Par slate.fr
Outre-Atlantique, pas une semaine ne passe sans que la majorité Républicaine tente de remettre en cause les acquis sociétaux. La nomination de Kavanaugh à la Cour Suprême est une nouvelle raison de s’inquiéter.
L’image est restée dans les mémoires aux États-Unis, devenant, à peine deux ans après l’élection de Donald Trump, un douloureux symbole en miroir du peu de considération que l’actuel président américain a pour les minorités sexuelles. En octobre 2016, celui qui n’était alors que le candidat Républicain à l’accession à la Maison-Blanche brandissait un drapeau arc-en-ciel (le fameux rainbow flag), lors d’un meeting de campagne dans le Colorado, promettant dans un même geste qu’il serait le champion des droits LGBT+. «Je me battrai pour vous, alors que Hillary continue d’accueillir des gens qui menacent vos libertés et vos croyances», affirmait-il, lyrique, en tapant par la même occasion sur les immigrés, afin de mettre deux communautés dos à dos.
Certains LGBT+ se pensaient donc cyniquement à l’abri dans l’œil du cyclone, lorsque le courroux de Trump et des Républicains était constamment dirigé vers les étrangers (illégaux ou non), les femmes (et leur corps), l’hégémonie américaine mise à mal ou les «plaies» du multilatéralisme. C’était mal connaître la propension du GOP [Grand Old Party, acronyme du Parti républicain, ndlr], tout à son rêve de protectionnisme, à jouer sur plusieurs fronts et à cloisonner d’abord toute revendication progressiste interne au pays, sans éprouver le besoin d’être à la solde d’un Trump prétendument socialement libéral –car originaire de New York et venant du monde du show-business.
Pourtant, il n’y eut nul besoin d’une invasion de migrants sanguinaires pour menacer les communautés et faire exactement le contraire de ce qui fut promis ce jour-là. Depuis l’investiture de Trump en janvier 2017, son administration semble s’appliquer à faire reculer par tous les moyens les avancées sociétales ayant abouti, entre autres, à la légalisation du mariage pour les personnes de même sexe, ou à l’arrêt du «Don’t ask don’t tell» dans l’armée américaine. Il ne se passe pas une semaine sans que médias et associations rapportent un projet de loi, une déclaration ou une executive action (l’équivalent des décrets présidentiels) rétrograde, réguliers coups de boutoir contre une égalité lentement grappillée à la faveur de l’évolution de l’opinion publique ou, plus rarement, de coups d’éclat politiques du camp Démocrate.
Tout comme il est frappant, à défaut d’être étonnant, de voir un cabinet de chrétiens évangéliques s’affairer en coulisses tout en soutenant, en façade, un président divorcé deux fois, accusé de multiples agressions sexuelles et aux mœurs publiquement relâchées (actrices porno, escorts et cinéma hollywoodien), le même traitement s’applique à la «question LGBT», que représentants de la Chambre et sénateurs homophobes, forts de leur majorité, détricotent avec un certain délice.
Si les médias dits «de gauche» multiplient les listes en forme de bilan régulier des méfaits de l’administration Trump concernant les LGBT+, et plus largement les minorités, c’est la Glaad (Alliance gay et lesbienne contre la diffamation), association de veille médiatique, qui est en première ligne du suivi des poussées droitistes. Depuis l’élection présidentielle, le «Trump Accountability Project» (TAP) de cette association recense en effet minutieusement les attaques contre les droits LGBT+. Au 9 octobre, l’organisation en décomptait soixante-quinze, en 627 jours de mandat: des directives de la ministre de l’Éducation, Betsy Devos, contre les étudiants transgenres qui auraient le malheur de se faire éjecter des toilettes correspondant à leur nouveau genre, à une protection renforcée des personnels de santé souhaitant limiter l’accès aux soins des personnes trans, en passant par les coupes dans le budget du ministre du Logement et du développement urbain, visant spécifiquement les populations touchées par le VIH.
Les discriminations indirectement encouragées
L’histoire à la fois la plus emblématique et la plus médiatique de ce mandat est, pour l’instant, celle de ce boulanger du Colorado, Jack Phillips, ayant refusé de confectionner un gâteau pour le mariage de deux hommes gays. La Cour Suprême lui a donné raison en juin dernier, arguant que cette procédure judiciaire «avait montré une certaine hostilité vis-à-vis des opinions religieuses du pâtissier», et qu’il n’était en rien obligé de servir le couple. Cette mise en avant de la religion a permis à bon nombre de Républicains de s’engouffrer dans la brèche en multipliant les projets de loi sur la liberté religieuse, paravent très pratique pour pousser dans ses retranchements toute velléité d’émancipation.
En juillet, le ministre de la Justice Jess Sessions a ainsi annoncé la création d’une task force de la liberté religieuse (Religious Liberty Task Force), lors d’un sommet aux intervenants contestés. «Bien que la liberté de religion soit au cœur des valeurs américaines, les exemptions d’adhésion aux protections anti-discriminations pour motifs religieux ne le sont pas», réagissait alors la PDG de la Glaad, Sarah Kate Ellis, ajoutant que l’administration au pouvoir avait clairement un «agenda anti-LGBTQ».
Mardi 2 octobre, une nouvelle surprise de mauvais goût attendait la communauté: l’administration a annoncé qu’à partir du lundi 8 octobre, elle ne délivrerait plus de visas pour les partenaires non mariés de diplomates présents sur le territoire américain, notamment ceux des Nations unies à New York. En résumé, le mot d’ordre est soudainement devenu «mariez-vous ou partez d’ici la fin de l’année», comme c’est le cas pour les couples hétérosexuels se trouvant dans la même situation, et devant postuler à un visa G-4, le spousal visa, réservé, comme son nom l’indique, aux époux.
Problème: dans certains pays d’où sont originaires lesdits partenaires, le mariage n’est pas légal, voire bien pire… Seulement vingt-cinq États dans le monde reconnaissent le mariage civil pour les couples de même sexe, autrement dit une infime minorité. Encore «une attaque excessive et inutile contre les LGBTQ autour du monde, a déclaré David Stacy, de Human Rights Campaign. Elle reflète l’hostilité de la paire Trump-Pence envers les LGBTQ». Décidée en juin 2017, l’interdiction faite aux personnes transgenres de s’engager dans l’armée américaine, annulation d’une politique d’acceptation commencée sous Obama un an plus tôt, est un autre exemple marquant d’un inquiétant retour en arrière.
Cela va sans dire que cette permissivité de l’homophobie dans les plus hautes sphères de l’État encourage les discriminations au quotidien, que ce soit sur le lieu de travail ou dans la rue, dans les lieux privés ou publics. Depuis l’élection de 2016, le New York City Anti-Violence Project a vu une augmentation de 45% des appels sur sa ligne téléphonique dédiée aux violences anti-LGBT+. Avec plus de 100 lois ou projets de loi dans vingt-neuf États en moins de deux ans, annonce le Movement Advancement Project (MAP), un think tank de recherche et d’analyse des textes anti-LGBT+ aux niveaux local et fédéral, les instances gouvernementales donnent le la. Un article écrit par la chercheuse croate Aleksandra Huić paru dans la revue universitaire Journal of Homosexuality, conclut sans surprise que «les croyances essentialistes sont le parfait carburant pour alimenter les actes discriminatoires». À ce petit jeu du populisme, l’administration Trump fournit l’essence pour que continue de s’enflammer régulièrement une base électorale conservatrice. Rien de plus efficace avant les élections de mi-mandat de novembre.
L’anomalie idéologique Trump
Pourtant, si la créature Trump, issue d’une super-élite et faisant campagne en opposition à ces même élites (son fameux slogan, «Drain the swamp», soit «assécher le marécage» de Washington), New-Yorkais millionnaire libéral à la tête d’une administration conservatrice, anomalie idéologique de circonstance, devrait suffire à expliquer l’instabilité intrinsèque de ses croyances profondes concernant les LGBT+, il est très difficile de cerner ce qu’il pense vraiment. Manipulé en premier lieu par les frères Koch (parmi les plus gros donateurs Républicains à tendance libertarienne, qui, étrangement, alimentent régulièrement les caisses de groupes anti-LGBT+ comme la Heritage Foundation ou la Conservative Political Action Conference), puis par les illibéraux de l’alt-right aux relents d’extrême droite (façon Steve Bannon et ses amis nazis), et enfin par les Républicains du Congrès, Trump a adopté plutôt tardivement les thèses radicales de ces trois groupes.
Cette girouette idéologique n’aide pas à établir une cartographie claire des intentions du président américain. Difficile de dire quel sera son prochain cheval de bataille sociétal… «Au cours des dernières décennies, la politique de division, de ressentiment et de paranoïa a malheureusement trouvé sa place au sein du Parti républicain», tonnait Barack Obama début septembre, lors de la seule intervention directe à l’encontre de son successeur.
En plus d’invisibiliser purement et simplement les LGBT+ sur ses différents sites Internet, le gouvernement va plus loin. Pour la première fois la semaine dernière, un vice-président américain est intervenu à la tribune d’un sommet du Family Research Council, groupe chrétien aux positions indéniablement homophobes. Mike Pence, qu’une partie de la communauté LGBT+, malicieuse ou malveillante, considère comme un closet case [un gay qui n’avoue pas son homosexualité, ndlr], multiplie en effet depuis des années les politiques conservatrices.
Gouverneur de l’Indiana, il soutint le financement public des thérapies de conversion pour les homos et le Restoration Act, ouvrant la porte à de multiples discriminations. Rumeurs ou vérités, le sénateur Lindsey Graham a fait les frais, la semaine dernière (y compris lors du Saturday Night Live), de la seule force de dissuasion qui reste aux militants LGBT+ lorsque tout semble perdu: l’outing comme arme politique. Son empressement suspect à confirmer la nomination du candidat à la Cour Suprême, Brett Kavanaugh, empêtré dans une affaire d’agression sexuelle, a soulevé de nombreuses questions au centre et à gauche.
Le mystérieux cas des supporters LGBT+ de Trump
Car il ne faut pas oublier que c’est aussi et surtout cette Cour Suprême qui fait la pluie et le beau temps sur les mœurs américaines. Roe vs Wade, décision historique qui légalisa l’avortement en 1973 et fut ébranlée à de nombreuses reprises depuis, a souvent été donnée en exemple comme une raison suffisamment effrayante pour ne pas confirmer Brett Kavanaugh, mais cet épouvantail à idées progressistes est loin d’être le seul. Donald Trump n’avait-il pas annoncé, en 2016, qu’il «envisagerait fortement» de nommer un juge à la Cour Suprême capable d’«annuler la décision sur le mariage pour tous»? Kavanaugh étant encore plus conservateur que son prédécesseur, Anthony Kennedy, il est permis de trembler.
Avec 14% des votantes et votants LGBT+ qui auraient choisi Trump à la dernière élection présidentielle, il reste pourtant encore des associations gays de droite qui soutiennent le néo-Républicain. Les Log Cabin Republicans, un groupe LGBT réactionnaire qui avait décrété que «Trump était le candidat Républicain le plus pro-LGBT de l’histoire», intervenait fin août sur Fox News, par la voix de son président, Gregory T. Angelo, très confiant à propos de la nomination de Brett Kavanaugh: «Il mérite une audience complète devant le Comité judiciaire du Sénat. La communauté LGBT lui doit d’avoir l’esprit ouvert». C’était avant que les accusations de Christine Blasey Ford ne viennent troubler cette belle célébration Républicaine.
Maintenant que Kavanaugh a été confirmé, on peut toujours tenter d’oublier les attaques directes et répétées de cette administration contre la communauté LGBT+ et de se consoler avec de superbes goodies, dont ces t-shirts de très bon goût (L pour liberty, G pour guns, B pour beers et T pour Trump). En effet, il vaut peut-être mieux en rire.