Law Society of British Columbia c. Trinity Western University et Trinity Western University c. Barreau du Haut-Canada

Cour Suprême du Canada

La Cour suprême a jugé que les barreaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario avaient le pouvoir de refuser de reconnaître une faculté de droit dont la création était proposée et qui aurait obligé les étudiants à respecter un code de conduite d’inspiration religieuse imposant des limites en matière de comportements sexuels.

Trinity Western University (TWU) est une université chrétienne privée, située à Langley en Colombie-Britannique. Elle souhaite ouvrir une faculté de droit. Dans cette université, tous les étudiants et les professeurs doivent respecter un code de conduite (appelé « covenant ») qui interdit toute intimité sexuelle en dehors des liens du mariage entre un homme et une femme. Les étudiants et les professeurs doivent se conformer au covenant pendant toute la durée de leurs études ou de leur carrière à TWU, qu’ils se trouvent ou non sur le campus.

Le barreau de la Colombie-Britannique, la Law Society of British Columbia, réglemente la profession d’avocat dans cette province, alors que le Barreau de l’Ontario (autrefois appelé le Barreau du Haut-Canada) fait de même en Ontario. Les deux barreaux reçoivent leurs pouvoirs de l’État. Un de leurs rôles consiste à protéger l’intérêt public en décidant qui peut exercer le droit dans leur province respective. De façon générale, les personnes qui souhaitent devenir avocat doivent détenir un diplôme d’une faculté de droit reconnue.

TWU a demandé que la faculté de droit qu’elle propose soit reconnue tant en C.-B qu’en Ontario. En C.-B, la Law Society a demandé à ses membres (tous les avocats déjà autorisés à exercer le droit dans cette province) de se prononcer sur la question. La majorité des membres ont voté contre la proposition de TWU et la Law Society a adopté une résolution confirmant la décision. Les « conseillers » du Barreau de l’Ontario ont pour leur part décidé de ne pas accepter la proposition.

TWU et l’un de ses diplômés (qui espérait fréquenter la faculté de droit) ont demandé la révision judiciaire des décisions des barreaux dans les deux provinces, affirmant que ces décisions violaient la liberté de religion et d’autres droits protégés par la Charte. En C.-B., la Cour suprême et la Cour d’appel ont donné raison à TWU et déclaré que la décision de la Law Society était invalide. En Ontario, la Cour divisionnaire et la Cour d’appel ont toutes deux tranché en faveur du Barreau.

À la Cour suprême du Canada, les juges majoritaires ont donné raison aux barreaux. Les juges Rosalie Silberman Abella, Michael Moldaver, Andromache Karakatsanis, Richard Wagner (qui n’était pas encore juge en chef quand les affaires ont été entendues) et Clément Gascon ont rédigé leurs motifs conjointement. Selon eux, la question à laquelle la Cour devait répondre était de savoir si les décisions des barreaux de ne pas reconnaître la faculté de droit proposée par TWU étaient raisonnables. Ils ont répondu oui à cette question. Pour être jugées raisonnables, les décisions devaient représenter une mise en balance proportionnée des droits religieux de la communauté de TWU et des objectifs de protection de l’intérêt public des barreaux. Pour les juges majoritaires, la protection de l’« intérêt public » comprend l’obligation de promouvoir l’égalité en assurant un accès égal à la profession juridique, de favoriser la diversité au sein du barreau et d’éviter qu’un préjudice soit causé aux étudiants en droit LGBTQ. Ni l’un ni l’autre des barreaux n’empêchait quiconque d’observer ses propres croyances religieuses (y compris de se conformer au covenant, si quelqu’un souhaitait le faire). Ils empêchaient seulement TWU d’imposer des croyances à d’autres membres de la communauté de la faculté de droit. Pour cette raison, les juges majoritaires ont affirmé que les décisions ne restreignaient pas de façon sérieuse les libertés religieuses de qui que ce soit. Compte tenu des avantages importants découlant de la protection de l’intérêt public et de l’importance mineure de la restriction aux droits religieux en cause, les juges majoritaires ont déclaré que les deux décisions reflétaient une mise en balance proportionnée, et qu’elles étaient en conséquence raisonnables.

Tout comme les juges majoritaires, la juge en chef Beverley McLachlin, qui occupait toujours ce poste lors de l’audition des appels, a conclu que les décisions des barreaux étaient proportionnées et raisonnables. Elle a toutefois exprimé son désaccord avec leur approche. À son avis, lors de la révision judiciaire de décisions administratives contestées en vertu de la Charte, les cours doivent d’abord se demander s’il y a eu atteinte à un droit garanti par la Charte (plutôt qu’à une valeur consacrée par celle-ci). Dans l’affirmative, l’acteur étatique qui a pris la décision doit prouver que l’atteinte est raisonnable et peut se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique. Contrairement aux juges majoritaires, elle a considéré que la restriction imposée aux droits à la liberté de religion, d’expression et d’association de la communauté de TWU était grave. Cependant, outre les effets néfastes sur la diversité et l’égalité au sein de la profession juridique, elle a souligné que le fait d’accepter la proposition de TWU reviendrait à accepter des actes discriminatoires commis à l’endroit des personnes LGBTQ sur la base de leur orientation sexuelle.  Le refus des barreaux d’accepter ces actes discriminatoires était conforme aux obligations que leur impose la loi d’agir dans l’intérêt public. D’après la juge en chef McLachlin, ces obligations l’emportaient sur les demandes de TWU fondées sur la liberté de religion.

Le juge Malcom Rowe a conclu, comme les juges majoritaires, que les décisions des barreaux étaient raisonnables, mais il s’est dit en désaccord avec eux sur la façon dont ils arrivaient à leur conclusion et sur les raisons qu’ils invoquaient. Tout comme la juge en chef McLachlin et les juges dissidents, le juge Rowe a affirmé que l’analyse devait porter sur les droits garantis par la Charte (plutôt que les valeurs consacrées par celle-ci). Comme eux, il a également déclaré que c’est l’acteur étatique qui a le fardeau de justifier les limites imposées à de tels droits. Le juge Rowe a toutefois conclu qu’en l’espèce les décisions des barreaux ne portaient pas atteinte aux droits garantis par la Charte invoqués par TWU. La communauté de TWU ne cherchait pas seulement à protéger ses propres croyances et pratiques. Elle voulait que les barreaux reconnaissent une faculté de droit où les étudiants seraient forcés de se conformer à des croyances chrétiennes évangéliques — qu’ils partagent ou non ces croyances. Selon le juge Rowe, la liberté de religion protège le droit de chaque personne d’adhérer aux croyances de son choix et de les observer. Cependant, elle ne protège pas le droit d’imposer ces croyances et pratiques à autrui. Pour ce motif, il a jugé que la demande de TWU échappait à la portée de la liberté de religion protégée par la Charte.

Les juges Suzanne Côté et Russell Brown ont exprimé leur désaccord avec les autres juges, et ils auraient donné raison à TWU. Dans leurs motifs dissidents, ils ont affirmé que les lois qui confèrent aux barreaux les pouvoirs dont ils disposent limitent les facteurs que ces derniers peuvent prendre en considération lorsqu’ils décident de reconnaître ou non une faculté de droit. Selon les juges dissidents, les barreaux devaient uniquement décider si les diplômés allaient être aptes à pratiquer le droit (c.-à-d. compétents et respectueux de la déontologie). Vu l’absence de preuve que les finissants ne seraient pas aptes, les juges Côté et Brown ont conclu que les barreaux auraient dû approuver la proposition de TWU. À leur avis, la liberté de religion protège également la liberté de chacun d’exprimer des opinions religieuses (par exemple, au moyen du covenant) et de s’associer avec d’autres pour étudier le droit dans un milieu d’enseignement qui témoigne de leurs croyances religieuses. Ils ne partagent pas la conclusion de la juge en chef McLachlin selon laquelle le fait d’approuver la proposition revenait à accepter des actes discriminatoires. Selon eux, le fait qu’un acteur étatique (tel un barreau) fasse preuve de respect à l’endroit d’un acteur privé (telle une université confessionnelle) ne signifie pas qu’il appuie les croyances de cet acteur privé. Si c’était le cas, les acteurs privés seraient indirectement obligés de respecter la Charte (même si celle-ci s’applique seulement aux acteurs étatiques). Les juges Côté et Brown ont souligné que le respect de la diversité de croyances religieuses était dans l’intérêt public. Ils ont également affirmé que les barreaux d’autres provinces ont reconnu la faculté de droit proposée par TWU. Pour les juges dissidents, les décisions des barreaux restreignaient gravement la liberté de religion des membres de la communauté de TWU et n’étaient pas justifiées.

Bien que l’appel émanant de la C.-B. et celui émanant de l’Ontario ne présentaient pas le même historique, ils soulevaient tous deux la même question et ils ont été entendus les mêmes jours par la Cour suprême. Ultimement, huit juges ont convenu que les décisions des barreaux restreignaient les libertés religieuses (les cinq juges majoritaires, la juge en chef McLachlin et les deux juges dissidents). Toutefois, cinq juges (les juges majoritaires) ont conclu que la restriction n’était pas sérieuse, tandis que trois juges (la juge en chef McLachlin et les deux juges dissidents) ont affirmé qu’elle l’était. Six des huit juges qui ont conclu à l’existence d’une restriction ont déclaré que celle-ci était raisonnable (les juges majoritaires et la juge en chef). Un juge (le juge Rowe) a conclu qu’il n’y avait aucune atteinte aux libertés religieuses.

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