homme et une femme. Ces
trois passants, marchant à distance les uns des autres, n’avaient visiblement
aucun lien entre eux. L’enfant, d’une huitaine d’années, s’était arrêté, et
regardait la neige avec curiosité. L’homme venait derrière la femme, à une
centaine de pas d’intervalle. Il allait comme elle du côté de Saint-Sampson.
L’homme, jeune encore, semblait quelque chose comme un ouvrier ou un
matelot. Il avait ses habits de tous les jours, une vareuse de gros drap brun, et
un pantalon à jambières goudronnées, ce qui paraissait indiquer qu’en dépit
de la fête il n’irait à aucune chapelle. Ses épais souliers de cuir brut, aux
semelles garnies de gros clous, laissaient sur la neige une empreinte plus
ressemblante à une serrure de prison qu’à un pied d’homme. La passante,
elle, avait évidemment déjà sa toilette d’église ; elle portait une large mante
ouatée de soie noire à faille, sous laquelle elle était fort coquettement ajustée
d’une robe de popeline d’Irlande à bandes alternées blanches et roses, et, si
elle n’eût eu des bas rouges, on eût pu la prendre pour une parisienne. Elle
allait devant elle avec une vivacité libre et légère, et, à cette marche qui n’a
encore rien porté de la vie, on devinait une jeune fille. Elle avait cette grâce
fugitive de l’allure qui marque la plus délicate des transitions, l’adolescence,
les deux crépuscules mêlés, le commencement d’une femme dans la fin d’un
enfant. L’homme ne la remarquait pas.

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