South Park a contaminé le sida

Didier Lestrade

Grâce au dessin animé américain, l’épidémie est enfin devenue drôle. Merci Cartman.

On était tous en train de s’écharper sur les questions de prévention gay quand South Park a décidé, il y a près de 15 ans, que si les nouvelles trithérapies montraient leur efficacité, le sida était devenu une maladie chronique comme une autre. Traduisez: on a le droit de l’incorporer dans tous les autres sujets scandaleux de la série (les handicapés, les transgenres, les gays, les juifs, le caca et le vomi, enfin tout ce qui n’est pas politiquement correct).

Les premiers des neuf épisodes VIH de la série datent de 2000. Il fallait se défouler de toutes ces années de politesse virologique pour décoincer les gens. C’est ce que faisait déjà Act Up dans les années 1990 avec des publications internes qui tournaient en dérision un peu tout, même les maladies opportunistes les plus graves. Plus tard, ça a donné ça.

South Park, c’est pas pareil. Ce n’est pas écrit par des gays, ni par des séropos, donc ils n’avaient normalement pas le droit. Mais c’est ça qui est justement drôle. D’abord c’est une série intouchable qui a marqué l’humour de plusieurs générations (on en est à la 18e saison), mais surtout parce que c’est vraiment trop méchant pour qu’on puisse le prendre mal. Et si vous le prenez mal, vous avez un problème, vous voyez.

Pour résumer, je ne vais pas me fatiguer, y’a une page Wiki qui raconte toutes les blagues.

Ça a donc commencé en 2000 avec Cartman Joins NAMBLA (S4E6), entièrement consacré à la pédophilie mais où Cartman fait croire à Kyle qu’il lui a filé le sida juste en jouant aux cartes.

«Vive le sida!»

Rien d’autre pendant deux ans, mais la sixième saison revient sur le thème avec Jared Has Aides (S6E2), entièrement consacré au VIH, listé parmi les 10 épisodes les plus controversés de la série.

Jared est célèbre dans toute la ville parce qu’il réussit à ne pas grossir tout en mangeant uniquement des sandwichs Subway. En fait, il ne grossit pas parce qu’un autre truc l’aide pour garder la ligne: il croit qu’il a le sida depuis 2 ans.

«C’est hallucinant ce qu’on perd comme poids avec un sida! Vive le sida!»

Il finit par faire son coming out sida devant toute la ville pour prouver que le sida est formidable comme conseil diététique:

«Vous devriez tous essayer d’avoir un sida ! Avoir le sida, c’est extraordinaire, avec le sida vous voyez littéralement la graisse fondre à vue d’œil!»

Tout le monde veut le lyncher après qu’il a sorti:

«J’ai l’intention de créer la fondation Sida Pour Tout Le Monde. J’ai comme objectif d’offrir un sida à tous les enfants de la Terre d’ici moins de deux mois!»

L’épisode est bourré de blagues affreuses sur l’épidémie, c’est comme un défouloir, chacun en rajoute une couche. Et c’est là que le grand statement arrive comme une table de Moïse: 22,3 ans exactement après les premiers cas de sida, le sida est finalement déclaré… marrant! Mais South Park le dit bien avant tout le monde, il y a 12 ans. Le sida est poilant!

Et si on se faisait du fric grâce au sida?

La suite est dans Red Man’s Greed (S617) quand Cartman cherche à contaminer Kyle avec le VIH juste pour gagner 300.000 dollars:

«On fait en sorte que Kyle ait le sida, on monte une association caritative et on détourne le fric!»

Là on est en pleine dérision du système associatif et de la Get Well mafia en général.

A partir de là, les saisons 7 et 8 utilisent le sida comme blague récurrente. Faut dire que ce connard de Cartman n’arrête pas d’insulter ses copains sur le sida. Sa marotte, tout le monde le sait, c’est de dire que Kyle (son ami juif) a le sida, comme dans Casa Bonita (S7E11). Comme Kyle a une bonne nouvelle (pour son anniversaire, il invite les autres à manger dans un restau de Denver, la Casa Bonita), Cartman l’interrompt et lui demande si la bonne nouvelle, c’est qu’il a le sida. Quelle garce!

A la fin de Woodland Critter Christmas (S8E14), la morale de l’histoire est évidente:

«Et tous vécurent heureux à jamais –sauf Kyle qui mourut du sida deux semaines après.»

Mais c’est pas fini. Comme le sida est un problème résolu avec les multithérapies (en fait, heu, NOT), South Park relaie la panique du superbug, une souche de virus résistante à tous les traitements. C’est le «super sida» dans The Death Of Eric Cartman (S9E6) où le père du naïf Butters lui dit qu’il devrait se méfier des vrais problèmes, comme le «super sida» et il le terrorise en lui disant qu’une seule cuillère à café de super sida dans l’anus garantit une mort en trois ans. Là on voit que South Park est capable de rebondir à chaud sur une info scientifique qui avait fait beaucoup de bruit à l’époque.

Après être devenu enfin drôle grâce à South Park, le sida est devenu «Silence = Whatever»

 

Dans Imaginationland (S11E11), une parodie gore du Magicien d’Oz, les animaux demandent:

«Et si on demandait à quelqu’un qui a le sida de pisser dans son orbite, comme ça elle crèvera lentement ?»

Judy Garland n’est pas contente.

Heureusement, la cruauté finit par se retourner contre Cartman lui-même, comme c’est souvent le cas. Tonsil Trouble (S12E1), avec les guest featurings d’Elton John, Magic Johnson, voit Cartman devenir séropo après une opération des amygdales. Ce salaud le file volontairement à Kyle avec une seringue. Il prennent l’avion et le steward pédé leur dit, au moment d’embarquer:

«Le sida? Woa, c’est tellement rétro!»

Le gag à répétition de l’épisode, c’est ce crétin de Cartman qui n’arrête pas de répondre quand on lui pose une question:

«J’en suis sûr et certain, je suis séropositif

Bien sûr, ils arrivent à trouver un vaccin qui consiste à transfuser un concentré de 180.000 dollars, encore une blague sur le business du sida. Quand on connaît bien les magouilles financières qui tournent autour de cette maladie, ça dit tout.

Morale de l’histoire

South Park aborde toutes les peurs essentielles que sentent les kids face à cette maladie dont ils ont toujours entendu parler d’une manière sérieuse par leurs parents et qu’ils n’ont jamais vue, donc ils en rigolent. A partir de 2011, le sujet sida disparaît progressivement, ce qui est aussi le reflet du désintérêt de la société avec cette épidémie dite «chronique». Comme toujours, South Park est un baromètre de vulgarité, mais aussi de politique générale.

Si le sida n’est plus un enjeu de rigolades et de méchanceté, c’est qu’il est finalement délaissé par les personnes qui portent le virus elles-mêmes. On n’en est plus au classique «Silence = Mort» d’Act Up qui ne veut plus rien dire à notre époque où l’info sur le VIH est si riche sur Internet qu’elle n’est même plus relayée par les médias.

Après être devenu enfin drôle grâce à South Park, le sida est devenu «Silence = Whatever».

PS : pour les gamers, dans le jeu vidéo South Park, Le bâton de vérité, le statut «Affreux Sida» fait perdre 5% de l’ensemble des points de vie, mais si on finit le jeu avec le super sida, on a quand même un bonus. Ouf.

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