Il y a de ces enquêtes journalistiques qui ne prennent que quelques minutes à faire et d’autres, comme celle-ci, qui peuvent demander plusieurs années. Il y a un certain temps, un lecteur de Gay Globe nous contactait pour nous parler de ses préoccupations face à ce qu’il considérait être une vague de pédophilie sur Grindr, ce logi- ciel gratuit de rencontres et de proximité offert sur Android et sur iPhone.
Il n’en fallait pas plus pour piquer notre curiosité et lancer ce qui allait devenir une longue recherche, non seulement pour docu- menter la situation, mais aussi pour tenter d’identifier certaines personnes qui pourraient être à l’origine d’actes impliquant des mineurs sur Grindr. Il faut savoir que pour s’inscrire à Grindr, il faut certifier avoir plus de 18 ans, mais tout le monde sait qu’on peut répondre n’importe quoi puisqu’aucune vérification n’est faite tant sur l’identité du nouveau membre que sur son âge. Seule son adresse de courriel est connue de Grindr et n’importe qui peut s’in- venter un courriel qui ne servira qu’à rester anonyme.
Grâce à notre source, nous avions une petite idée de la description de l’individu qui, régulièrement, recherchait activement des jeunes garçons sur Grindr pour leur offrir de l’argent en échange de jeux sexuels et de rencontres. Nous recherchions donc un homme ori- ginaire du Moyen-Orient, âgé entre 55 et 65 ans, corpulent, qui habitait vraisemblablement à Montréal. Pour réussir à documenter notre dossier, nous avons dû ouvrir un compte sur Grindr, et plutôt que d’indiquer l’âge du membre que nous souhaitions créer, il a été décidé de ne mettre qu’une photo de chaton, sans description aucune, sans indiquer l’âge, et en activant un seul paramètre, une
recherche d’âge entre 55 et 65 ans. Avec beaucoup de patience et comptant sur la curiosité de l’individu face à une photo de chaton, en quelques mois, non seulement la personne s’est manifestée, mais lorsqu’il a su que nous nous présentions comme un garçon de 14 ans, il est devenu très insistant et a proposé de nombreux rendez-vous, des sommes d’argent assez importantes, sans parler de voyages, etc., le tout en échange de jeux sexuels en groupe ou à deux. Clai- rement, l’individu semblait habitué à utiliser Grindr pour trouver fa- cilement, selon lui, des dizaines de garçons de moins de 15 ans…
Certains diront que la recherche de sexualité avec un garçon de 14 ans et plus n’est pas de la pédophilie, qui implique des enfants prépu- bères, mais de la pédérastie, qui implique, elle, des jeunes pubères ou en voie de le devenir. Peu importe le terme, le Code criminel ca- nadien, lui, est clair: Infraction sexuelle s’entend de toute infraction: paragraphe 212(4) (obtention de services sexuels d’un mineur).
Lorsqu’il a été décidé d’aviser les policiers de la situation, on nous a informés que porter des accusations criminelles dans le contexte présent n’était pas facile puisque la preuve amassée devait l’être dans le cadre d’une enquête criminelle, par des policiers. Pour ouvrir une enquête, il doit y avoir une victime qui porte plainte, car on ne peut porter plainte pour une tierce personne. Somme toute, comme les jeunes garçons ne portent pas plainte, probablement parce que certains font de la prostitution ou y trouvent leur compte financièrement, il faut conclure que les pédophiles ne sont pas sur le point d’abandonner Grindr. Quant à Grindr, nous attendons tou- jours la réponse à notre question sur les mesures prises par l’entre- prise pour assurer une plus grande surveillance…