
Opinion par Roger-Luc Chayer (Photo: USA Today)
La communauté gaie internationale est encore sous le choc de la trahison morale du groupe Village People, qui a participé aux festivités entourant l’inauguration du président Donald Trump à la fin de janvier dernier.
Village People est un groupe de musique disco américain formé à la fin des années 1970. Connu pour son esthétique flamboyante et ses costumes inspirés de figures emblématiques de la culture masculine américaine, il a marqué l’histoire de la musique avec des chansons festives et entraînantes. Son succès repose sur des morceaux emblématiques devenus des hymnes des pistes de danse, notamment dans la communauté LGBTQ+.
Derrière son image exubérante, le groupe repose sur une production musicale soignée, portée par des mélodies accrocheuses et des paroles évoquant la fête, la camaraderie et la liberté. Son ascension coïncide avec l’âge d’or du disco, un genre qui dominait les clubs et les radios à l’époque. Malgré le déclin du disco dans les années 1980, il a su rester présent grâce à l’impact durable de ses succès, fréquemment repris dans des films, publicités et événements sportifs.
Symbole important du mouvement d’émancipation des hommes gais au début, le groupe a ouvert la voie à l’inclusion et à l’acceptation de ces personnes à une époque où le VIH n’existait pas encore et où les hommes homosexuels, avec leur esprit festif, décidaient de l’avenir de nombreuses stars et groupes.
Entre 1970 et 1990, la communauté gaie a joué un rôle essentiel dans la popularisation de nombreuses stars et groupes internationaux, en particulier dans les genres disco, pop et new wave. Grâce à son soutien, ces artistes ont souvent pu percer ou prolonger leur succès.
Dans les années 1970, l’essor du disco a été largement porté par les clubs et bars gais, contribuant à l’ascension d’artistes comme Donna Summer, Sylvester et Gloria Gaynor. Village People, avec son imagerie exubérante et son style festif, est devenu un phénomène en grande partie grâce à son adoption par le public gai. Des groupes comme ABBA ont également bénéficié d’un immense soutien de cette communauté, qui a contribué à leur statut d’icônes pop.
Dans les années 1980, l’esthétique et l’énergie de la new wave et de la pop électronique ont captivé le public gai, propulsant des artistes comme Madonna, qui a toujours reconnu cette influence. D’autres figures majeures incluent George Michael, même avant son coming out, ainsi que Pet Shop Boys, dont la musique et les paroles résonnaient particulièrement dans la communauté. Des groupes comme Erasure et Bronski Beat ont directement abordé des thèmes liés à l’identité gaie, consolidant leur statut d’icônes.
Quand Village People ne voulait pas que Trump utilise son succès YMCA
Au fil des années, Donald Trump a souvent utilisé le tube « Y.M.C.A. » lors de ses rassemblements de campagne. À l’approche de l’élection de 2024, la chanson était de plus en plus diffusée pour galvaniser un public majoritairement républicain, chrétien et ouvertement homophobe. Un paradoxe qui n’a pas plu aux représentants du groupe, qui ont tenté de faire cesser cette violation de leurs droits d’auteur sur l’œuvre.
Victor Willis, le chanteur principal et membre fondateur des Village People, a demandé à Donald Trump de cesser d’utiliser « Y.M.C.A. » lors de ses rassemblements politiques.
En 2020, alors que Trump utilisait régulièrement cette chanson emblématique lors de ses événements de campagne, Willis a exprimé son mécontentement et a demandé que l’ancien président cesse d’en faire usage. Contrairement à d’autres artistes qui ont intenté des poursuites, Willis a choisi une approche plus directe en publiant une déclaration officielle pour exprimer son opposition. Cependant, aucune action en justice n’a été entreprise, et Trump a continué à diffuser « Y.M.C.A. » lors de ses meetings, y compris après sa défaite aux élections de 2020.
L’ironie de cette situation réside dans le fait que « Y.M.C.A. » est devenu un hymne festif et un symbole de la culture gaie, alors que Trump était critiqué pour certaines de ses politiques envers les droits LGBTQ+.
Village People devenus collabos !
Le 20 janvier 2025 lors d’un spectacle suivant l’inauguration pour un second mandat du président Donald Trump, au plus grand dégout des communautés LGBTQ+, et malgré ses nombreuses déclarations antérieures, le groupe a accepté de chanter en direct sur scène en présence même du président Trump qui se dandinait avec une moue victorieuse sur la même scène derrière le groupe.
Plutôt que de saisir l’occasion pour éduquer le public sur les communautés LGBTQ+, le groupe n’a fait aucune allusion à ses origines ni à la signification de la chanson. Sortie en 1978, La chanson « Y.M.C.A. » de Village People est souvent perçue comme un hymne festif et entraînant, mais elle possède plusieurs niveaux de signification.
À la surface, les paroles font référence au YMCA (Young Men’s Christian Association), une organisation créée au XIXe siècle pour offrir du logement, des activités sportives et un cadre de vie sain aux jeunes hommes, souvent dans un contexte chrétien. La chanson célèbre le YMCA comme un lieu où l’on peut trouver du soutien, s’amuser et refaire sa vie.
Cependant, dès sa sortie, « Y.M.C.A. » a été largement adoptée par la communauté gaie, qui y voyait une référence codée aux rencontres et à l’expression de la liberté sexuelle. À la fin des années 1970, le disco était intimement lié à la culture gaie, et de nombreux clubs YMCA étaient connus pour être des espaces de socialisation pour les hommes homosexuels.
Les membres de Village People, et en particulier leur chanteur principal Victor Willis, ont parfois minimisé ou nié cette interprétation homosexuelle, affirmant que la chanson était simplement une célébration de la camaraderie et d’un mode de vie actif. Pourtant, son impact culturel en a fait un véritable hymne de la communauté LGBTQ+, encore aujourd’hui synonyme de fête et d’inclusion.
Déclaration de Village People suite à cette apparition
Dans une publication sur Facebook peu avant la prestation, le groupe a reconnu que sa décision de participer à l’inauguration pourrait ne pas plaire à certains fans. « Nous savons que cela ne fera pas plaisir à certains d’entre vous, » ont-ils écrit, « toutefois, nous croyons que la musique doit être jouée sans considération politique. »
Interrogé sur les raisons de cette participation, Victor Willis a déclaré : « Nous essayons de rassembler les gens et d’unir le pays. Peu importe si vous n’avez pas voté pour lui… En gros, je suis démocrate. Nous avons perdu, alors nous devons passer à autre chose, et il était temps pour tout le monde de soutenir le président élu. »
D’autres artistes ont, par le passé, payé cher leur trahison.
Plusieurs artistes ont vu leur carrière impactée, parfois sérieusement, en raison de leurs propos négatifs sur le VIH ou de leur attitude envers les communautés LGBTQ+ dans le passé. Parmi les plus notables :
- Pat Boone : Ce chanteur et acteur des années 1950 et 1960 a eu des propos virulents à l’encontre de la communauté gay et du VIH à l’époque où la pandémie faisait rage. Il a notamment évoqué le VIH de manière péjorative, ce qui lui a valu une perte de soutien dans certaines communautés. Bien qu’il soit resté une figure de proue de la musique chrétienne, sa carrière grand public a été affectée.
- Anita Bryant : Chanteuse et militante anti-gay des années 1970 et 1980, Bryant est célèbre pour sa campagne contre les droits des homosexuels, notamment en Floride. Ses commentaires négatifs à l’égard de la communauté gay et de la manière dont elle a abordé la question du VIH ont entraîné un boycott de ses concerts et produits, ce qui a quasiment ruiné sa carrière.
- Kenny Rogers : Le chanteur de country a été critiqué dans les années 1980 pour des remarques maladroites sur le VIH et les homosexuels. Bien que ses commentaires n’aient pas été aussi sévères que ceux d’autres figures publiques, il a eu des difficultés à regagner le soutien de certaines communautés.
- Cynthia Nixon : Bien que plus récente, son cas illustre comment une déclaration malheureuse peut nuire à une carrière. L’actrice de « Sex and the City » a suscité la controverse lorsqu’elle a qualifié ses commentaires sur le VIH de « conservateurs », alors qu’elle se faisait connaître pour son activisme en faveur des droits LGBTQ+. Cela a provoqué un désaveu partiel de certains de ses fans et des activistes.
- Donna Summer: Elle a effectivement traversé une période difficile avec la communauté homosexuelle à cause de ses propos controversés dans les années 1980. Le tournant majeur est survenu en 1983, lorsque, lors d’une interview, elle a fait des commentaires négatifs sur l’homosexualité et a exprimé son opposition au mouvement homosexuel, notamment en évoquant une relation entre l’homosexualité et le VIH. Elle aurait aussi fait des déclarations qui semblaient désapprouver les pratiques sexuelles de la communauté gay à l’époque.
Ces propos ont provoqué un choc au sein de la communauté homosexuelle, particulièrement pendant une période où le VIH/SIDA faisait rage et où les artistes étaient souvent perçus comme des alliés des droits des homosexuels. Donna Summer a été vue comme ayant trahi cette communauté, d’autant plus qu’elle avait été une icône de la culture gay, notamment grâce à sa musique qui était très populaire dans les clubs gais.
Après la controverse, elle a tenté de revenir sur ses propos, affirmant que ses paroles avaient été mal interprétées et qu’elle regrettait ce qu’elle avait dit. Néanmoins, la rupture avec une partie de la communauté gay était faite, et cela a eu un impact sur sa carrière dans les années qui ont suivi.
Nul doute que l’avenir de Village People subira le même sort que celui de ces autres artistes qui ont profité des communautés LGBTQ+ pour se faire un nom et bâtir une carrière, pour ensuite les abandonner au profit du pouvoir.
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