Cet article a été rédigé par un reporter dʼAgoraVox, le journal média citoyen qui vous donne la parole.
Une nouvelle forme de violence au sein même de la communauté gaie…
Jusquʼà la fin des années 1980, les homothugs avaient une identité cachée. Ils étaient sous le DL « down law », cʼest-à-dire quʼils dissimulaient leur homosexualité à leurs partenaires pour sʼadonner à des rituels qui ne devaient pas être connus de tous. Aujourdʼhui, les homothugs sont devenus un mouvement qui revendique une identité culturelle à part entière, même si leurs postulats peuvent apparaître paradoxaux.
Le substantif homothug est composé de deux substantifs accolés, homo qui renvoie à homosexualité, et thuggerie qui se réfère à la culture du gang. La référence au crime est très populaire dans les classes défavorisées noires et hispaniques, près de 63% des détenus qui remplissent les prisons américaines appartiennent à ces communautés. Lʼessence de la culture du gang sʼinscrit dans le milieu carcéral, et un séjour en taule devient une marque de déférence.
Contrairement au stéréotype de lʼhomosexuel efféminé, habillé élégamment, les homothugs affichent des codes vestimentaires similaires à ceux des petites frappes des quartiers chauds. Ils portent des baggies (jeans très larges) qui tombent comme des sacs, et leur visage est encerclé dʼun « doo-rag », sorte de collant noir qui plaque leur chevelure.
Le « warehouse » ne paie pas de mine, et on pourrait penser que lʼon a affaire à une vieille usine abandonnée, si ce nʼétait cette foule de silhouettes qui entourent la petite porte dʼentrée. Il est trois heures du mat, et cʼest ici que près de sept cents Blacks et Latinos se retrouvent dans une atmosphère électrique.
A lʼintérieur des murs, lʼambiance est chaude. Le DJ sʼexclame : « From now on, The Warehouse will not play faggot music ! » [1] Ces propos homophobes provoquent lʼhilarité de la salle.
Les homothugs ne se reconnaissent pas comme des homosexuels à part entière. Certains dénigrent même le courant dominant de la culture gay quʼils associent à la culture blanche. Le professeur Kendall Thomas, co-directeur du Centre de recherches de droit et de culture à lʼUniversité de Colombia, souligne : « Le courant dominant de la culture gay représente rarement les sous-ensembles qui la composent. […]Les hommes de couleur sont souvent perçus comme des objets de désir pour les Blancs plus que les sujets de leur propre désir. » Dʼoù le désir profond des homothugs de vouloir se distinguer de cette socio-catégorisation.
Sʼil subsiste parfois une ambiguïté identitaire sexuelle – certains sont homo, dʼautres bi, dʼautres sʼautorisent des rapports oraux avec les hommes mais réservent la pénétration aux femmes – le dilemme tient avant tout à une revendication culturelle forte, devant laquelle leur sexualité les met en porte-à-faux. Leurs cultures noire et hispanique, dʼappartenance souvent machiste, perçoivent lʼhomosexualité comme une tare, et ils retrouvent dans le hip-hop une opportunité de dépasser ce confinement du label « gay » dans lequel ils ne se retrouvent pas.
Pour certains, la dénomination homothugs est une vitrine derrière laquelle ces hommes camouflent leur identité sexuelle et sʼoctroient une puissance virtuelle que leur confère le hip hop, scène cathartique dʼ « une culture dʼhommes en colère ».
Dutchboy, membre de « The Rainbow Flava rap collective », qui produit actuellement des compilations de hip hop de gays, lesbiennes, transsexuels, rappelle que « les homothugs sʼidentifient entièrement à la culture du hip hop, qui résonne en eux et leur offre un lien communautaire que la culture gay qui prévaut à New York est incapable de leur offrir ». Ils ne semblent absolument pas touchés par les diatribes homophobes que distille la verve effilée de chanteurs comme DMX ou Eminem. Lʼincitation à la haine du « faggot » ne leur est pas destinée.
Dʼailleurs, comme aiment à le rappeler de nombreux rapeurs, leurs messages ne sont pas foncièrement homophobes ; le vocable pédé connaît un glissement sémantique significatif, où le schème de lʼhomosexualité disparaît au profit des connotations négatives qui le caractérisent. « Pédé » devient synonyme de « faible », de « con », de « bolosse ».
Néanmoins, pour la communauté gay, cette subculture est problématique. Les homothugs nient ouvertement leur appartenance à la communauté, mettant sous couvert leur homosexualité, alors que les partisans se sont battus bec et ongles pour sortir de cet anonymat. Dʼautres ne ressentent quʼun profond mépris pour ce mouvement quʼils considèrent comme une branche abâtardie de lʼhomosexualité.
Cʼest comme si subsistait une hiérarchie dans laquelle différents groupes dʼintérêts se disputent le haut de lʼéchelle.
Cela montre surtout que lʼhomosexualité nʼa pas de canonique figée, et quʼil existe un perpétuel mouvement dʼévolution et de revendications hétéroclites au sein de cette communauté.