Macron gay ? La fabrique d’une rumeur

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Les bruits visant le candidat à la présidentielle sont un cas d’école d’une mécanique de déstabilisation déjà vue. Avec au départ l’idée que l’homosexualité constitue un frein inconscient chez les électeurs.

C’est sournois une rumeur. D’où sort-elle, comment se crée-t-elle, sur quels fondements, pourquoi ? Comme un virus, il n’est pas aisé de retracer parfaitement son origine, de trouver le patient zéro.

Face à la rumeur, la victime est souvent désemparée. Faut-il en parler pour démentir au risque qu’elle se propage ? Laisser courir ? Avouer, si c’est vrai, même si cela relève de la vie privée ? Le choix est compliqué. Lundi soir, Emmanuel Macron a décidé de dénoncer une«rumeur désobligeante» qui affirme qu’il est homosexuel et en couple avec Mathieu Gallet, le directeur de Radio France. «Vous entendrez des choses, que je suis duplice, que j’ai une vie cachée. C’est désagréable pour Brigitte, qui se demande comment je fais physiquement, a-t-il dit. Elle partage ma vie du matin au soir. Et je ne l’ai jamais rémunérée pour cela ! Je ne peux pas me dédoubler. Si dans les dîners en ville on vous dit que j’ai une double vie avec Mathieu Gallet, c’est mon hologramme qui m’a échappé, ça ne peut pas être moi !»

Ces derniers temps, les bruits que des photos allaient sortir dans la presse étaient de plus en plus forts. Au point que, sur Twitter, certains ne se gênaient plus pour multiplier les blagues homophobes du genre, #MadameMacron, avec une photo de Mathieu Gallet pour illustrer.

Le candidat à la présidentielle a décidé d’en parler pour que cela devienne un non-sujet. Habilement d’ailleurs. Avec humour. Moderne. Montrant que, au contraire de ce que pensent ses adversaires, ce n’est pas une honte d’être, potentiellement, gay. Mais il prend aussi le risque qu’une majorité de Français découvrent ces ragots et de devenir un sujet de cancans plutôt que l’on s’intéresse à son programme, quand il en aura un. Dans la Rumeur d’Orléans (le Seuil), où des commerçants juifs de cette ville étaient soupçonnés de kidnapper des jeunes femmes blanches pour les prostituer dans les années 60, le sociologue Edgar Morin a montré qu’il était presque impossible de faire taire complètement les bruits, malgré tous les démentis.

Univers macho et patriarcal

Si on espère que cela n’influencera pas la campagne, il est intéressant d’essayer de comprendre d’où vient la rumeur Macron, tant elle est une sorte d’exemple type de celles qui traversent chaque année le milieu politique. A écouter les bruits en ville, comme on dit, la moitié des hommes qui nous gouvernent, voire qui sont candidats à la présidentielle, sont homosexuels, surtout s’ils sont mariés avec une femme depuis longtemps.

Si on prend, disons, les deux dernières décennies, on aura entendu des histoires sur un ministre avec un acteur connu, un politique avec son chauffeur, un autre avec son mentor, un avec un membre d’un parti adverse, etc. Tous les partis sont touchés. Malgré son acceptation dans l’opinion, l’homosexualité est encore perçue comme un tabou en politique. Certains peuvent y voir un frein inconscient chez les électeurs. Dans cet univers macho et patriarcal, insinuer que quelqu’un est gay, c’est tenter de le déviriliser. La France serait une femme qui ne peut pas être «prise» par un politique homosexuel.

A ce titre, la rumeur Macron est un cas d’école, avec pour victime collatérale Mathieu Gallet, qui ne parle pas de sa sexualité. Aussi loin que l’on remonte, les histoires sur son homosexualité commencent avec son arrivée comme ministre de l’Economie, à l’été 2014, et on pencherait plus sur plusieurs foyers spontanés qu’un seul pyromane. Avant, il est trop peu connu. Jeune, ambitieux, beau gosse, riche, brillant, il faut lui trouver une «faille». Et, tiens, tiens, il a une situation maritale peu commune avec Brigitte Trogneux, une femme plus âgée de 24 ans, alors que d’ordinaire elles sont un demi-siècle plus jeunes. Facile ensuite de dérouler le fil.

Reste ensuite à lui trouver un partenaire. La même année Mathieu Gallet a été nommé PDG de Radio France. Il est aussi jeune, beau, ambitieux, discret sur sa vie privée, a quelques casseroles potentielleset a résisté, de peu, à une longue grève de la maison ronde au printemps 2015.

Nous, on a eu ouï-dire pour la première fois de leur relation supposée il y a un an environ. En un éclair. Trois personnes nous en ont soudainement parlé dans la même semaine. A chaque fois, sans preuve. C’est toujours l’ami d’un ami d’un ami qui, un artiste qui assure que, Truc qui connaît Machin. C’est flou, il n’y a rien, mais l’histoire grossit, grossit et tout le monde l’apprend, la déforme, téléphone arabe au point qu’à la fin on ne sait plus qui l’a révélée à qui et ça se mord la queue : «C’est toi qui me l’as dit.» «Ah non, c’est toi qui me l’as dit.» «Tu es sûr? J’étais certain que c’était toi.»

Dangereux dans les sondages

La rumeur a fini par sortir sur les réseaux sociaux. Les premières occurrences sur Twitter remontent à mai 2016, des questions, des allusions, des blagues. Curieusement, c’est le même mois que Sarkozy estime, dans le Point, que Macron est «cynique. Un peu homme, un peu femme, c’est la mode du moment. Androgyne. Ce qui vous plaît chez Macron, c’est que vous aimez toujours ceux qui ne vous obligent pas à choisir.»

Ensuite, cela revient de manière régulière sur Internet et dans les soirées, parfois avec des dénégations. Comme ce cadre sup, gay, qui nous a affirmé un jour que Macron ne l’était pas puisque cela faisait des années qu’il essayait, en vain, de le choper. Et de renchérir : «Alors que cet autre candidat, on dit, que…»

En novembre, le Monde «oute» la rumeur dans un papier sur les adversaires de l’ancien banquier, notamment le camp Valls. Les journalistes Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin écrivent que le banquier Philippe Villin, proche de Nicolas Sarkozy, «est de ceux qui ont répandu auprès des nombreux élus qui le consultent ce qu’il appelle sans gêne le « Macron fake » : la vie maritale de l’ex-ministre serait une façade, il dissimulerait ses inclinations profondes.»

Evidemment, depuis que Macron est devenu dangereux dans les sondages, les bruits ont augmenté, jusqu’aux tweets récents, souvent de la part de l’extrême droite, ironisant sur «Madame Macron/Gallet». Au final, une seule chose est certaine : les rumeurs sur la vie sexuelle ne s’intéressent qu’aux politiques ayant du succès. Ceux qui, électoralement, font peur.

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