Antonine Maillet : Une rencontre inoubliable au-dessus de l’Atlantique, du 747 à l’éternité

Couverture du roman Les Crasseux

Roger-Luc Chayer (Images: Gay Globe)

Il m’est arrivé à quelques reprises de raconter ma première et unique rencontre avec la célèbre auteure acadienne Antonine Maillet. Mais au lendemain de son triste décès, survenu à l’âge vénérable de 95 ans, j’ai voulu vous la raconter en détail, tant cette rencontre au-dessus de l’Atlantique en 1988 fut extraordinaire.

Avant tout, je dois admettre que je n’avais jamais regardé les émissions de télévision mettant en scène La Sagouine. Mes parents aimaient ça, mais, étant alors en pleine adolescence, je ne m’identifiais pas à ce genre d’émission folklorique, comme bien des jeunes de mon âge. Je ne connaissais Madame Maillet que de nom, la voyant souvent passer à la télévision ou dans les journaux.

À l’époque, j’étais un jeune corniste au Conservatoire national de Nice, en France, et surnuméraire dans plusieurs orchestres du sud du pays ainsi qu’à Monaco. J’avais l’habitude de faire de fréquents allers-retours entre Nice et Montréal, que ce soit pour rapporter des instruments de musique ou pour rendre visite à ma famille pendant les fêtes.

Or, au tout début de 1988, lors d’un vol d’Air France à destination de Paris – avant ma correspondance pour Nice –, je me retrouvai assis aux côtés d’une dame qui avait réservé deux sièges, ceux du côté hublot. Pour ma part, j’occupais le siège côté allée. C’était la première fois que je voyageais avec quelqu’un qui avait les moyens de prendre deux places, et je trouvais cela plutôt pratique : moins de monde à côté de moi, donc plus de confort…

La dame me disait, avec un bel accent acadien, qu’elle prenait toujours deux places pour être plus confortable pendant la traversée. Elle voulait pouvoir s’étendre et dormir en paix, et elle avait bien raison. Sa façon de parler était tout à fait adorable, et elle s’intéressait autant à moi qu’une grand-maman aux affaires de ses petits-enfants.

Et puis, à force de parler et de jaser, j’ai appris que la dame se rendait à Paris pour des fonctions officielles dans le domaine de la culture. Curieuse, elle voulait savoir ce qu’un jeune Québécois allait faire en France.

Je lui ai alors raconté que j’étais au Conservatoire de Nice, dans une classe de cor, de musique de chambre et d’orchestre, et que je remplaçais souvent dans les orchestres de l’Opéra de Nice et de l’Orchestre de Cannes. Nous avons eu une très belle conversation, mais je ne savais toujours pas qui elle était. À vrai dire, cela m’importait peu…

À un moment, je lui ai demandé son nom afin que nous nous présentions plus formellement. C’est alors qu’elle m’a répondu : « Antonine Maillet. » Je suis parti à rire, m’excusant de ne pas l’avoir reconnue plus tôt.

Elle, de son côté, croyait que je l’avais reconnue dès le début et était ravie d’apprendre que ce n’était pas le cas. Elle trouvait cela rafraîchissant, tandis que je m’excusais à plusieurs reprises de ne pas avoir reconnu un si grand nom. Elle, au contraire, adorait la situation.

Puis, le voyage s’est poursuivi. Elle a décidé de faire une petite sieste, et j’en ai profité pour en faire autant.

Plus tard, pour passer le temps, elle m’a demandé si je jouais aux cartes. Nous avons alors disputé quelques parties de dames de pique ensemble. Elle était drôlement bonne au jeu, et sa conversation restait toujours bienveillante envers moi. Curieuse, elle voulait savoir pourquoi j’étais aussi jeune pour étudier en France, si tout se passait bien, et elle me parlait de ce qu’elle connaissait de mon instrument, le cor. Son savoir semblait universel.

Adorable, brillante, d’une grande simplicité et sans la moindre formalité, elle m’a offert, à notre arrivée à Paris, un lift à la sortie de l’avion si j’en avais besoin. Elle m’a expliqué qu’un chauffeur l’attendait et qu’elle pouvait me déposer en ville… Quelle gentillesse !

Comme je transitais vers Nice sans quitter l’aéroport, je l’ai remerciée. Elle m’a alors dit qu’elle allait m’envoyer un de ses livres, et de mon côté, je l’ai invitée à assister à n’importe quel concert à Nice ou à Cannes si elle y passait.

Quelques mois plus tard, elle n’avait pas oublié. J’ai reçu chez moi, à Nice, par la poste, son roman Les Crasseux, dédicacé ainsi :

 » Le 9 mars 1988

À Roger-Luc Chayer,

Ces crasseux promis au-dessus de l’Atlantique lors de notre première rencontre qui ne sera pas la seule, j’espère,

Bon souvenir et amitiés de la littérature à la musique,

Antonine Maillet « 

L’annonce de son décès, hier, m’a profondément chagriné tout en me faisant revivre ces souvenirs uniques.

Madame Maillet a poursuivi son important travail d’ambassadrice de la culture acadienne et a reçu de nombreuses distinctions. Les messages du président Macron et de Justin Trudeau, hier, témoignent de l’importance et du respect que l’humanité portait à cette écrivaine, première non-Européenne à remporter le prix Goncourt. Les honneurs et récompenses se sont multipliés au fil des ans, et c’était amplement mérité.

Vie privée

C’est tout récemment que j’ai appris que Madame Maillet faisait partie des communautés LGBT et qu’elle avait été la compagne de Mercedes Palomino, cofondatrice du Théâtre du Rideau Vert.

Ce fut pour moi un véritable choc, ajoutant à ma tristesse, car je n’en savais rien. Si je l’avais su, j’aurais organisé une nouvelle rencontre avec elle, cette fois pour lui rendre hommage en couverture du magazine Gay Globe, comme nous le faisons pour toutes celles et ceux qui ont à cœur notre bien collectif et qui sont des exemples à suivre.

Imaginez les conversations que nous aurions pu avoir depuis ce vol en 747 au-dessus de l’Atlantique… Malheureusement, cette fois, elle s’est envolée vers un autre monde. Je ne la remercierai jamais assez pour sa gentillesse à mon égard et pour une vie exemplaire, consacrée à la culture, à l’Acadie et aux personnes des communautés LGBTQ+.

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