La police du village effectuait l’an dernier une série d’arrestations aux bars KOX et Katakombes, question de moeurs. La clientèle du village, enflammée par les propos de quelques leaders gais qui criaient au harcèlement et pis, à des mesures anti gaies, retirait une partie de sa confiance envers les policiers du poste 33. Afin de mieux comprendre la réalité du travail policier et pour voir, sans entraves, la façon de procéder de notre police, RG a obtenu l’autorisation des autorités du poste 33 de patrouiller dans le village, pendant deux quarts de travail de huit heures. En voici l’essentiel:
Il est 2 heures A.M., les deux constables Judy Costello et Julie Vézina patrouillent lentement sur la rue Ste-Élizabeth un peu au nord de Ste-Catherine. Des centaines sinon des milliers de badauds se promènent sur la Catherine en ce début de nuit chaude et de pleine lune. Soudain, un mouvement furtif, une ombre que seul un oeil averti peut entrevoir et aussitôt, Judy (alias oeil de lynx), demande à sa collègue de revenir en arrière. Réflexe immédiat de Julie qui ne pose pas de question, elle sait depuis longtemps que Judy a une sacré intuition. On arrive à la hauteur d’un petit cabanon et de nulle part apparaissent deux jeunes hommes à l’allure tout à fait ordinaire. Devant la surprise et les questions des policières, le plus grand admet être en train de fumer du hasch. Petite enquête pour vérifier si les deux mecs n’auraient pas de dossier ou de mandats; tout est beau, on les laisse aller.
Voilà un exemple du travail des policiers du poste 33, les policiers du village. Julie et Judy ne sont pas des novices et cumulent à elles deux, plus de 23 années d’ancienneté dont la majeure partie dans le secteur. Mères toutes les deux, elles ont fait le choix de mieux connaître le village gai et avouent qu’elles préfèrent de loin travailler dans le village plutôt que dans des quartiers plus calmes:<<… On commence à connaître les commerçants, les citoyens mais surtout, on apprend à reconnaître ceux qui viennent y faire du trafic de drogues, de la prostitution, ceux qui sont pas toujours « cleans »…>>
Les deux policières, qui font équipe depuis plusieurs années, se plient volontiers à nos questions quelques fois assez intimes. Judy aime raconter ses premiers souvenirs de patrouille dans le village. Originaire d’une famille anglophone de l’ouest de l’île, elle était loin de se douter que la faune du village pouvait être si active:<<… Alors que j’étais jeune cadette, je devais vérifier ce qui se passait dans une ruelle. Quand j’ai allumé ma lampe torchère, j’ai vu une ligne de gars qui s’enfilaient. Inutile de vous dire que ça sautait comme des lapins…>> dit-elle en riant.
Julie elle, aime plutôt raconter ses contacts avec la population gaie:<<… Je me sens très à l’aise quand je viens travailler avec les gais et lesbiennes. On m’accueille généralement très bien, on me salue quand je passe en voiture et j’ai l’impression de contribuer à donner une image du service de police qui est plus positive que certains pourraient le croire. Je suis très à l’aise d’entrer dans un bar pour faire baisser la musique ou pour faire une simple vérification. Des fois, je suis un peu plus gênée quand j’entre dans un bar de lesbiennes, on se fait cruiser et c’est pas mal rigolo…>>
Les interventions se succèdent et en moins de 3 heures, on aura eu le temps d’arrêter une femme recherchée pour avoir troublé la paix, d’avoir vérifié si une jeune fille était fugueuse, de faire baisser le niveau sonore du bar Fun Spot, quelques vols ou bagarres par-çi par-là et la nuit avance. Nos deux policières aiment parler de leurs sentiments face à la profession. Julie, qu’on surnomme « la tigresse affamée » et pas seulement pour ses fringales nocturnes pendant notre reportage, nous explique que la loi, qu’elle soit dans le village ou ailleurs à Montréal, est la même pour tout le monde. Comme les appels entrent de partout à la fois, les policiers doivent y appliquer les mêmes règles:<<… Comment pourrais t-on rester crédibles si on devait succomber aux revendications des groupes de pression. À en croire certains leaders de communautés culturelles, on devrait être plus souple avec tel groupe, changer notre façon devant une autre minorité… Là, les citoyens auraient raison de crier à l’injustice. Pour tous les citoyens de Montréal la loi est la même, notre rôle est de l’appliquer, pas de l’interpréter. La meilleure garantie du respect des droits des gais comme du reste de la population réside dans cette obligation à appliquer des standards identiques à tous…>> nous explique Julie.
Il faut dire que la criminalité du secteur 33 est bien particulière. C’est connu qu’au centre-ville, ça brasse beaucoup mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, le secteur du village présente une criminalité plus spécifique, différente. Le gay bashing est en effet très fréquent et les victimes sont encore trop réticentes à porter plainte:<<…Qu’une femme se fasse agresser sur la rue ou qu’un gai mange une volée simplement parce qu’il est gai pour nous, c’est la même chose. Nous ne sommes pas là pour juger l’orientation sexuelle des personnes mais bien pour assurer l’ordre auprès de tous les citoyens. Les gais et lesbiennes sont encore trop craintifs à porter plainte de peur de devoir expliquer ce qu’ils sont. Il se trompent. Avec le signalement de l’agresseur donné dans les minutes qui suivent l’attaque, c’est beaucoup plus facile de tenter de l’attraper et de libérer le village de tels individus…>> nous confient les deux policières.
La constable Vézina conseille à toutes les victimes de ne jamais hésiter à porter plainte. Comme le poste 33 travaille en étroite collaboration avec le projet « Dire enfin la violence » du Centre Communautaire des Gais et Lesbiennes de Montréal, les victimes peuvent se présenter directement au CCGLM et déposer leur plainte.
Une patrouille de jour bien différente!
Afin d’en savoir d’avantage sur la criminalité du village, RG a décidé de refaire une seconde patrouille mais cette fois-ci, de jour et avec deux hommes policiers. Comme prévu, la clientèle de jour est fort différente de la faune plus sauvage de la nuit. C’est en compagnie des constables Denis Deragon et Eric Charbonneau que nous sommes allé travailler dès 7 heures du matin, un lundi.
D’abord, comme les commerces n’ouvrent qu’à neuf heures, il n’y a généralement pas beaucoup d’action avant cette heure et les policiers se concentrent plus sur la sécurité routière. La routine quoi! Jusqu’au moment où les événements se bousculent. Un suspect qui vient de frapper un commerçant se sauve de la Place Berri. Sans perdre une seconde, nos deux policiers partent à sa poursuite sirènes hurlantes. Le suspect ayant emprunté une rue à pied qui est sens contraire à la circulation, les policiers doivent continuer la poursuite à pied. Qu’à cela ne tienne, voilà nos deux compères à sa poursuite et il ne se passe pas une minute avant que le suspect ne soit arrêté:<<… C’est pas toujours comme ça, la dernière fois que j’ai du courir après un suspect date de deux semaines…>> nous explique le constable Deragon qui cumule, à 26 ans, presque 6 années d’ancienneté dont bientôt deux au poste 33.
Lors de notre patrouille avec les deux policiers masculins, on a pu constater que la manière change mais que le discours reste le même. On semble gérer le poste 33 comme une entreprise qui a le plus grand soucis du service à la clientèle:<<… Il n’y a pas si longtemps, je dois avouer que les policiers du 33 avaient une attitude différente envers les gais du village. Un manque de compréhension de la réalité gais était probablement à l’origine de cet inconfort. Jusqu’à ce qu’au fil du temps, on s’aperçoive que les gais entretenaient leur quartier, achetaient de vieilles maisons pour les rénover avec goût. Les gais rendaient eux-mêmes un quartier réputé comme « tough », beaucoup plus sécuritaire. Il devenait donc de plus en plus agréable de travailler avec eux à garder sécuritaire ce qu’ils avaient mis beaucoup de temps et d’argent à changer…>> nous explique un enquêteur qui a passé plus de 25 ans au 33.
Juste avant de quitter nos policiers, j’ai eu l’occasion d’assister à l’arrestation d’un « squeegee », vous savez, ces nettoyeurs de pare-brise punks au coin des rues. En effectuant une simple vérification de son identité, le suspect de 17 ans a eu peur et s’est enfui par surprise. Mal lui en prit, il ne savait pas qu’il avait deux courseurs entraînés à ses trousses et en une fraction de seconde, nos deux policiers l’attrapaient, lui donnaient une petite dose de poivre de cayenne pour mieux le maîtriser et le transportaient dans le véhicule de police. Le suspect n’aura eu le temps que de faire ses prières avant de se retrouver en prison.
Enfin, ce qui étonne toutefois dans notre dernière patrouille, c’est qu’il a été impossible de prendre des photos de nos policiers, du lieutenant de garde et de l’enquêteur. Personne ne voulait se faire prendre en photo pour le bénéfice de nos lecteurs. Nous comprenons la timidité de certains, l’habitude de travailler dans l’ombre de d’autres mais quand tous les intervenants d’un quart de travail refusent de se faire photographier après avoir passé une journée à patrouiller avec un journaliste, à lui vanter la transparence du service de police, ça laisse une drôle d’impression qu’un prochain dossier pourra sûrement mieux expliquer.
Nous tenons à remercier l’équipe no 4 du poste 33 pour sa collaboration enthousiaste à notre dossier de même que ses deux sergents, Laporte et Guindon, pour avoir facilité notre reportage. Un remerciement particulier à la constable Gascon, toujours volontaire pour collaborer avec RG. Enfin, merci aux constables Vézina, Costello, Charbonneau et Deragon pour avoir supporté un journaliste à leurs coté pendant 16 heures.
R.L.C.