TRANSITION PARFOIS TROP RAPIDE

Roger-luc Chayer

Je viens de m’entretenir avec une personne qui avait toute une expérience à raconter avec la transitude de son ami proche, qu’il aimait beaucoup, et c’est si intense que j’ai dû prendre quelques jours avant de pouvoir mettre en texte les idées très émouvantes de Denis, qui a vécu une partie de la transition de son amoureux Jessie.

Denis a rencontré son ami Jessie au travail de ce dernier et dès le début ils ont été unis par une agréable complicité. Les deux avaient un sens de l’humour très évident et ils ne se privaient pas pour se jouer des tours continuellement. Plus le temps passait, plus Jessie se rapprochait de Denis et s’est mis à travailler pour son entreprise. Il avait d’importantes responsabilités. Denis était un homme mature, professionnel dans son domaine, et Jessie était un jeune homme de 20 ans son cadet, très masculin, à l’intelligence vive, avec de beaux cheveux longs et un corps athlétique. Jessie rayonnait de masculinité, Denis était loin de se douter de ce qui allait arriver…

Plus le temps passait, plus Jessie démontrait une certaine anxiété, au quotidien, sans vouloir trop en parler ouvertement. C’est donc petit à petit qu’il a commencé à questionner Denis sur ses opinions de la question trans, sur ce qu’il pensait des personnes en transition, etc. Denis, qui n’avait jamais pensé à une telle situation au premier degré, a dit ce qu’il pensait surtout sur le plan social, sans jamais se douter que Jessie tâtait le terrain pour savoir comment annoncer à son ami qu’il avait décidé de devenir une femme.

Comme les deux amoureux travaillaient ensemble, il devenait évident qu’il se passait quelque chose et c’est en allant reconduire Jessie chez lui un soir que Denis a reçu la nouvelle, Jessie ne pouvant plus contenir ses larmes.

Il a annoncé à Denis qu’il avait toujours cru être une femme, que sa relation avec sa propre sexualité était un échec, qu’il avait décidé de commencer un traitement aux hormones et qu’à terme, il devrait se faire opérer pour réassigner son sexe en celui d’une femme. Denis a reçu la nouvelle comme si un train venait de lui passer sur le corps.

Au début, comme il aimait sincèrement son ami, il a pensé pouvoir le soutenir et qu’avec le temps et les rencontres psycho-médicales, Jessie allait peut-être se rétablir sans devoir se faire opérer, mais plus le temps passait, plus les seins de Jessie se développaient, plus son état psychique se dégradait et plus ses émotions devenaient incontrôlables. Témoin impuissant de ces transformations et à la vitesse qu’elles se produisaient, Denis avait le sentiment qu’il ne s’agissait pas d’une transition mais d’un meurtre. Jessie voulait clairement tuer ce qu’il était. Denis a commencé à ressentir les effets profonds d’un deuil interminable, cessant de s’alimenter tout en restant le témoin de la disparition quotidienne de celui qu’il aimait.

À un certain moment, Denis, ne sachant plus comment s’éloigner de Jessie pour préserver sa propre santé mentale, a eu la chance que Jessie tombe dans un état dépressif tel qu’il ne pouvait plus sortir de chez lui pour venir travailler, ce qui a aidé Denis à ne plus voir chaque jour son amoureux le quitter. Ils ont gardé un contact minimum et Denis a su plus tard que Jessie avait été opéré.

Le témoignage de Denis est important surtout parce qu’on parle beaucoup de la transition comme d’un moment important dans la vie d’une personne, évidemment, mais on ne parle pas assez des personnes qui sont autour et qui, par la vitesse des choses, souffrent terriblement de cette transition. Il faudra en reparler…