Roger-Luc Chayer (Image IA – Gay Globe)
Le Village d’aujourd’hui ne ressemble plus à celui des années 90, lorsque l’on pouvait s’y promener en toute sécurité et être vraiment fiers de ce que la communauté gaie et lesbienne (comme on disait alors) y avait construit. Parti d’une simple rue commerçante dans un quartier modeste, le Village gai de Montréal était devenu huppé, tendance; c’était l’endroit où il fallait être vu. Les foules se pressaient devant les restaurants et les clubs de danse, et le quartier était d’une propreté irréprochable.
(Photo: Monsieur Rosa. 28 août 1997. Crédit: Michel Bazinet, photographe)
L’un des personnages les plus pittoresques des années 90 était Monsieur Rosa. Presque tout le monde qui fréquentait le Village à cette époque le connaissait et se souvient de lui. C’était un homme d’une quarantaine, peut-être cinquantaine d’années, au visage et au ventre ronds, qui, soir après soir, parcourait inlassablement les commerces du Village pour vendre des roses. De petites roses emballées individuellement, qui ne s’ouvraient pas toujours car elles étaient éphémères, parfois un peu fatiguées.
Monsieur Rosa avait une histoire intéressante. Il n’était pas né au Canada et vendait ses roses pour subvenir aux besoins de sa famille. Au début, il ne parlait absolument pas français et faisait de son mieux pour communiquer. Mais je me souviens qu’avec le temps, il avait réussi à formuler des phrases dans un excellent français et comprenait de mieux en mieux ce qu’on lui disait. C’est ainsi qu’il prenait parfois le temps de discuter avec nous, debout à côté de notre table au restaurant. Il aimait parler de son passé, des raisons pour lesquelles il vendait ses roses, et son sourire était inoubliable.
Nous étions alors aux premiers jours de l’émancipation homosexuelle, avec de nouvelles lois qui nous protégeaient, qui nous permettaient de nous unir civilement, reconnaissaient notre droit à l’adoption et au partage de la rente de conjoint survivant de la Régie des rentes du Québec.
Monsieur Rosa, avec ses roses, surfait sur la vague romantique de cette réalité.
En préparant cet article-hommage à un homme qui avait fait du Village gai de l’époque un petit paradis romantique pour les amoureux, j’ai appris, par l’intermédiaire de quelques correspondants, que Monsieur Rosa était décédé. Il a laissé une marque indélébile dans notre histoire collective, et je lui en suis reconnaissant.