Quelques réflexions éthiques: Pourquoi le don de sang demeure-t-il interdit aux hommes gais?

Lʼéthique du don de sang nʼest pas à proprement parler une question dʼéthique de la recherche indiquait Édith Deleury aux animateurs de lʼémission radiophonique Génération Queer. Autant lʼopinion de la présidente du Comité dʼÉthique de la Recherche de lʼUniversité Laval vous laisse possiblement perplexe ou vous apparaît éloignée des réalités LGBT, autant une telle déclaration légitime indirectement le refus du don de sang aux hommes gais. Va-t-on aussi leur interdire de donner leurs organes? Que va-t-on faire avec les dons de sang ou dʼorganes dʼhommes bisexuels? Pourquoi cette mise en garde et pourquoi ne pas vouloir faire de lʼéthique du don de sang une question dʼéthique de la recherche?
Je vous propose ici de vous demander si travailler ensemble à ce quʼelle le devienne peut suffire pour autant à protéger les hommes gais voulant donner leur sang du profilage sexuel à lʼoeuvre dans nos banques de sang. Qui pourrait nous y aider? Entre autres exemples, Jean-Luc Roméro, dans sa lutte contre le Sida, tâche aussi de briser cet interdit discriminatoire. Fort dʼavoir reçu la légion dʼhonneur pour cette lutte, puisse le député populaire français inspirer les personnalités publiques, à commencer par certains hommes – gais ou bisexuels – vivant dans des pays où ce changement est escompté ou envisageable… Il me semble que nous disposons, ici, dʼoutils – communautaires, syndicaux et politiques – pour suivre et poursuivre lʼélan récemment insufflé par le Portugal, en matière dʼéquité du don de sang.
Ce quʼil nous faut néanmoins comprendre est que : même si vouloir faire de lʼéthique du don de sang une question dʼéthique de la recherche ne garantit en rien lʼabsence de risques discriminatoires encourus par les hommes gais donneurs de sang, ceux-ci ne seront protégés, et ne pourront lʼêtre, que par cette protection éthique. Pourquoi? Et que va-t-on faire de leur sang et de leurs organes, de ceux des hommes bisexuels, sʼils veulent les donner mais si le profilage sexuel de leur personne (sang, organes, moralité…) les en empêche?
Alors pourquoi lʼéthique du don de sang pourrait déjà et avant tout protéger les hommes gais de cet interdit discriminatoire? Parce que toute instance du don de sang légitimant le questionnement de lʼorientation sexuelle en situation de don de sang est un comité dʼéthique de la recherche. En autorisant le personnel infirmier-médical à poser cette question, il y a présomption implicite que les hommes gais sont nécessairement des groupes à risque. Pourtant, on sait bien que les hommes gais ne sont pas majoritaires dans lʼadoption des comportements sexuels à risque.
La promiscuité sexuelle nʼa pas dʼorientation sexuelle; pas plus que la sur consommation dʼalcool ou de drogue comme le crystal meth. Elles sont queer, dépassent et font se parler les frontières générationnelles dʼidentité de genre, de sexe, de sexualité. Si lʼon prétend alors vraiment protéger les hommes gais donneurs de sang de discriminations supplémentaires, il faut veiller à le pleine application des idéaux de justice et dʼégalité sociales et non pas évacuer la question du don de sang de lʼéthique de la recherche. Et ceci puisque le maintien de lʼinvestigation et de la suspicion de lʼorientation homosexuelle des donneurs de sang relève de lʼéthique, de lʼéthique à donner aux recherches faites sur le sang. Nous sommes par conséquent en droit de nous demander si Héma-Québec sera encore bien longtemps en situation de refuser la générosité de donneurs simplement parce quʼils préfèrent partager la joie des plaisirs avec un partenaire du même sexe?
À lʼinstar de Jean-Luc Roméro, nous pensons quʼon a peu réfléchi au don de sang depuis 1983 et, à cette période, certaines interdictions compréhensibles. Mais ces temps sont désormais révolus et la sexualisation avancée de nos jeunes devrait nous amener à repenser éthiquement lʼéducation à la solidarité. Autant donner son sang aux autres en cas où lʼon en aurait besoin un jour nous paraît symptomatique dʼun utilitarisme grandissant, autant éduquer nos jeunes à la solidarité pleinement désintéressée nous apparaît potentiellement avant-gardiste de discriminations de sexe, de genre ou de sexualité.

Pour comprendre déjà la situation française décriée par Jean-Luc Roméro, il faut nous rappeler que le VIH-Sida concerne dʼabord les personnes hétérosexuelles et partant que les hommes gais ne sont pas un groupe à risque majoritaire. Ainsi lʼabsurdité de lʼinterdiction du don de sang aux hommes gais doit plus que jamais être démystifiée et problématisée. Et quand bien même les hommes gais seraient majoritairement atteints, ce nʼest pas une raison suffisante pour leur interdire de donner leur sang au nom seulement de la présomption – hâtive et infondée – des risques associés à leur orientation sexuelle.
Sans compter que cela incite les personnes désireuses de donner leur sang (comme celles qui désirent être parents…) à mentir. A-t-on un jour quitté le fichage des figures homosexuelles ostracisées par lʼordre médical ou ne fait-il que se développer autrement dans un contexte de libération sexuelle? Illusion démocratique supplémentaire? Doit-on laisser questionner et suspecter plus longtemps lʼorientation sexuelle plutôt que la pertinence du multipartenariat? Sʼest-on au moins questionné sur les impacts identitaires, psycho-affectifs et psycho-sexuels, de ce profilage des donneurs de sang? Puisque lʼon parle surtout en termes de rentabilité aujourdʼhui, quʼy a-t-il à gagner à laisser vivre certains de nos jeunes cette injustice? Plutôt que dʼévincer le problème en refoulant la question du don de sang du champ de lʼéthique de la recherche, la direction de chacun de ses sous-comités ne devrait-elle pas exiger la formation de tous ses membres, et pas seulement de ses membres majoritaires? Par exemple le sous-comité des sciences humaines et sociales du Comité dʼÉthique de la Recherche de lʼUniversité Laval ne gagnerait-il pas à sʼenquérir de cette problématisation et à la partager avec les sous-comités des sciences de la santé, des sciences de lʼéducation et de psychologie? Il semble que leur évaluation éthique et scientifique de la justice de poser – oralement et par formulaires écrits – la question de lʼorientation sexuelle des donneurs de sang a tout bénéfice à sʼinstruire de la diversité sexuelle et à véritablement la
reconnaître comme une partie intégrante-déterminante de la diversité humaine. Du même coup, ces membres réaliseraient quʼils ont indirectement (involontairement?) participé au renforcement de lʼostracisme et de lʼisolement des jeunes homosexuels et bisexuels; dont il ne faut pas présumer de lʼactivité sexuelle ou, pire, profiler la promiscuité sexuelle. Si reconnaître la diversité sexuelle humaine nʼest en rien encourager au prosélytisme, voire inciter à la débauche, laisser se profiler tout discours invitant à compartimenter certains sangs et partant certaines sous-populations a pourtant engendré bien des ravages regrettables (pas nécessairement excusés). Sans compter ceux qui nʼont pas encore été condamnés et desquels il nʼy a pas eu dʼexcuses officielles catholiques à propos des victimes du triangle rose. Puisse dʼailleurs le suivi du dialogue “inter-religieux” amorcé par Jean-Paul II enfin conduire au dialogue “inter-sexuel”, cʼest-à-dire à lʼécoute et au respect des personnes de la diversité sexuelle. Dʼici là, saisir la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour lʼÉgalité est une réaction que nous espérons mènera Jean-Luc Roméro à une reconnaissance internationale plus que méritée. Ayant également bien compris que lʼévaluation scientifique peut apparaître tout à fait « contraire à lʼéthique » (et partant que cette discrimination nʼavait pas été détectée jusque là par quelque comité dʼéthique de la recherche que ce soit), nous invitons les communautés “allo-sexuelles” à sʼenquérir de cette information. Elles ont fort à gagner à participer activement à cette réforme qui peut être juridique; telle la Suède, lʼItalie et maintenant le Portugal. Un projet de loi pourrait passer par une demande dʼévaluation éthique dʼune recherche visant entre autres à démystifier les différences entre comportements à risque et groupes à risque. Nous espérons le rapport canadien commandité par le ministère canadien de la justice en traiter. Dans tous les cas, je vous invite à lire la chercheuse Monik Audet (CDPDJ), son rapport – à paraître – écrit pour le comité mixte sur lʼhomophobie (et sur les LGBTQ-phobies…).

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