Maître Claude Chamberland
L’an dernier à pareille date, je vous entretenais d’une question relative aux enquêtes de crédit sur les locataires par un propriétaire. Cette année, une autre question importante concernant les rapports entre propriétaires et locataires fait l’objet de ma chronique printanière: les reprises de logement.
Récemment, une histoire défrayait la chronique suite à un jugement du Tribunal administratif du Logement (TAL) qui, le 17 mars 2022, condamnait un couple de propriétaires à payer la somme de 14 500$ à une locataire évincée supposément pour y loger le père de la locatrice, dont 9600$ de dommages punitifs. La preuve a en effet révélé qu’elle a été victime d’une éviction dont le motif réel était la spéculation immobilière des locateurs.
L’article 1968 du Code Civil du Québec (CCQ) nous dit que : « Le locataire peut recouvrer les dommages-intérêts résultant d’une reprise ou d’une éviction obtenue de mauvaise foi, qu’il ait consenti ou non à cette reprise ou éviction. Il peut aussi demander que celui qui a ainsi obtenu la reprise ou l’éviction soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »
Selon Madame la juge administrative Karine Morin, le fait qu’il y ait eu une entente entre les parties lors du départ de la locataire ne l’empêche pas d’obtenir des dommages d’une reprise obtenue de mauvaise foi. Cet article permet de sanctionner les agissements fautifs d’un locateur qui obtient, par subterfuge ou malice, l’éviction d’un locataire en contravention aux dispositions de la loi.
Rappelons que le droit du locataire au maintien dans les lieux fait partie de l’essence même du bail résidentiel. En reprenant possession, il est fait légitimement accroc à ce droit et c’est pourquoi il est exigé que le locateur-propriétaire démontre qu’il entend réellement reprendre pour les fins indiquées à son avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins.
Parce que deux droits importants se rencontrent et s’opposent (le droit du propriétaire d’un bien de jouir de celui-ci comme bon lui semble et le droit du locataire au maintien dans les lieux loués), le législateur impose des conditions très strictes au locateur. D’une part, ce dernier ne peut reprendre un logement que pour l’habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l’union civile (art. 1957 CCQ). D’autre part suivant les articles 1960 et 1961 CCQ, il doit envoyer au moins 6 mois avant la fin du bail un avis précisant la date prévue pour exercer la reprise, le nom du bénéficiaire et, s’il y a lieu, le degré de parenté ou le lien du bénéficiaire avec le locateur. L’avis d’éviction doit indiquer le motif et la date de l’éviction et reproduire le contenu de l’article 1959.1 CCQ relatif à des locataires de plus de 70 ans.
Si le locataire ne répond pas à cet avis dans les 30 jours de sa réception, il est réputé refuser de quitter le logement et le locateur disposera alors de 30 jours pour introduire un recours devant le TAL afin d’être autorisé à reprendre le logement.