QUAND ON ATTAQUE L’ART…

Roger-Luc Chayer

À la fin juillet, un groupe de manifestants s’est rendu aux portes de la troupe Cavalia, qui s’était installée aux limites du Village, coin Ste-Catherine Est et De Lorimier, pour protester contre l’exploitation et la domination des hommes sur les chevaux de la troupe, comme si ces animaux étaient maltraités. Un peu comme pour le spectacle SLAV ou la pièce de théâtre Kanata de Robert Lepage, voilà que des groupes d’individus se forment au gré des prestations artistiques pour les dénoncer et y trouver, autant que possible, matière à exprimer leur «humanité supérieure» aux créateurs et aux artistes. Serions-nous rendus au point où les ignares voudraient dominer le monde au temps de la récolte d’années d’éducation publique où les arts ont été totalement absents du cursus scolaire?

Quand on attaque l’art, on s’en prend directement à la possibilité de réfléchir et d’approfondir la pensée critique et créatrice de toutes les personnes de la société. Quand on en vient à censurer l’art, avant même sa création, on ne fait qu’exprimer son inculture et c’est cette domination, pas celle envers les acteurs, les chevaux de Cavalia ou les chanteurs de SLAV qu’il faut dénoncer!

Qu’elle soit musicale, visuelle, théâtrale ou expérimentale, l’expression artistique est l’arme absolue contre les dictatures de la pensée uniformisée. Elle permet, selon les goûts des personnes qui la pratiquent ou la consomment, de partir à la découverte continuelle de nouvelles formes d’expression et l’art est un des très rares moyens universels de communication.

J’ai été confronté moi-même à des formes artistiques qui ne me plaisaient absolument pas, mais qui, avec le temps, m’ont permis de

mieux comprendre certaines choses. Je vous donne un exemple qui me concerne directement. Lorsque j’étais étudiant à la classe de musique de chambre au Conservatoire national de Nice dans les années ‘80, mon professeur, Maître Paul Jamin, m’avait imposé un quintette de Francis Poulenc. Atonale au max et très difficile à intégrer dans une pensée musicale classique, après quelques heures à travailler l’oeuvre en classe, j’avais passé une remarque assez arrogante à l’époque qui a suscité une grande colère chez mon professeur. J’avais dit «vous savez, Maître, je suis venu au Conservatoire pour apprendre la musique, pas pour faire du bruit», en parlant de l’oeuvre. Comble de malchance, mon professeur avait été l’étudiant de Francis Poulenc, disons que je ne m’étais pas fait un nouvel ami de mon prof…

C’est seulement plus tard, en réinterprétant l’oeuvre lors d’une tournée professionnelle de dizaines de concerts au Québec, que j’ai compris la signification de la pièce. Elle obligeait les interprètes à déstructurer la musique pour la rendre belle, autrement!!! Et aujourd’hui, j’adore cette oeuvre.

Les censeurs pseudo communautaristes qui nuisent à la réflexion intellectuelle en faisant annuler des oeuvres comme Kanata et SLAV ou qui perturbent la présentation de Cavalia ne pensent pas une seule seconde à l’éducation ou à la réflexion, il ne font qu’abrutir les personnes qui n’ont pas accès à ces moyens de réflexion et, au final, cherchent à amoindrir la population en général au niveau de leur propre stupidité. Les censeurs de l’art sont les ennemis de la liberté d’expression et de la démocratie, et il est certain que je n’endosserai jamais de tels comportements!

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