LOI: CÉLÉBRER SANS TOUT CASSER

Claude Chamberland, avocat et médiateur

Arrive enfin ce moment si rare et tant attendu: L’été et avec lui la succession d’occasions de nous réunir et de célébrer. Mais attention, la joie de la liberté retrouvée peut déraper et mener à des excès qu’on peut être amené à payer chèrement et longtemps. Flashback: « 21 Avril 2008, les séries éliminatoires de la LNH battent leur plein. Le club de hockey Canadien élimine son rival de toujours, les Bruins de Boston. Vers 22h, le Centre Bell se vide et s’en suit une période de festivité spontanée dans les rues avoisinantes. Tous décrivent l’ambiance comme festive, voire familiale. Malheureusement, la fête tourne en tempête. Au lendemain de l’émeute, le SPVM constate que neuf véhicules ont été incendiés et six autres ont nécessité des réparations importantes.»
Cette description n’émane pas d’un historien, mais du juge Sylvain Coutlee en introduction d’un important jugement de droit civil prononcé le 19 juin 2014. Il ordonne que certains émeutiers qui ont agi de concert paient chacun pour la totalité des dommages qu’ils ont causés à un véhicule. Pour les autres émeutiers, il les condamne à payer uniquement pour les dommages précis qu’ils ont causés, en plus de dommages-intérêts punitifs. La ville interjette appel des jugements jusqu’en Cour Suprême, ses procureurs soumettant que les articles 1480 et 1526 du Code civil du Québec autoriseraient la victime du vandalisme à rendre responsable n’importe laquelle des personnes ayant causé des dommages pour l’ensemble des dommages résultant de ce qu’elle qualifiait d’acte collectif fautif.
Les fautes des émeutiers varient et appartiennent à une large gamme de méfaits. Elles vont du coup de pied dans la portière d’un véhicule à l’incendie criminel de celui-ci. Certaines fautes sont commises au début de l’émeute, d’autres quelques heures plus tard. À l’exception de quelques cas isolés, les défendeurs agissent de façon spontanée et indépendante les uns des autres et ils ne se connaissent pas. Normalement, une personne qui commet une faute n’a à payer que pour le préjudice précis qu’elle a causé à quelqu’un d’autre. L’article 1526 prévoit une exception lorsque deux personnes ou plus participent au même méfait ou, en commettant des méfaits distincts, contribuent au même dommage. L’article 1480 prévoit une autre exception lorsque deux personnes ou plus participent ensemble au même méfait, ou à des méfaits distincts, mais qu’il est impossible de déterminer qui a causé quel dommage. Dans un cas comme dans l’autre, un seul dommage doit avoir été causé par les personnes impliquées pour que chacune puisse être tenue individuellement responsable jusqu’à concurrence de la totalité de la valeur du dommage. Ici, ces exceptions n’ont pas été retenues par la Cour Suprême.
Retenons quand même qu’en plus des dommages directement causés par chacun des vandales bien identifiés par les caméras de surveillance, la Cour civile les a condamnés à des dommages punitifs très importants. Un dérapage dans toute célébration collective risque donc d’entraîner des conséquences graves: arrestation, poursuites criminelles, condamnation, sanction et casier judiciaire. Puis, alors que vous croyez que tout est terminé, assignation en Cour civile et rebelote! Bof, un coup de pied sur une voiture ne peut pas coûter cher. Comptez quelques centaines de dollars de compensation, quelques milliers de dollars de dommages punitifs et autant pour vos frais d’avocat et pour les frais de Cour.
La fête finit par coûter cher.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

vingt − 2 =